Gilles Simeoni

« Nous ne renoncerons jamais »

Pour la troisième fois dans l’histoire, l’Assemblée de Corse a adopté une résolution qui affirme l’existence du peuple corse «Corses d’origine et Corses d’adoption » avec, cette fois, la plus forte majorité  jamais obtenue : 48 voix, plus de 76% de la représentation élue de la Corse ! Et pour la première fois, avec la même majorité de 48 voix sur 63, elle a délibéré sur un article prévoyant l’inscription dans la Constitution de la Corse et de son droit à l’autonomie. Pour que nos lecteurs comprennent les enjeux de ce débat, nous revenons sur ses grandes lignes avec le Président du Conseil éxécutif, Gilles Simeoni.

Déception après la rencontre avec le premier ministre ?

Gilles Simeoni :

Le Premier ministre nous a dit avoir pris acte de notre délibération et confirmé qu’il y aura bien un article spécifique de la Constitution consacré à la Corse, mais il n’a pu nous dire ce qu’en sera le contenu. Pour notre part, nous sommes très clairs. nous avons un vote très largement majoritaire.

À Paris, pour l’instant, il n’y a pas de volonté de se hisser à la hauteur des enjeux au plan politique, et donc au plan constitutionnel.

Nous en prenons acte.

Nous pressentons bien que la proposition sera très en retrait de nos attentes. Nous ne sommes pas plus avancés, nous sommes juste confirmés dans nos inquiétudes. Une reconnaissance simplement formelle dans la Constitution n’aurait aucun sens, elle ne pourrait se comprendre que si elle ouvrait un certain nombre de droits à la Corse et permettrait de déverrouiller des obstacles juridiques qui jusqu’’à aujourd’hui ont empêché l’adoption de politiques publiques dont nous avons besoin. Ce qui est surprenant, c’est l’absence de réponse, y compris quant aux domaines qui pourraient être dévolus à la Corse dans le cadre d’un pouvoir d’habilitation.

 

Plus précisément ?

Les représentants de l’État nous ont demandé de faire la démonstration du besoin d’une habilitation permanente. Nous avons fait cette démonstration, notamment dans le domaine de la fiscalité du patrimoine, de l’écotaxe, du foncier, et avons emporté la conviction de Madame Gourault qui nous a dit “l’habilitation au coup par coup, ça ne marche pas chez vous ” (cf. le rapport Chaubon avec 40 demandes au fil des mandatures et deux seulement qui ont été suivi d’effet). Ça ne marche pas non plus ailleurs, notamment dans les départements d’Outremer où l’adaptation n’a pas fonctionné. La ministre nous a donc dit que nous n’irions pas vers une adaptation au coup par coup, mais sur une habilitation pleine et entière, pérenne.

 

D’autres points d’accord ont été actés lors des travaux des commissions des évolutions statutaires et des compétences législatives et réglementaires ?

Quatre points qui font l’architecture de la formulation que j’ai proposée :

1°/ la demande d’un article constitutionnel spécifique régissant le statut de la Corse

2 ° / L’inscription, au sein de cet article, des motivations justifiant un traitement spécifique de la Collectivité de Corse, notamment eu égard aux réalités objectives du territoire: cumul de contraintes, insularité, caractère montagneux, identité culturelle et linguistique.

3°/ L’identification, au sein de l’article constitutionnel, des blocs de compétences dans lesquelles la Collectivité de Corse est habilitée à intervenir dans le domaine de la loi et du règlement. Et nous avons acté ensemble à l’unanimité, les domaines de la fiscalité, de la protection du patrimoine linguistique et foncier, et du développement économique et social.

Nous avons également avancé les domaines de l’Éducation, de la Santé ou de l’Aménagement du territoire.                                                                                                                                                              4°/ La référence expresse à l’adoption ultérieure d’une loi organique qui viendrait détailler les domaines de compétences transférées à l’Assemblée de Corse.

 

Ceci dit, il a fallu faire des concessions…

Notre devoir et notre responsabilité sont d’être collectivement des artisans du dialogue, de la démocratie, de l’écoute réciproque et, chaque fois que possible, de rechercher les points d’équilibre qui nous permettent d’avancer aussi loin que possible dans le sens de l’intérêt général.

C’est dans cet état d’esprit et au prix de concessions, que le projet d’article a été rédigé. Parce qu’effectivement, avant de parler de ce qu’il y a dans l’article, il faut aussi parler de ce qui aurait vocation à y être si nous devions voter seuls notre texte en conformité avec notre programme validé par le suffrage universel.

 

Ainsi la reconnaissance de peuple corse n’est pas inscrite dans le projet d’article ?

La résolution solennelle que nous avons adoptée est une réaffirmation de l’existence du peuple corse en des termes qui ont été validés déjà il y a 30 ans par notre Assemblée. Cette notion est fondatrice de notre engagement.

Elle est ce pourquoi des générations de femmes et d’hommes se sont battus depuis des décennies. Pour nous, le peuple corse existe, il est une évidence, historique, culturelle, sociologique et politique. Et nous ne renoncerons pas, nous ne renoncerons jamais, jusqu’à atteindre notre objectif par les voies de la démocratie et du droit, à faire reconnaître juridiquement l ’existence de ce peuple et de ses droits. Mais ce qui nous guide aussi c’est la volonté de réussir, parce qu’il faut prendre le train constitutionnel pour permettre à la Corse l’adoption de mesures qu’ aujourd’hui la Constitution n’autorise pas et que sa révision va permettre de mettre en oeuvre dans des domaines très concrets.

 

Par exemple ?

Répondre à des problèmes posés au quotidien par tous les Corses dans des domaines fondamentaux, foncier, fiscalité, mais aussi p lus concrets, la prise en charge des accompagnants des enfants cancéreux sur le continent par exemple. Le code de la sécurité sociale ne le permet pas aujourd ’hui parce que nous sommes victimes d’une double contrainte , d’ abord l’insularité, ensuite parce que nous sommes le seul territoire de l’ensemble français qui n’a pas de CHU. De même, les aides sociales fixées selon des critères nationaux ne prennent pas en compte le fait que la vie coûte plus cher de 10 à 15% au quotidien en Corse. Et que donc, avec 5 00 euros de minima social, vous n’avez pas le même pouvoir d’achat que sur le continent. Sans des institutions adaptées à nos réalités et à nos besoins, sans des pouvoirs et des compétences, adaptés à la spécificité de nos problématiques, nous ne pourrons pas réussir.

 

Comment convaincre davantage ?

Nous devons faire nos preuves, expliquer, démontrer par la pratique, continuer le débat avec l’ ensemble des forces économiques, sociales et culturelles.

Le projet d’article n’est pas un point d’aboutissement. Il est susceptible d’évoluer, y compris dans le cadre des discussions qui auront lieu entre mars, début de la procédure de révision constitutionnelle, et décembre, sa fin annoncée. Et beaucoup d’éléments ne sont pas encore connus. Notamment ceux émanant de la proposition et des choix de l’État.

 

Et il se poursuivra le cas échéant dans le cadre d’une loi organique?

Tout à fait. Nous avons fait le choix de dissocier article constitutionnel et loi organique, pour nous donner le temps d’approfondir la discussion. L’article constitutionnel arrête un certain nombre de principes. La loi organique va énumérer les domaines et les matières dans lesquels la Corse aurait pouvoir d’habilitation permanente, sur lesquels nous aurons le temps de revenir ensemble. Par exemple la santé qui fait débat dans les rangs de l’opposition, il est bien évident qu’un certain nombre de prérogatives doivent rester du domaine de l’État. Nous sommes dans un processus gradué. Le statut n’entrera pas en vigueur d’ici deux ou trois ans, pas avant la prochaine mandature. Nous sommes aux antipodes d’un processus qui serait non maîtrisé ou excessif.

 

Les Corses n’ont pas compris la confrontation sur la numérotation des articles…

Article 72, ce sont les régions de « droit commun ». À savoir l’adaptation, expérimentation qui n’a pas marchée et qui va être supprimée pour devenir « différenciation ». C’est-à-dire une habilitation au coup par coup, modalité que Madame Gourault et nous-mêmes avons écartée.

L’article 73, ce sont les départements d’Outremer, avec une adaptation au coup par coup aussi, modalité également écartée.

Enfin l’article 74, qui n’est pas la Nouvelle Calédonie, ni l’indépendance.

Tous les territoires d’Outremer qui sont aujourd’hui cités dans l’article 74 ne se situent absolument pas dans une perspective d’indépendance. Je rappelle que lorsqu’il a été envisagé pour la Nouvelle Calédonie un processus d’indépendance, il a fallu le sortir de l’article 74 et l’intégrer dans un titre à part. Ceci étant, c’est l’article qui est le plus proche de notre majorité, puisqu’il organise un principe de spécialité législative avec, d’un côté, les pouvoirs régaliens et, de l’autre, le transfert d’un certain nombre de compétences de plein droit aux territoires.

 

Le premier ministre a dit que sa proposition n’était pas rédigée.

À partir du moment où a été acté avec le gouvernement le principe d’un article spécifique, quelle que soit sa numérotation, il ne sera plus rattaché ni à 72, ni à 73, ni à 74. On sera dans un 72-5 ou 74-2, le tiret étant simplement la volonté de ne pas décaler les articles suivants.

L’essentiel c’est bien le contenu de l’article qui nous permet d’aller au niveau que nous considérons indispensable, c’est-à-dire l’autonomie et l’habilitation permanente.

 

La droite a bloqué sur ce concept d’autonomie… que fera l’État ?

Il faut rappeler que la notion d’autonomie est d’ores et déjà mise en oeuvre dans le cadre de la Constitution actuelle, notamment en Polynésie française. Au plan politique, elle est un invariant de la revendication et du combat nationaliste depuis 50 ans. Elle fait partie de notre plateforme stratégique, autonomie de plein droit et de plein exercice.

Et son principe a aussi été validé, à gauche et à droite, à des moments différents. Je ne comprends donc pas pourquoi son inscription dans la Constitution fait aujourd’hui difficulté. Cette notion a été également validée dans le discours de Bastia où le président de la République a pourtant eu des positions que nous considérons extrêmement fermées et inutilement hostiles vis à- vis de ce que nous sommes. Malgré cela, il a dit : « Je sais que vous avez une autre attente depuis de nombreuses années, la reconnaissance constitutionnelle de la spécificité de la Corse, la demande d’une autonomie reconnue dans la République, cette attente s’est exprimée une nouvelle fois lors des dernières élections locales, et je l’ai entendue».

Dès lors qu’il a entendu ce qui a été exprimé par le peuple à travers le suffrage universel, comment et pourquoi nous refuserait-on de l’inscrire dans la révision constitutionnelle?

 

La Corse sur ce point est une anomalie en Europe…

L’autonomie est le droit commun de la plupart des régions d’Europe, de toutes les îles de l’Union européenne, de toutes les îles de Méditerranée !

C’est ce qu’a vécu par exemple la Sardaigne de façon apaisée depuis 1947, passant ainsi, quelles que soient les difficultés économiques actuelles qui sont liées à un contexte global, d’un stade de sous-développement total à un stade beaucoup plus avancé que nous en matière d’économie. C’est le cas de Madère et des Açores qui ont un statut d’autonomie à nous faire rêver et pâlir d’envie sans qu’il y ait le moindre soubresaut ou la moindre tension. Au nom de quoi la Corse ne pourrait-elle pas aller vers cela ?

 

Alors, comment y parvenir ?

Ce qui manque c’est la reconnaissance claire par l’État de la dimension fondamentalement politique du processus. Il y a une forme de paradoxe incompréhensible dans l’inversion des courbes lorsqu’on regarde ce qui s’est passé dans ce pays depuis 1982. Alors qu’hier les nationalistes étaient très largement minoritaires dans les urnes, qu’il y avait une violence clandestine omniprésente, il y a eu à certaines époques de notre histoire collective, la volonté politique de la part de l’État d’engager un dialogue et de sortir par le haut de situations de crise. Cette volonté ne s’est jamais véritablement transcrite dans les faits, mais elle existait. Aujourd’hui les courbes se sont inversées. Les nationalistes sont très largement majoritaires, le FLNC a annoncé sa sortie définitive de la clandestinité, les idées portées hier par les nationalistes sont partagées par un grand nombre de Corses et nous avons construit y compris avec celles et ceux qui ne sont pas nationalistes des points d’accord importants. Au moment donc où l’on pourrait sortir par le haut de cette crise, la solution politique est refusée. C’est incompréhensible !

 

La clé est la reconnaissance du peuple corse…

En 1988, il y a eu le processus du statut Joxe et la reconnaissance politique du peuple corse. Le Conseil constitutionnel a censuré.

Mais il s’est trouvée une majorité dans cette Assemblée, et à l’Assemblée Nationale, pour affirmer l’existence du peuple corse. Ce sont des acquis sur lesquels on ne peut pas revenir. Aujourd’hui, alors que l’apaisement est irréversible, que le développement économique, social et culturel, l’affirmation de notre capacité collective à décider nous tendent les bras, nous devrions renoncer ? Notre devoir c’est de faire tous les efforts pour convaincre, en maintenant ce qui pour nous est fondamental et indispensable.

Nous avons la légitimité pour le faire. 56% des voix, cela est sans précédent dans l’histoire de notre institution. Le mandat est clair pour traduire dans les décisions juridiques et politiques à venir, y compris en terme de révision constitutionnelle, ce qui a été validé en décembre par les Corses.

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