Depuis que le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość – PiS) est revenu au pouvoir en Pologne, celle-ci dérive vers des eaux toujours plus autoritaires, toujours plus loin des standards démocratiques européens, au point d’être dans le viseur de Bruxelles.
Une descente aux enfers
Lors des dernières élections législatives polonaises (octobre 2015), le parti ”Droit et Justice”, dont le Président est Jaroslaw Kaczyński, ancien Premier Ministre (2006-2007) et frère jumeau du défunt Lech Kaczyński (ex-Président de la République), a obtenu la majorité absolue à la Diète polonaise (la chambre basse). Depuis la chute du communisme, jamais un parti n’avait obtenu la majorité absolue seul. Le régime parlementaire polonais, couplé à la proportionnelle, permettait de dégager des majorités claires mais aussi la nécessité de dégager des consensus entre partenaires de coalition.
Depuis octobre 2015, le PiS (plutôt étatiste sur les questions économiques, extrêmement conservateur sur les questions sociales et eurosceptique) déroule son programme sans limite, au point de faire voler en éclats tous les fondamentaux démocratiques du pays.
Après s’être vivement attaqué aux minorités (notamment en Silésie), puis aux opposants politiques de Plateforme civique (Platforma Obywatelska -PO- libérale sur les questions économiques, sociale et europhile), ainsi qu’au Conseil constitutionnel, le PiS a désormais décidé de s’en prendre aux contre-pouvoirs et notamment à la justice et à son indépendance.
L’article 7, l’arme nucléaire
La gouvernement polonais marche sur les pas de son homologue hongrois, le très conservateur et eurosceptique mené par le Premier Ministre magyar, Victor Orban. Ensemble, ils partagent une vision extrêmement critique vis-à-vis de l’Europe accusée de tous les maux, y compris dans des débats de pure politique interne. Ensemble, ils se sont battus contre le (faible) effort d’accueil des réfugiés que les Européens ont consenti à faire.
Mais c’est pour sa dernière réforme de la justice que le gouvernemnt polonais est dans le viseur de Bruxelles. En effet, le gouvernement a proposé que le Ministre de la Justice puisse nommer les Présidents des tribunaux, ou que les membres de l’organe suprême de la magistrature soient choisis à la majorité simple du Parlement, donc par le PiS ! Ce serait la fin de l’indépendance de la justice au pays de Lech Walesa.
Ainsi, avec raison, la Commission européenne a décidé de taper fort. Mercredi 19 juillet, pour la toute première fois, elle a annoncé vouloir utiliser l’article 7 du Traité de Lisbonne qui permet de suspendre le droit de vote à un Etat membre en cas de ”violation grave et persistante” afin de ”garantir que tous les pays de l’UE respectent les valeurs communes de celle-ci, y compris l’état de droit”.
Cet article 7 est une véritable arme nucléaire qui pourrait faire reculer le gouvernement polonais mais qui pourrait aussi être utilisée par le gouvernement polonais pour (re)tourner l’opinion publique polonaise contre Bruxelles. La Commission européenne le sait et c’est pour cela qu’elle n’en a jamais fait usage jusqu’à maintenant. C’est une décision à double tranchant mais à la différence du cas hongrois, qui s’explique en grande partie parce que le parti de Victor Orban, le FIDESZ, est membre du Parti Populaire Européen (PPE), le parti de la CDU d’Angela Merkel ou du LR en France, le cas polonais pourrait bien aller au bout car le PiS n’est membre d’aucun grand parti européen. À Bruxelles, il siège avec les Conservateurs britanniques qui sont sur la voie du Brexit. Et avec Donald Tusk, Président du Conseil européen et ex-Premier Ministre polonais (membre de l’opposition libérale PO qui est membre du PPE), Bruxelles ne va pas lâcher le morceau.
Quelle sortie de crise?
À l’heure actuelle, il est extrêment compliqué d’imaginer une sortie de crise par le haut. L’Europe ne peut pas lâcher sur les fondamentaux (l’indépendance de la justice, l’état de droit, la démocratie…) et Varsovie ne peut reculer qu’en courbant l’échine. Mais si le PiS peut encore essayer de jouer la carte ”le peuple contre Bruxelles”, Bruxelles pourrait sortir l’ultime carte qui est déjà en cours de discussion dans les couloirs, à Bruxelles: la suspension des fonds européens pour non respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne. Et là, ça peut faire très mal!
Rien que pour les fonds régionaux, la Pologne a ”arraché” 80 milliards d’euros de fonds européens pour la période 2014-2020, soit l’équivalent de 10% du PIB annuel polonais! Et là, ce serait les Polonais qui pourraient se retourner contre leur gouvernement car ils seraient les premières victimes de cette sanction par l’arrêt net de (quasi) tout investissement.
L’autre option serait d’attendre les prochaines élections qui auront lieu à l’automne 2019. Mais au rythme où le gouvernement PiS présente ses réformes, il serait peut-être bon de ne pas attendre 2 ans ! À moins d’espérer que les manifestations monstres en Pologne fassent plier le gouvernement car ils sont les premiers touchés par cette politique ultra-conservatice. D’ailleurs, le Président de la République polonaise Andrzej Duda (ex député européen et membre du PiS) vient d’annoncer qu’il posera son véto sur 2 des 3 textes législatifs. Est-ce l’épilogue de ce feuilleton ? Rien n’est moins sûr.
À Varsovie, le projet européen est vraiment testé sur ses fondamentaux. L’Europe n’est pas un projet commercial, les gouvernements britanniques l’ont appris à leurs dépens. Elle n’est pas non plus une caisse enregistreuse où les plus fragiles ont des droits -à juste titre certes- mais pas de devoirs. L’Europe : c’est un projet politique avec des fondamentaux non négociables, dont l’état de droit et l’indépendance de la Justice. Le PiS a gagné le pouvoir, mais il n’a pas gagné le droit d’y installer un régime autoritaire, en tout cas pas en restant au sein de l’Union !
Roccu GAROBY
Vice-Président de l’Alliance Libre Européenne Jeune