Après le film documentaire de Jackie Poggioli, « Fucilati in prima lìnea », en 2014, le court métrage de Jean-Marie Antonini «Aiò zitelli » interpelle à nouveau sur le douloureux sujet des fusillés pour l’exemple durant la première guerre mondiale. Las d’attendre que tombe le tabou depuis Paris, l’Assemblée de Corse, plus haute institution de l’île, a prononcé de manière solennelle, la réhabilitation des fusillés pour l’exemple insulaires. Ce geste symbolique se veut une interpellation de plus vis-à-vis du gouvernement pour que cesse cette injustice et que puissent enfin reposer en paix ces hommes arrachés à leur famille de manière injuste. Assassinés par leur propre armée. Voici cette résolution adoptée à l’unanimité par l’Assemblée de Corse à la demande du président du Conseil Exécutif :
Vu la délibération n° 11/188 AC de l’Assemblée de Corse, en date du 29 juillet 2011, portant adoption d’une motion relative au documentaire « Fucilati in prima lìnea » réalisé par Jackie Poggioli et sollicitant la réhabilitation des soldats corses fusillés pour l’exemple, dont les termes sont tenus pour répétés dans le cadre de la présente résolution ;
- Considérant que les Fusillés pour l’exemple de 14-18, les Corses comme ceux de l’Hexagone, de l’Outre-Mer et de l’empire colonial français, ont été condamnés et exécutés dans le cadre de procédures entachées d’arbitraire, relevant d’une justice d’exception et expéditive ;
- Que ces tribunaux militaires étaient composés de juges improvisés, souvent guidés par des préjugés xénophobes ; qu’ils faisaient comparaître des accusés en situation de faiblesse et de vulnérabilité psychique et physique, souvent victimes de syndromes traumatiques consécutifs à des bombardements intenses, parlant et comprenant mal le français, et privés des droits attachés à un procès équitable, y compris en temps de guerre ;
- Considérant que la réhabilitation effectuée durant l’entre-deux-guerres de quelques victimes parmi lesquelles deux Corses, Joseph Tomasini et Joseph Gabrielli – lequel n’aurait, pour sa part, même pas dû être mobilisé en raison d’une déficience mentale – apparaît comme une mesure partielle et insuffisante ;
- Considérant que seule une réhabilitation officielle et collective est conforme à l’exigence de justice des familles des fusillés, et de tout citoyen attaché aux valeurs de justice, d’humanité, et d’équité ;
- Considérant que l’État n’a donné à ce jour aucune réponse à la première demande en ce sens de l’Assemblée de Corse, en date du 29 juillet 2011; que ce silence est d’autant plus douloureux et incompréhensible qu’un hommage officiel a été rendu par le ministre délégué aux Anciens combattants, en novembre 2012, à un soldat continental injustement passé par les armes, suite à une lettre adressée à l’Élysée en juin 2012 par des collégiens de la région de ce fusillé;
- Considérant qu’après une velléité de règlement individuel des dossiers relevant de choix totalement arbitraire opérés par l’État entre les victimes, et à qu’autres termes d’effets d’annonce, de tergiversations et de mesures dilatoires, les autorités de la République ont finalement refusé en 2014 le principe de toute réhabilitation, qu’elle ait lieu après examen au cas par cas par une commission de spécialistes ou sous forme collective, ceci malgré une montée en puissance de la mobilisation sur le sujet, en Corse comme en France continentale ;
- Considérant que les collectivités de l’île, et singulièrement la Collectivité territoriale de Corse, mais aussi le peuple corse dans son ensemble, se sont fortement mobilisé et impliqués pour obtenir justice, et ce à travers plusieurs initiatives : association oeuvrant sur le sujet, pétition signée par des élus de tous bords et des centaines d’insulaires, motions votées par diverses instances délibératives, inscription en 2013 sur le monument aux morts de Casabianca, apposition en 2014 à Auddè d’une stèle, publication d’un ouvrage de Frédéric Bertochini et réalisation d’oeuvres audiovisuelles sur le sujet, comme le courtmétrage sorti récemment, Aiò zitelli, de Jean-Marie Antonini ;
- Considérant que, malgré le refus de l’État de tout règlement de cette question, les insulaires ne se sont pas résignés à mettre un terme à la mobilisation sur le terrain, Le Conseil Exécutif de Corse et l’Assemblée de Corse saluent la mémoire de tous les soldats fusillés pour l’exemple, Corses comme de toutes origines et nationalités, et celle des soldats condamnés au bagne ou à la prison dans des conditions constitutives d’injustice et d’arbitraire, ainsi que des victimes disparues dans le cadre d’exécution extra-judiciaires, individuelles et collectives,
Regrettent le refus persistant de l’Etat de reconnaître ces injustices dont le principe est avéré, ceci alors même que la France est, selon les historiens, la puissance occidentale qui a exécuté le plus grand nombre de ses propres soldats en 14-18,
Rendent hommage à tous ceux qui, en Corse et ailleurs, depuis des années, se sont mobilisés, ont lutté et luttent encore pour la réhabilitation des fusillés, Souscrivent à la demande de réhabilitation de ces soldats et souhaite donner à cette décision sa dimension la plus officielle et solennelle,
Prennent acte, pour le regretter, de ce que les plus hautes autorités de l’Etat semblent être hostiles à toute procédure de réhabilitation, alors que d’autres pays, comme le Canada, la Nouvelle Zélande et la Grande-Bretagne ont depuis des années engagé une telle démarche,
Décident en conséquence de ne plus attendre un éventuel texte de loi pour prendre une position déclarative officielle, pour ce qui concerne la Corse et les Corses,
Déclarent donc solennellement la réhabilitation collective des fusillés insulaires pour l’exemple,
Espèrent que cette initiative propre à la Corse sera un levier susceptible, au soutien des autres démarches engagées, d’ouvrir une nouvelle étape dans la mobilisation sur le sujet, au-delà de l’île et dans les institutions de la République, pour parvenir à ce que le processus permettant de conduire à la réhabilitation collective de tous les fusillés pour l’exemple de la guerre 1914-1918 soit enfin inscrite dans la loi.