Le jour d’après

Incendie de Chjatra : qui paie l’addition ? Rencontre avec Dumè Martelli

On n’imagine jamais tout perdre.

Se retrouver du jour au lendemain avec pour seuls biens les vêtements que l’on porte sur le dos. C’est un traumatisme difficile à comprendre quand on ne le vit pas. La famille Martelli n’a plus de maison, plus de meubles, plus d’habits, plus de bijoux de famille, plus de papiers, plus de photos souvenirs… plus rien. Sa vie, celle d’avant, s’est arrêtée ce jour maudit du 3 janvier 2018 où un terrible incendie a tout détruit en quelques minutes à Chjatra, leur village. Eux-mêmes ont été épargnés de justesse.

Et l’élan de solidarité dont on a parlé dans la presse a lui-même été sélectif.

Il a in fine occulté cette réalité d’un vide, une souffrance insupportable, le « jour d’après ». Car quelle que soit cette solidarité, comment peut-elle ne serait-ce qu’atténuer une si épouvantable réalité ? L’opinion publique, les officiels se rassurent le temps d’une distribution d’eau, mais les victimes, elles, restent avec leur drame et leur amertume, anéanties par l’injustice qui les frappe. Pire, elles savent qu’après le leur, viendront d’autres drames, d’autres souffrances, qui viendront raviver leur colère. C’est pourquoi Dominique Martelli ne veut pas en rester là.

Un peu plus d’un mois après, il livre son témoignage. Lui, sa maman, sa sœur, tous trois ont perdu leur maison, la maison de famille, et tous les biens qu’elles contenaient, trois maisons sur les dix qui ont été détruites dans l’incendie de Chjatra. Les responsables ? Des décennies de mauvais choix, d’incompétences et de lascia corre… Mais se sont les victimes, in fine, qui paient l’addition.

Arritti leur donne la parole…

 

Dumè Martelli :  la vie de ma famille a basculé. À 20h15 une tempête de feu surgissant de derrière la montagne s’est subitement déchaînée. Alerté par la forte hausse de température, j’ai découvert que notre maison était encerclée par les flammes. Quand j’ai constaté que les 200 mètres du chemin qui nous séparait de la route départementale étaient devenus une fournaise aveuglante, j’ai pensé que nous allions y laisser la vie.

Tout a été réduit en cendres, anéantissant la mémoire de nos vies. Nos photos d’enfance, celles de mes parents, de mes grands-parents et arrière grands-parents, sont parties en fumée. Tous les

meubles et objets qui ont accompagné durant des décennies notre existence ont disparu. Les murs de notre maison, que mon regretté père avait construite de ses propres mains, devront être rasés.

Tous les biens que, durant des années, j’avais patiemment réunis dans la perspective de mon départ à la retraite le 1er janvier, se sont consumés.

 

S’y ajoute l’amertume, de ceux qui se sentent abandonnés…

C’est pour ma maman, âgée, que le choc a été le plus terrible. Et tous nos biens ont été détruits sans que qui que ce soit ne tente d’éteindre le feu durant les heures qui ont suivi.

Nous-nous sommes relogés par nos propres moyens et n’avons bénéficié, à ce jour, d’aucune aide, que ce soit de l’état ou des collectivités. De surcroît, des allégations calomnieuses circulent, qui prétendent que nos maisons n’auraient brûlé que parce que notre terrain aurait été mal entretenu. Ceci est un mensonge blessant. Un entretien long et soigneux de nos terrains a été réalisé, depuis l’été jusqu’au mois d’octobre, par un professionnel qui m’a fourni à chaque fois des factures assorties de photos des travaux réalisés, que ce soit pour le village ou pour la plaine. Et j’ai été particulièrement

vigilant cette année, car j’ai demandé de doubler la distance de la maison, l’entreprise a procédé au nettoyage de 40 à 50 mètres supplémentaires par rapport à ce que nous réalisions d’habitude.

Oui mais le voisinage ne fait pas ce qu’il faut. Amertume donc… mais aussi colère ?

Le 3 janvier au soir, personne ne nous a prévenu que le feu de Chjatra se dirigeait vers nous. L’incendie est parti en fin d’après-midi sous une ligne électrique reliant Chjatra à Petra di Verde, à plusieurs kilomètres de notre domicile.

Il a d’abord détruit notre maison familiale du village de Chjatra, sans que nous le sachions, puis a descendu la vallée, caché de notre vue, jusqu’à a plaine où il a anéanti notre domicile ainsi que celui de ma soeur, et, surtout, failli nous ôter la vie. Le hameau d’une vingtaine de maisons dans lequel nous résidons s’est trouvé livré à lui-même alors, que le feu dévalait les pentes depuis des heures.

 

Personne n’est venu vous évacuer ?

On est sorti au milieu des flammes avec maman. J’ai bien cru que notre dernière heure arrivait. Heureusement, j’ai pu prendre mon véhicule. Et lorsque nous avons rejoint les services de secours, personne ne savait qu’il y avait des gens dans ce hameau ! Les circonstances de cette catastrophe m’ont amené à porter plainte contre X auprès de la gendarmerie de Cervioni. Les élus seraient bien inspirés s’ils exigeaient, avec davantage de vigueur l’enfouissement de lignes électriques qui surplombent de véritables forêts éminemment combustibles.

Le prix à payer serait sans-doute inférieur au coût des préjudices environnementaux et matériels dus aux incendies, sans parler du coût humain.

 

Vous avez alerté EDF ?

J’ai reçu la visite d’un de leurs experts.

Ce seul fait démontre qu’ils savent bien le danger que font peser les lignes électriques.

Et, malheureusement, l’incendie de Chjatra n’est pas le premier ! EDF nie être responsable de l’incendie du 3 janvier mais les photos que j’ai pu prendre sur le site parlent d’elles-mêmes. Au moment d’événements climatiques comme nous l’avons connu, les arbres qui s’abattent sur les lignes sont un risque évident. Les fils qui se touchent dans cette la chute créent des étincelles incendiaires. Ma plainte sera-t-elle instruite correctement ? Il ne s’agit plus de moi. J’ai tout perdu. Mais il faut anticiper sur les drames à venir. Sous le prétexte de transporter l’énergie électrique, ces lignes font courir un danger terrible à un environnement abandonné.

Vous attendez aussi que la Collectivité de Corse se mobilise ?

J’aurais voulu que la Collectivité de Corse lance sa propre enquête. Plusieurs personnes auraient pu y laisser la vie et ont tout perdu dans l’incendie. Il faut tirer les leçons politiques de ce sinistre parce que, sans nul doute, cela va se reproduire. Dire que le coût de l’enfouissement des lignes est trop élevé ne peut pas être un argument lorsque des vies sont en jeu et lorsque le coût pour l’environnement et pour la société est si important. C’est sur cet autel du coût de l’enfouissement des lignes que j’ai été condamné avec ma famille et je ne peux pas l’accepter.

Je ne suis ni un procureur ni un politique, je ne suis même plus journaliste, mais je pense que la question de la sécurité des lignes électriques devrait être une priorité politique. Sinon, à quoi sert de parler de l’intérieur de la Corse et de la perte de l’âme de notre peuple?

Nous avons fait le choix de vivre au village.

Nous avons entretenu nos maisons, démaquisé leurs alentours. Et nous payons le prix de ceux qui abandonnent et assassinent notre intérieur.

C’est injuste.

1 Trackback / Pingback

  1. Stampa Corsa, informations corses – Incendie de Chjatra : qui paie l’addition ? Rencontre avec Dumè Martelli

Les commentaires sont fermés.