Au rythme de l’évolution de la contamination dans le monde par le covid19, la tenue ou non du scrutin municipal a évoluée heure par heure dans la nuit précédant l’ouverture des bureaux de vote de ce premier tour. La crise sanitaire s’est imposée comme une montée en charge, et l’intervention du premier ministre le samedi soir, aggravation nette après l’intervention du Président de la République, a jeté le trouble dans les permanences et conduit plusieurs présidents de Région, dont l’Exécutif de Corse, a fait valoir le principe de précaution. Retour sur ces faits.
Lundi 9 mars, 10h. Le Président du Conseil Exécutif de Corse, après plusieurs appels à la prudence et de multiples échanges avec le corps médical insulaire, et les autorités publiques, en Corse ou à Paris, donne une conférence de presse et propose 10 mesures d’urgence au gouvernement pour lutter contre le coronavirus covid19 en Corse, région la plus touchée avec l’Alsace, proportionnellement à sa population : prise en compte de la nature d’île-montagne de la Corse pour définir les mesures spécifiques qui s’imposent eu égard au handicap du relief et de l’insularité, fermeture des établissements scolaires, décalage des examens, mise en place de conditions drastiques d’organisation du scrutin municipal, renforcement drastique des mesures de contrôle dans les ports et aéroports (limitation des débarquements au retour des Corses, contrôle des passagers, mesures de confinement systématiques), dépistage sur place et confinement avec mise à disposition par la CdC d’appartements dédiés, renforcement de la prise en charge sanitaire (moyens, équipement, organisation) dans les secteurs public et privé et association aux décisions du secteur médical (URPS et hôpitaux), plan d’action en faveur des personnes âgées particulièrement exposées aux risques en collaboration avec les EHPAD et les services d’aides à domicile, 100.000€ mobilisés d’urgence pour équipement en masques et gel hydro-alcoolique, plan de communication sur les gestes barrières, mesures économiques pour traverser la crise,..
Jeudi 12 mars, 20h. La situation en France s’aggrave brutalement. Emmanuel Macron annonce de nouvelles mesures face à « la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle » : limitation des contacts maximum, notamment pour les personnes les plus fragiles. Fermeture des Crèches, écoles, collèges, lycées, universités… Incitation au travail à distance pour les entreprises. Demande de limitation des déplacements et des rassemblements. Mobilisation du budget de l’Etat pour soutenir les entreprises.
Cependant, malgré ces inquiétudes et ces appels à la prudence, il précise : « Rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes ».
Vendredi 13 mars, RTL dans son émission Petit Matin, informe que Emmanuel Macron « sous l’influence des scientifiques » voulait faire appel à l’article 16 de la Constitution lui permettant de reporter le scrutin. Mais c’est après consultation des présidents de l’Assemblée, du Sénat et du Conseil Constitutionnel qu’il a à nouveau changé d’avis. Et c’est donc Gérard Larcher, fermement opposé au report, qui a eu le dernier mot !
Samedi 14 mars, 19h, seulement 48 heures après l’allocution du Président de la République, la situation évolue encore, et le Premier Ministre Edouard Philippe annonce des mesures plus dures. Tous les lieux publics « non indispensables », commerces, bars, restaurants, cinémas, discothèques… doivent fermer à compter de minuit et « jusqu’à nouvel ordre ». Sont maintenus ouverts les commerces alimentaires, les pharmacies, banques, stations de service, bureaux de tabac. Le Premier Ministre prône la « distanciation sociale » et appelle les Français à la discipline.
Concernant le scrutin municipal, il explique que « l’ensemble du système politique s’est mobilisé » pour qu’il se tienne, et que les scientifiques ont assuré : « Le premier tour peut se dérouler demain, en respectant strictement les consignes ». Cette précision qui occulte le second tour, jette le trouble, d’autant que…
Le directeur Général de la Santé, Jérôme Salomon, confirme dans la même conférence de presse que la France est passée au stade 3, c’est-à-dire le stade le plus haut de l’alerte, celui qui engage le pays tout entier au confinement. Il annonce le chiffre de 4500 personnes contaminées et précise que c’est « un chiffre qui a doublé en 72h (…) Nous sommes face à une épidémie débutante et rapide sur le territoire national, nous sommes donc désormais en stade 3 ».
Le Président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni pressentant ce passage à la phase 3, le trouble jeté faussant la sincérité du scrutin, twitte à 8h19 le 14 mars : « En tant que Président du Conseil exécutif de Corse, je demande l’annulation du scrutin municipal. Parce qu’il est de mon devoir de protéger les Corses. Et pour que le suffrage universel puisse, une fois l’épidémie vaincue, s’exprimer dans des conditions normales ». Avec le maire de Bastia, Pierre Savelli, il consulte l’ensemble des candidats bastiais pour arrêter une position commune sur Bastia notamment. Il n’est pas suivi.
Michel Castellani, député de la première circonscription de Haute-Corse déclare dans la foulée : « La situation sanitaire s’aggrave. Fermer des commerces et des écoles, tout en maintenant des élections municipales qui vont déplacer des millions de personnes manque de sens ».
En France aussi, des voix s’élèvent de manière simultanée pour demander le report de l’élection, et non des moindres…
François Bayrou, président du MoDem réitère sa demande formulée les jours précédents auprès d’Emmanuel Macron de reporter les élections.
Hervé Morin, président de la Région Normandi déclare à 8h12 « Si la situation sanitaire s’est à ce point aggravée entre jeudi et aujourd’hui au point de fermer la quasi-totalité des commerces, ces élections municipales n’ont pas de sens. Elles doivent être reportées car elles vont s’avérer faussées ».
Carole Olga, Présidente de la Région Occitanie twitte à 8h55 le 14 mars : « Au vu des dernières déclarations du premier ministre et de l’inquiétude grandissante de la population, j’estime qu’il est plus sage de reporter les élections municipales ».
Renaud Muselier, Président de la Région Provence Alpes Côte d’Azur twitte lui aussi à 9h19 : « Il était légitime de maintenir le souffle démocratique de notre Nation ! Mais ce soir, face aux faits, il devient raisonnable, cohérent et même nécessaire de reporter le scrutin municipal. Il devra se tenir une fois l’épidémie vaincue collectivement ».
Valérie Pecresse, présidente d’Ile de France twittait à 11h49, « Incompréhension totale du pays : au vu de la gravité des décisions prises ce soir, comment maintenir le vote aux élections municipales ? Je demande au gouvernement de prendre ses responsabilités et de protéger les Français ».
Pendant qu’un Collectif de médecins urgentistes, réanimateurs, anesthésistes, responsables de centre de prévention des infections… adresse une Tribune au Président de la République pour lui demander également un report des élections municipales : « Dans ce contexte, il nous semble indispensable de repousser les élections dans une démarche de protection de la santé de chacun de nos concitoyens. Ne pas le faire reviendrait à exposer davantage les Français à ce danger. Nous ne sommes en effet qu’au début de cette épidémie. »
Tous ces appels ne sont pas entendus. Le scrutin se tient dans des conditions inédites et paradoxales d’une France en situation de quasi quarantaine, appelant pourtant les citoyens à se rendre aux urnes. Dans de telles circonstances, les résultats, quel qu’en soit le camp, sont entachées.
Le Président du Conseil Exécutif l’exprime dimanche soir avec beaucoup de solennité et d’humilité (lire notre article intitulé : « Déclaration du Président du Conseil Exécutif au lendemain du scrutin municipal »).
L’opposition, que le Président de la République avait dit avoir consultée et qui avait, selon lui, « exprimé la même volonté » de maintien du scrutin, infirme ces dires. Tour à tour, Jean Luc Mélanchon, pour la France Insoumise (« Vous ne nous avez rien demandé concernant le premier tour des municipales. Ne fuyez pas vos responsabilités ! »), Marine Le Pen pour le Rassemblement National (« Je répète que jamais le RN n’a été consulté par le gouvernement sur le report du premier tour des municipales. Ce mensonge répété 100 fois est vraiment suspect »), Radhid Temal pour le PS (« Il n’y a jamais eu ni interrogation du Conseil Constitutionnel, ni des partis politiques sur le report »), s’en offusquent. Le Conseil Constitutionnel communique également pour dire que « à aucun moment et en aucune façon [il n’a] été consulté ou saisi d’un éventuel report des élections municipales ou d’une question qui lui serait liée ». Tandis que Gérard Larcher pour le Sénat, déclare que le stade 3 n’a pas été évoqué avec le Président Macron et que si ça avait été le cas « ma position aurait été différente ». Surprenant !
Dimanche 15 mars, après la tenue du scrutin, Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, candidate à la mairie de Paris, confirme ses craintes exprimées les jours précédents : « Je veux mettre fin à cette mascarade des élections, ça suffit ». Elle se confie au journal Le Monde : Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous… je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu ». « Depuis le début, je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter… la dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. J’ai vécu cette campagne de manière dissociée ». Elle ajoute encore avoir averti le Premier Ministre « dès le 30 janvier » que « les élections ne pourraient sans doute pas se tenir »…
Mais le scrutin s’est tenu. Dès le lendemain du premier tour, le Président de la République a reporté le second tour et a augmenté encore les mesures de confinement.
Une semaine plus tard, plusieurs municipalités et listes engagées à Paris, en Ile de France, dans le Val d’Oise, dans le Puy de Dôme,… informaient que des assesseurs et un président de bureau étaient testés positifs au coronavirus.
Rédigé le 23/03/2020