Lentement, mais sûrement, la crise catalane devient une crise européenne. Le 7 décembre prochain, une manifestation envahira les rues de Bruxelles pour réclamer la libération immédiate de ceux qui ont passé déjà beaucoup trop de jours en prison.
Voilà un mois qu’Oriol Junqueras, Raul Romeva, mes anciens collègues du Parlement Européen, auxquels je porte une très haute estime, et six autres membres du gouvernement catalan, ont été jetés en prison. Un gouvernement légitime a ainsi été délibérément incarcéré comme cela avait cours dans l’ancienne Union Soviétique. À quand les chars à Barcelone comme en son temps à Prague ou Budapest ? Leur incarcération était un scandale, leur maintien en détention est une atteinte continue, et chaque jour aggravée, à la valeur de base de la construction européenne, la démocratie. Car ils ne sont coupables que d’une chose: avoir donné la parole au peuple.
D’ailleurs, les autorités belges sont bien embarrassées face au mandat d’arrêt européen lancé par le procureur madrilène. Le délit de « sédition» comme celui de « rébellion » n’existent pas dans le droit belge, si bien que nul ne peut y être poursuivi pour un chef d’inculpation tout droit sorti de l’arsenal judiciaire hérité du franquisme. Le troisième chef d’inculpation, celui de « détournement de fonds », est fondé sur les dépenses engagées par la Generalitat pour la tenue du referendum du 1er octobre 2017. Personne n’avait jamais imaginé, en Belgique ni ailleurs en Europe, que l’on pouvait risquer la prison pour avoir acheté des urnes !
Pour les Catalans, le comble de l’outrance est là. Car, en matière de «détournement de fonds », le Partido Popular que dirige Mariano Rajoy depuis une douzaine d’années, est largement « champion d’Europe », et de très, très, très loin.
Les enquêtes en cours ont mis à jour un système organisé de détournement des fonds publics, principalement à Madrid, Valence, Majorque, où les marchés publics ont été régulièrement ponctionné de 3 % pour des commissions servies à la classe dirigeante du Partido Popular. Son trésorier Luis Barcena est en prison avec d’autres dirigeants parmi les plus importants du parti, et Mariano Rajoy lui-même a été entendu pour avoir bénéficié de versements provenant de ces détournements à hauteur de 22.500 € annuels. Sa ligne de défense « je n’étais pas au courant de l’origine de ces fonds » n’est crédible pour personne.
Des dizaines de hauts responsables du Partido Popular sont incarcérés pour enrichissement personnel, pour des sommes atteignant des dizaines de millions d’euros cachés dans les paradis fiscaux. Au total 175 circuits de corruption ont été mis à jour, pour un montant total de 45 milliards d’euros annuels. À titre de comparaison, le budget total de la Catalogne s’élève à 30 milliards d’euros ! La frénésie de corruption a été telle que l’on a été jusqu’à construire des aéroports sans avion (à côté de Valence et à Ciudad Real), des TGV sans passagers, des stades sans équipes pour satisfaire les grandes entreprises du CAC 40 espagnol (IBEX) où les mastodontes du bâtiment font la loi économique du pays.
S’il est un motif qui explique le divorce entre la Catalogne et l’Espagne, il tient à cette corruption généralisée instaurée par ceux-là mêmes qui agressent la Catalogne et jettent ses dirigeants légitimes en prison. Pour les Catalans, leurs impôts n’ont jamais servi qu’à enrichir la caste au pouvoir à Madrid, et non à venir en solidarité à des régions plus pauvres d’Espagne.
Les élections du 21 décembre prochain interviennent dans un climat de totale incertitude démocratique. Les partis indépendantistes font campagne, mais leurs têtes de liste sont soit en prison à Madrid, soit en exil à Bruxelles. Pourtant les sondages indiquent une stabilité du corps électoral et prédisent qu’ils retrouveraient la même majorité dans la future Generalitat.
Dès lors, le débat catalan rebondira à nouveau. Et l’Europe devra enfin dire quel est son camp, celui de la corruption ou celui de la démocratie.
François Alfonsi