Furiani, 5 di maghju 1992

Pare eri

La nouvelle stèle, lieu de mémoire, hommage aux victimes de cette terrible catastrophe pour que les jeunes générations prennent le relai du souvenir. Maì più.

Dix huit morts, 2357 blessés, combien de traumatisés ?…. Furiani n’a pas fini ses comptes avec le peuple corse. Les témoignages sur les réseaux sociaux, dans la presse, de ceux qui se souviennent nous font revivre les événements et la douleur collective d’un peuple qui n’a pas encore tiré tous les enseignements du drame. Tous celles et ceux qui étaient à Furiani ce jour-là ne peuvent que revivre chaque année ces instants tragiques dans leur for intérieur. L’ambiance merveilleuse de l’insouciance et de la fête quelques minutes avant l’horreur, puis ce bruit de ferraille qui s’effondre dans un souffle, l’enchevêtrement inextricable d’échafaudages d’où l’on extrait péniblement les corps disloqués, que l’on allonge un par un sur cette pelouse de douleur, le va-et-vient des hélicoptères, et puis tous ces autres témoins rescapés, errant hagards… Le traumatisme ne nous quitte pas. J’étais dans une autre tribune ce soir-là. Nous avions trouvé des places à l’Ouest. Les CRS nous ont dirigés vers la tribune Nord, mais nous avons refusé car, arrivés très tôt au stade, vers 16 heures, il y avait encore des places dans notre tribune… clin d’oeil du destin. Nous étions cependant tous ébahis, malgré une pointe d’inquiétude, devant cette tribune hissée en quelques jours pour accueillir des milliers de supporters…

«Ne tapez pas des pieds » disait le hautparleur…

Et la joie s’exprimait de plus belle… placés en tribune depuis des heures, chacun trépignait d’impatience pour en venir au match. Je prenais des photos à l’instant fatidique. Je l’ai vu ce morceau de tribune disparaître en quelques secondes… engloutissant avec lui des milliers de personnes. L’effroi. Et les amis autour de moi n’arrivant pas à croire ce que je leur disais… Eux, avaient les yeux rivés sur la pelouse et les joueurs à l’échauffement. Puis subitement, ces derniers se précipitent pour défaire à main nue les grillages de la tribune et aider les supporters à sortir de ce piège. Peu à peu, le public prend conscience qu’un drame s’est produit.

Silence terrible après le tapage et la fête.

Les regards sont incrédules. Je me sou viens des questions qui fusent, murmurées autour de moi : « Tu crois qu’il y a des morts ? »… « oui, sûrement »… et puis, terrible insouciance encore: «oui mais, ils vont quand même faire jouer le match ? »… Epouvantable inconscience, comment a-t-on pu en arriver là ! Elle nous a habités si durement, avant, pendant et après le drame, cette irresponsabilité.

Et de voir à quel point il reste encore de parfaits imbéciles pour mettre toujours de la violence dans ce stade, 25 ans plus tard, c’est insupportable.

En toute circonstance, à jamais, Furiani devrait être un sanctuaire de respect !

Durant près de deux heures, nous avons été obligés de rester dans notre tribune, contraints d’assister au spectacle macabre des blessés qu’on déposait avant leur évacuation.

Nous étions venus voir un match.

Quand l’autorisation fut enfin donnée de quitter le stade, nous avons voulu aider les secouristes « derrière »… j’y ai vu un champ de guerre… tant de souffrances mêlées aux écharpes bleues et aux drapeaux abandonnés ! Trop de monde sur place, on nous a demandé de partir. Mais il était impossible d’emprunter la route, réservée aux secours.

Alors nous avons erré comme des âmes en peine autour du stade, à la recherche désespérée d’un téléphone pour prévenir nos familles. Je me souviens de la queue interminable devant les premières villas sur la route de Furiani. Leurs occupants nous ont ouvert gracieusement leur porte pour nous permettre très vie de prévenir la maison. Nous étions comme des zombies, les uns derrière les autres, personne ne parlait, chacun attendant patiemment son tour, avec un immense vide dans les tripes. Quand enfin il a été possible de reprendre la route, comment trouver le courage de rentrer chez soi quand tant d’autres transportés en ambulance ne le pouvaient pas ? Alors nous avons pris la direction de l’hôpital pour donner notre sang. Là-bas encore, des dizaines de blessés allongés à même le sol dans les couloirs, qu’il nous a fallu enjamber pour atteindre le Poste de transfusion. Pas une plainte, juste le silence, encore, et des regards perdus d’incompréhension.

Je me retrouve près de l’entraîneur et des joueurs du Sporting venus donner leur sang eux aussi. Tous, le regard perdu, désespéré, sans un mot.

On était venu pour la fête, juste pour la fête… et là, depuis 25 ans, une blessure ne nous quitte plus.

Il a bien fallu apprendre à vivre avec, certains plus difficilement que d’autres, mais personne n’oublie. On ne pourra jamais oublier. Comment peuvent-ils ne pas comprendre ce traumatisme depuis Paris ?

Plus de match le 5 mai.

 

Fabiana Giovannini.