Le drame qui à Soccia vient de coûter la vie à un entrepreneur du village n’est pas le premier du genre, loin de là. Pour cette seule année 2017, sans être hélas exhaustifs, il faut rappeler cette fête familiale de Loretu di Casinca, endeuillée en fin de nuit par des coups de feu qui ont coûté la vie à un homme et grièvement blessé un autre, un meurtre familial à Calvi qui a vu un oncle abattre son neveu, ou, cette année encore, ce jeune blessé à la foire du Niolu par l’arme qu’il portait.
Il en est ainsi tous les ans, drame familial, différend villageois ou dispute aggravée par l’alcool, des jeunes beaucoup trop souvent : ce sont de nombreuses vies qui ont été fauchées ainsi dans des drames hélas beaucoup trop prévisibles.
Il ne s’agit pas là de comptabiliser les règlements de comptes du banditisme.
L’histoire du milieu de la grande délinquance est très (trop !) présente en Corse, et son accès aux armes ne dépend pas vraiment d’une permissivité coupable : interdites ou pas, réprimées ou pas, elles seront toujours entre les mains des délinquants de haut vol.
Mais le «business » banalisé des armes à feu n’est pas non plus étranger à la prégnance de ce «milieu » sur l’ensemble du corps social insulaire.
Comment ne pas voir que des personnalités fragiles, sans lien avec le grand banditisme, ont elles aussi accès à un arsenal éminemment dangereux et sont devenues un danger permanent ?
On ne peut pas continuer à ne pas voir, à ne pas parler de ce problème récurrent, posé chaque année à intervalle régulier, détruisant les vies des victimes comme celle des auteurs, et faisant craindre, à chaque fête un peu trop arrosée, qu’un «malheur » ne vienne l’endeuiller.
Cette « fatalité » qui étouffe des villages ou des familles, il faut la combattre, et commencer à exprimer notre volonté qu’elle cesse enfin.
Comment ? C’est très difficile à dire, car la société corse, comme la société américaine, est très peu préparée à ce travail sur elle-même. Le rapport aux armes est ici un tabou ancestral, et la vie de «bon père de famille» s’accommode très souvent de l’exhibition de l’arme que l’on possède, qu’on en ait hérité ou qu’on vienne de l’acquérir.
C’est de cette banalisation qu’il faut enfin parler publiquement aujourd’hui. Non pas pour stigmatiser, mais pour faire prendre conscience : ce n’est jamais impunément que les armes circulent dans un pays, et les dérèglements psychiques auxquels la société corse est exposée comme n’importe quelle autre société, prennent alors des proportions dramatiques.
Certes, cela n’atteint pas en Corse le niveau constaté aux États Unis qui viennent de subir une nouvelle tuerie de masse au bilan épouvantable, mais qui peut jurer que l’on n’en prend pas le risque en ne faisant rien ? Ces armes potentiellement dangereuses sont une évidence que chacun a sous les yeux, dans les sorties nocturnes ou les fêtes de village, entre des mains inexpérimentées comme dans celles de personnes psychologiquement fragiles, parfois sujettes aux addictions comme la drogue ou l’alcool, et la crainte est générale qu’elles ne fassent basculer le moindre différend dans un drame irréparable.
Le deuil de Soccia après celui de Loretu nous interroge directement : que pouvons- nous faire pour « déshabituer » la société corse à la profusion des armes à feu ?
En tous les cas il faut commencer à en parler, car le problème atteint aujourd’hui un niveau de gravité qu’aucune société ne peut tolérer impunément.
En Corse comme aux États Unis.