Edmond Simeoni

L’ héritage

Ce 25 mars, devant un amphithéâtre plein, l’Università di Corsica conviait à un hommage à Edmond Simeoni.

Son épouse Lucie, ses fils Gilles et Marc, son frère Max, militants et amis, jeunes et anciens étaient présents a cette soirée qu’animait Alain Di Meglio. Après la perte immense de sa disparition, le 14 décembre dernier, l’Université voulait ainsi saluer le parcours de cet homme d’exception, la référence qu’il est pour tout un peuple, mais aussi et surtout, parmi tous les combats qu’il a portes, le militant qu’il a été pour la cause de l’université. Un hommage solennel et émouvant, fort des messages qu’il nous a légués.

 

Sur un écran géant, la photo d’Edmond, son regard pénétrant, et une citation qui résume son engagement pour cette institution, parmi les premiers combats et les plus belles victoires d’un peuple en reconquête de volonté d’être et d’espoir d’avenir pour sa jeunesse : « Elle est la semence et l’espérance de notre Peuple. Nous avons un immense devoir d’éducation et de formation, de prévoyance, de soutien, de préparation à leur insertion dans la vie active. Avoir contribué à arracher à l’État et au clan, la réouverture de l’Université de Corse, est un des fleurons de notre combat pour l’émancipation ».

 

Paul Marie Romani, Président de l’Université « heureux et ému de manifester notre reconnaissance pour tout ce qu’il a entrepris au service de la Corse » prenait le premier la parole, rappelant le rôle d’Edmond Simeoni pour la réouverture de l’Università, pour ce qu’elle est devenue, et pour la dimension qu’elle a prise près de 40 ans plus tard, « la reconnaissance académique, institutionnelle, nationale, internationale» qu’elle a gagnée s’affirmant au-delà de toutes les difficultés comme une « université de plein exercice, ancrée dans son territoire, et ouverte sur le monde ».

Il a rappelé surtout que son premier acte militant pour l’Université, fut de se faire étudiant pour passer un DEA, après un infarctus en 1983 qui l’éloigna de la vie politique.

Le président Romani souligne encore le caractère « téméraire et totalement désintéressé » de cet « humaniste et progressiste », « sa constance » et son altruisme.

Edmond nourrissait en permanence des projets et s’appuyait toujours sur l’Université pour les conduire, pour « promouvoir l’université, la mettre au coeur du dispositif ».

Quoi de plus logique et naturel alors que de donner au prochain Bâtiment des Sciences et Ressources Humaines le nom d’Edmond Simeoni ?

Francine Demichel, présidente de la Fundazione di l’Università livrait à son tour son témoignage et son souvenir d’un homme « extrêmement cultivé, curieux, chaleureux ». L’Université, « c’était pour lui une affaire de coeur » avant toute chose. « Il avait l’intelligence subtile des situations » témoigne-t-elle avec justesse.

Il avait compris ce que devait être cette université, une institution « en lien particulier avec la société », et il voulait « accompagner ce développement continu et pacifique ». Un homme d’une dimension exceptionnelle « en résonnance avec le monde ».

Puis c’est au tour de Ghjàcumu Thiers, in lingua corsa, de parler d’Edmond et du combat mené pour la réouverture de l’Université. « Impussìbule fà una sìntesi. Vi rendite contu di a stòria ch’ellu ci hè custì ! » s’exclame l’universitaire, militant de la langue et de la culture corse. Il dénonce les « putachji » qu’il a fallu déjouer, les prétextes, les freins, les difficultés de toute nature pour bâtir cet outil. Il souligne le « rayonnement de l’Université dans la société » qu’Edmond Simeoni a grandement contribué à faire naître. Parle encore « di l’omu di diàlogu », « generosu », à l’opposé de ceux qui le présentait comme « un omu di viulenza ». Et de rappeler son engagement pour la Non-Violence et ses contributions à la revue Alternatives Non- Violentes animée par François Vaillant.

Le politologue Andria Fazi s’exerce au travail difficile du témoignage qui ne veut pas verser dans la biographie que ne voulait pas Edmond. Son humilité faisait qu’il préférait qu’on parle plutôt du combat et de tous ceux qui l’ont mené. Mais pour Andria Fazi on ne peut faire l’impasse sur « la légende, l’icône » et souligner qu’on trouve très peu de personnalité avec une telle dimension.

Même s’il n’a pas toujours fait l’unanimité, son implication, sa volonté font qu’il a touché tous les coeurs, toutes les consciences. Andria Fazi évoque Aleria, « le choc moral », la réaction disproportionnée de l’État qui signe ainsi sa défaite. La condamnation, la sortie de prison, « la construction d’un organe politique de masse » à travers l’UPC (Unione di u Populu Corsu). Il parle aussi de la première Assemblée de Corse, le rôle qu’il y a mené. Sa relation avec la violence, le fait, paradoxal par rapport au tournant d’Aleria, qu’il a toujours oeuvré plutôt à la contenir. Edmond, c’est aussi la construction européenne, le fait qu’il ait contribué à faire comprendre son apport indispensable à la construction économique, puis politique, du pays, la naissance de l’ALE après une initiative prise en 1979 à Bastia d’accueillir plusieurs députés européens. Andria Fazi souligne l’importance de cette « dynamique européiste », l’adhésion à « l’idéal d’une Europe des régions ».

Jacqueline Bosseur-Acquaviva évoque à son tour l’étudiant que fut Edmond Simeoni avec un DEA sur « Le chant et la musique liturgique dans la pieve de Niolu » où il développe la puissance du « cantu sacru » lien de solidarité, d’histoire et de l’âme du peuple corse. L’universitaria ci spieca in lingua corse « l’attu militente » ch’hè stata ssa scriz scrizzione cum’è studiente à l’Università Pasquale Paoli pocu dopu à a so riapertura. Ci si vede una « vuluntà d’accumpagnà un òpera cullettiva » et « a lea cù i so lochi », a pieve di Niolu, u paese di Lozzi, cum’è una «manera di vede è di campà u locu… in un sìntimu d’appartinanza cumuna ». Hè un mezu « di staccassi di i partidoni è i partidelli » dice torna Jacqueline Bosseur-Acquaviva, per « adunisce ». Infine, u Niolu cum’è « sìmubulu di a resistenza corsa », si parla quì di stòria, cù l’impiccati di Niolu, ma dinù di a nostr’èpica cuntempurànea.

Infine, Jacqueline Bosseur-Acquaviva sottulìnea « l’arte di a parolla » ch’ellu avìa Edimondu Simeoni. Una manera ch’avvicina l’impruvisatori niulinchi.

Pour chaque témoignage qui nous fait revivre les échanges, les rencontres passées en compagnie d’Edmond Simeoni, des applaudissements fournis et une salle qui entre en communion sur l’évocation de ces souvenirs, comme elle le faisait à chacune de ses prises de parole.

Alain di Meglio rappelle qu’Edmond était aussi un parolier. Il a écrit une chanson dans le dernier CD de Michèle Sammarcelli. Résonne alors «À u Duttore Simeoni » d’I Fratelli Vincenti, interprété par Jean-Baptiste De Nobili et Jacques Luciani.

Leur succèderont trois jeunes filles, du groupe Suarina, créé et formé au sein de l’Atelier du Centru Culturale et Universitariu. Un autre bel hommage qu’a du grandement apprécié Edmond Simeoni depuis son ailleurs, lui pour qui la jeunesse et la femme prenait une place si grande dans les combats de sa vie.

On lit des textes d’Edmond Simeoni, écoutés religieusement, sa parole nous reste en héritage de tant de messages à faire fructifier et à transmettre.

Enfin, son frère, Max, livre son témoignage, pour insister sur l’importance justement de cet héritage historique, ce monde qui a pétri l’âme corse, cette culture agro-sylvo-pastorale, de la ruralité, des liens de la terre et de la langue. « L’université a un rôle important à jouer » dans la transmission de cette culture qu’il nous faut impérativement conserver pour rester nous-mêmes, « il faut que les Corses restent attachés comme nos anciens l’étaient, mais en même temps fassent la mutation moderne de la Corse.

Non pas d’un tourisme prédateur et immobilier, mais d’un tourisme constructif, enrichissant… Cette université doit faire la mutation… pour faire de la Corse un modèle écologique, de modernité.

Finalement, nous sommes à l’avant-garde d’une civilisation qui se cherche » a conclu Max Simeoni, avant que toute la salle n’entonne le Diu vi Salvi Regina.

« Ceux qui croient en l’homme, disait Edmond dans sa thèse, en la fraternité, en la tolérance, ne seront jamais déçus. Leurs champs d’action est inépuisable et intarissable est la source des joies intérieures qui transcendent même la mort ».

Ses livres, ses analyses, ses réflexions, sur chacun des thèmes forts de notre présent et de notre avenir lui survivent.

Et son message est encore pour la jeunesse qui bâtira ce pays : « les nouvelles générations bâtiront la Corse réconciliée avec elle-même, avec la fraternité sans aucune exclusive, avec la démocratie résolument moderne dans son identité et dans son économie. Le droit est de leur côté, accompagné par une volonté granitique et triomphera sûrement ».

Edmond reste une lanterne dans le brouillard de nos difficultés et de nos erreurs, il continue à nous tracer le chemin. Le combat continue.

 

Fabiana Giovannini.

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