ALLEMAGNE

Une élection au cœur de l’Europe

Dimanche 24 septembre ont eu lieu les élections législatives en Allemagne. Angela Merkel, après trois mandats, était la favorite. Elle sort en tête mais autour d’elle, c’est la dispersion au point de rendre compliquée une quelconque coalition.

 

Pour comprendre les enjeux des élections allemandes, il faut d’abord comprendre le système électoral, probablement le plus démocratique de tous les systèmes européens.

Les Allemands participent à deux votes aux élections législatives. Le premier sert à élire un député dans sa circonscription avec un scrutin uninominal majoritaire à un tour. Celui qui arrive en tête est élu. Ainsi, les grands partis sont très largement avantagés. En tout, il y a 299 circonscriptions. Puis, le second vote permet de voter pour une famille politique qui, si elle obtient 5 % des voix exprimées au niveau fédéral, peut rentrer au Parlement. Mais ce second vote est un scrutin « proportionnel correcteur ». Autrement dit, « on ajoute » aux 299 premiers députés autant de députés qu’il faut pour que le Bundestag (la Chambre basse allemande) reflète le score réalisé par les partis politiques lors du scrutin proportionnel (second vote).

Concrètement, la CDU, le parti d’Angela Merkel), et son alliée la CSU, sa branche conservatrice bavaroise, ont obtenu respectivement 185 et 46 sièges (sur 299!) avec le premier vote mais ayant obtenu « seulement » 33 % des voix à la proportionnelle, leur «part » est déjà remplie via le premier mode de scrutin. Ainsi, la CDU n’a eu que 15 élus supplémentaires via le scrutin proportionnel et la CSU 0. Au final, la CDU/CSU a obtenu 35 % des sièges au Parlement (les votes en dessous de 5 % ayant été exclus du partage).

À l’inverse, les Libéraux-démocrates (FDP) ont obtenu 0 élu via le premier mode de scrutin mais avec leur 10,7 % de voix à la proportionnelle, ils ont 80 députés élus soit 11 % des sièges dans le Bundestag.

 

L’entrée fracassante de l’extrêmedroite.

Mais revenons aux résultats des élections. L’information principale de cette élection, c’est bien-sûr l’entrée fracassante de l’extrême droite au Bundestag (la Chambre basse allemande), une première depuis 50 ans.

Avec 12,6 % des voix, l’AfD (Alternative für Deutschland – l’alternative pour l’Allemagne), créée en 2013, est le grand vainqueur de cette élection. Antieuro, eurosceptique et anti-establishment à ses débuts, l’AfD a rapidement viré au parti anti-migrant, populiste et climatosceptique. Mais il serait faux de croire que les voix de l’AfD viennent toutes de la droite traditionnelle et conservatrice (CDU/CSU). Les premières études montrent qu’à l’exception des écologistes et des libéraux, tous les partis, y compris Die Linke (l’extrême gauche allemande), perdent des voix au profit de l’AfD. L’AfD fait d’ailleurs un carton dans les landers de l’est (ex- RDA) en prenant des voix venues directement de Die Linke, un peu comme le FN dans le nord de la France.

 

L’effondrement des gros partis.

L’autre élément important, c’est l’effondrement des partis « traditionnels » (CDU/CSU et SPD – socio-démocrates).

Jamais, depuis la guerre, le score des 2 grands n’avait été aussi bas (53 %) alors qu’ils avaient dominé la vie politique jusqu’à présent (avec 70 à 80 % des voix). La CDU/CSU fait le plus mauvais score de son histoire (33 %) : il faut remonter à Mitterrand en 1988 (34 %) pour voir un candidat faire mieux que Merkel sur 1 tour). Pour un parti au pouvoir depuis 12 ans, il y a pire en Europe!

Angela Merkel semble toujours pouvoir compter sur une certaine base électorale solide outre-Rhin. Mais la catastrophe est surtout pour le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti Social-démocrate allemand) qui fait aussi son plus mauvais score avec à peine 20 % des voix, Lui qui obtenait encore 40 % au tournant du millénaire a essuyé une troisième défaite consécutive avec un score de 25 % des voix en 2009 et en 2013 et désormais 20 %. Cette fois-ci, la cure d’opposition est nécessaire, la remise en question indispensable, car si le SPD a perdu des voix, c’est autant pour avoir gouverné avec la droite (CDU/CSU) dans une grande coalition (2005-2009 et 2013-2017) qu’à cause des politiques libérales qu’il a menées quand il était à la Chancellerie (1998-2005). Les réformes Schröder, dites Hartz IV, qui ont libéralisé et flexibilisé à outrance l’économie allemande ont certes permis à l’Allemagne de plutôt bien traverser la crise économique mais surtout au détriment des millions de travailleurs pauvres dans le pays et des autres économies européennes, notamment dans la zone euro, qui se retrouvent concurrencées de façon non loyale par le modèle économique allemand.

Finalement, avec une poussée de l’euroscepticisme et une extrême-droite entre 10 et 20%, un effondrement des partis traditionnels particulièrement forts chez les socio-démocrates qui ont épousé les thèses économiques libérales, l’Allemagne se banalise. C’est à la fois extrêmement inquiétant que cela devienne « banal », notamment en Allemagne où il existait un consensus politique et démocratique, mais c’est aussi symptomatique de quelque chose qui ne fonctionne plus ni en Allemagne ni en Europe.

La Jamaïque à Berlin. Dès lors, la question qui se pose à Berlin est : «Quelle coalition va gouverner outre- Rhin, les autres partis ayant plutôt fait des scores ”classiques” ? ». Les Libéraux (FDP) qui, en passant sous le seuil de 5 % en 2013, avaient disparu pendant une mandature sont de retour avec un score de 10,7 %, Die Linke progresse légèrement et obtient 9,2 % et les écologistes résistent bien mieux que prévu avec un léger gain d’un demi-point à 8,9 %.

Ces derniers pourraient jouer un rôle décisif en Allemagne. En effet, Angela Merkel a rejeté toute alliance avec l’AfD et Die Linke. Le SPD, au sortir des résultats, a refusé d’entrer dans une nouvelle « grande coalition ». Désormais, si on exclut la possibilité d’un gouvernement minoritaire, de nouvelles élections ou, encore moins probable, la fin de l’alliance historique CDU/CSU, il n’existe qu’une coalition possible pour assurer une majorité absolue : la jamaïcaine.

Cette coalition fait référence aux couleurs du drapeau du pays de Bob Marley et des partis politiques membres de ladite coalition (noir pour la CDU/CSU, jaune pour le FDP, vert pour les Grünen (écolos). C’est la seule majorité absolue possible dans le système actuel mais il sera extrêmement difficile de trouver un compromis surtout qu’une telle coalition à trois serait une première au niveau fédéral. Merkel, sous pression à cause la CSU (à l’intérieur) et l’AfD (à l’extérieur) ne pourra plus avoir les coudées franches comme lors du précédent mandat, notamment sur sa politique migratoire malgré le soutien des écologistes. Sur la fiscalité ou le nucléaire, les Verts et les jaunes sont aux antipodes les uns des autres. Enfin, le FDP est eurosceptique et refuse toute intégration européenne supplémentaire quand les Grünen y sont favorables.

 

L’Europe en jeu. Et c’est bien là que tout se joue. Mardi 26 septembre, 48h après le vote en Allemagne, Emmanuel Macron a prononcé son discours sur l’Europe. Et quoi qu’on en pense, cela faisait une petite décennie qu’un Président français n’avait plus définie clairement et publiquement sa vision pour l’Europe. En octobre ou novembre prochain, en pleine négociation pour former un gouvernement outre-Rhin, il en prononcera un nouveau au Parlement européen à Strasbourg. Et en décembre, le Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement devront répondre aux 5 scénarii proposés par Jean Claude Juncker, Président de la Commission européenne, sur l’avenir de l’Europe. Jamais la France n’a semblé aussi prête à faire le saut vers plus d’Europe et jamais l’Allemagne n’en a été aussi éloignée.

À l’heure du Brexit, et alors que tous les pays doivent réfléchir au futur de l’Europe, les élections allemandes n’ont jamais autant été au coeur de l’Europe.

Roccu Garoby

Vice-Président de l’ALE Jeune.

 

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