3000 personnes à Isula Rossa, un millier à Aiacciu, de la colère, de la tristesse, et un cruel sentiment d’impuissance.
Après Julie, après Savannah, après Joanna… combien encore de marches blanches pour que plus jamais un enfant ne pleure la disparition de sa mère, ou une maman, un papa, celui de sa fille, ou des amies, des parents, effondrés par le chagrin, l’injustice ? Julie Douib, de son beau Paradis blanc, n’a plus besoin de s’en faire, mais combien de fois a-t-elle dû pleurer sur ses peurs, seule dans la nuit, au fond de son lit ou enfermée dans sa salle de bain ? Combien de prières a-t-elle adressées pour qu’on l’entende ? Combien de rêves a-telle fait d’un avenir paisible, où elle pouvait récupérer la garde de ses enfants et les élever tranquillement loin des terreurs qui la minaient ?
Cette impuissance qui nous envahit aujourd’hui, elle est terrible, parce qu’elle prépare d’autres drames, parce qu’elle effraie davantage encore d’autres femmes qui vivent avec la peur de ne pas avoir mis la tenue qu’il faut, d’avoir prononcé les mots qu’il ne fallait pas, d’être rentrée un peu tard, d’avoir manqué un plat pour le dîner… de se sentir en permanence fautive. Parce que, mis à part de marcher après coup, et même hurler « plus jamais ça », que peut-on faire pour changer l’indifférence institutionnelle qui neutralise la société et l’empêche d’agir plus efficacement? Arritti le disait la semaine dernière « Il y a forcément des failles dans le système judiciaire pour permettre à des compagnons de rester une menace pour des femmes trop seules face à l’abject. Malgré la communication et la sensibilisation, malgré la « journée » de la femme ou celle « des violences faites aux femmes », des drames se produisent encore, qui ressemblent aux précédents.
Les violences faites aux femmes bénéficient peut-être toujours de trop tolérance sociale, dans le couple, au sein de la famille, du voisinage, de la société. La prise en charge psychologique est forcément insuffisante.
Les femmes battues ne sont pas assez rassurées par « le système » censé les protéger, pour qu’elles osent suffisamment à temps rechercher de l’aide. Notre société se désarme socialement, alors qu’il faudrait créer des structures d’accompagnement en milieu hospitalier et au niveau judiciaire pour que les femmes concernées trouvent un refuge et une mise en sécurité durable. »
Aujourd’hui, force est de constater que ça n’est pas le cas. Et quelle douleur, quel échec terrifiant que de voir, ce 10 mars 2019, la maman d’une autre martyre de violences, appeler à une autre marche blanche que celle qui a accompagné sa fille à sa dernière demeure il y a 3 ans ?
Comment ne pas s’émouvoir en effet de voir Mylène Jacquet, la maman de Savannah Torrenti, se désespérer face au malheur d’une autre famille ? « Cette marche est une communion et un soutien envers cette famille meurtrie à jamais. Personne ne pourra imaginer l’ampleur de leur souffrance autant que ceux qui l’on vécue eux-mêmes.
Ce drame me ramène au 1er mai 2016 et au décès de ma fille Savannah.
J’ai aussi une pensée pour Julie, Joanna, Jennifer, Frédérique, toutes décédées dans des conditions similaires sur cette terre corse… » a-t-elle déclaré avec courage. On peut lire sur sa page facebook consacrée à son combat désormais pour dénoncer les violences faites aux femmes :
« Lutter, pour que notre indignation silencieuse résonne haut et fort, comme un puissant écho, dans les sphères toujours trop sourdes et inaccessibles de l’État et vers ceux qui en ont les rênes. Plus nous serons nombreux et plus nous serons entendus ».
Et de rajouter, le rappel d’une si longue liste… « Merci pour elle : Frédérique: 2008, Joanna: septembre 2010, Savannah: mai 2016, Jennifer : février 2017, Julie: mars 2019.
Merci pour elles : Celles qui ne sont plus là pour parler, celles qui l’ont fait et sont en danger, celles qui ont peur et restent cachées. Toutes doivent être aidées. Toutes doivent être sauvées ».
Que cette voix soit enfin entendue.
Fabiana Giovannini.