Mercredi 25 janvier dernier, le Canard enchaîné publiait un article accusant François Fillon, le candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle, d’avoir offert un emploi fictif à sa femme. Entre la loi et la morale, il y a une marge mais surtout, un débat qui s’ouvre : Quel est le prix à payer pour la démocratie ?
Depuis que l’affaire a explosé au grand jour, tout le monde a découvert qu’employer sa femme (ou son mari ou ses enfants) était légal au Palais Bourbon, une cinquantaine de parlementaires, à commencer par le premier d’entre eux, font de même. Mieux, M. Fillon s’est défendu en expliquant qu’il avait aussi embauché ses enfants comme avocats, alors qu’ils étaient toujours sur les bancs de la fac ! Mais, là encore, cela est légal. Mais est-ce bien moral ? Ou plutôt éthique? Qu’on le veuille ou non, que la personne ait toutes les qualités requises ou pas, que l’employé ait tous les diplômes ou non, embaucher un proche crée un doute qui laisse une trace indélébile. L’embauche est vue, à tort ou à raison, comme un acte de népotisme. C’est pour cela qu’il est à proscrire. La morale, ou plutôt l’éthique, devrait suffire mais en France, et plus largement dans le monde latin, la loi est nécessaire. Si, à cela, on ajoute le fait que Mme Fillon a peut-être bénéficié d’un emploi fictif, ce qui est, bien sûr, totalement illégal, alors on baigne dans le parfait «scandale» politique, celui qui fait mal à la démocratie et qui donne l’image du « tous pourris », celui qui donne envie aux électeurs de renverser la table, chose au demeurant sans doute la bienvenue, mais avec un vote qui peut justement nous faire sortir de la démocratie, un vote populiste diront certains, un vote fasciste pour d’autres. Pour ma part, un vote qui nous fait sortir de la démocratie, ça en dit long déjà.
L’exemple européen. À Bruxelles, l’embauche d’un proche (femme, mari, enfant) a été interdite purement et simplement, sous la pression insistante de l’écologiste occitan, Gérard Onesta, vice-Président du Parlement européen de 2004 à 2009.
En effet, les députés européens ont adopté une réforme profonde de leur système de fonctionnement, juste avant les élections de 2009. Salaire unique pour les députés européens (car avant ils étaient payés par leur État membre et les salaires allaient de 800€/mois (Hongrie) à 12000€/mois (Italie)), statut unique pour les assistants parlementaires (au préalable, ils étaient tous sous des contrats de travail « illégaux » (sauf les assistants des députés belges) car rattachés à l’État membre du député européen, tout en travaillant dans un État tiers (la Belgique).
Désormais, ils ont un contrat unique et une grille de salaire commune), avec interdiction, pour les députés, d’embaucher un proche (mari, femme, enfants…). Une dérogation a été accordée pour que les députés européens réélus en 2009, et qui embauchaient auparavant un proche, aient 5 ans pour rentrer dans les rangs.
Le Pénélope Gate n’aurait donc pas eu lieu à Bruxelles, mais cela ne veut pas dire non plus que tout est rose dans la capitale européenne. Par exemple, les députés européens perçoivent un peu plus que 4300€/mois, en plus de leur propre salaire (6200€ net/mois), afin de payer les frais liés à leur mandat (location de permanences en circonscription, factures pour les assistants du député…). À titre de comparaison, les députés français touchent une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) d’un montant avoisinant les 5300€ mensuel. Au-delà du montant élevé de cette « indemnité de frais généraux », cette somme perçue par les députés européens n’est ni transparente, ni contrôlée.
Autrement dit, à Bruxelles, comme à Paris, les députés peuvent s’octroyer un supplément de salaire de façon illégale (et sans payer d’impôt sur le revenu) et/ou arroser les partis politiques, organisations ou électeurs avec de l’argent public de façon toute aussi illégale. Là, on n’est plus dans l’éthique ou la morale, on nage dans l’illégalité la plus complète! Et comme il n’y a ni contrôles, ni transparence, impossible de séparer le bon grain de l’ivraie!
La transparence et le contrôle. Pour la première fois depuis des années, le 28 avril 2016, une (très courte) majorité de députés européens (304 voix pour, 303 contre et 32 abstentions !) a demandé une transparence totale sur cette indemnité. Mais depuis, l’administration (dont le Secrétaire Général est issu des rangs de la CDU, le Parti d’Angela Merkel) et les grands partis, surtout le PPE (les Républicains en France) mais aussi les socialistes, font tout pour bloquer toute initiative, malgré le vote du Parlement européen. Ce refus de transparence, a fortiori après le vote souverain du Parlement, ne fait que renforcer le discours ambiant du « tous pourris ».
Rien, absolument rien, ne peut justifier qu’une dépense publique ne soit ni transparente, ni contrôlée, à l’exception de l’utilisation du salaire de l’élu, du fonctionnaire ou du contractuel qui, par essence, est de nature privée.
Encore une fois, ce sont les pays nordiques qui sont en avance sur ce sujet là, avec cependant un point commun, ce sont les scandales dans la presse qui ont permis de faire avancer l’éthique et la loi.
Au milieu des années 90, en Suède, une ministre, Mona Sahlin, a été contrainte de démissionner parce qu’elle avait utilisé la carte bancaire du Ministère pour faire des courses privées. Plus récemment, au Royaume-Uni plusieurs dizaines de députés britanniques ont dû démissionner car ils se faisaient rembourser des travaux à domicile avec des notes de frais payées par le Parlement britannique.
Espérons donc que cette affaire fasse avancer l’éthique et la loi, pour améliorer les pratiques au sein des institutions.
Cependant, une question- clé persiste et mérite qu’on s’y attarde longuement: Quel prix est-on prêt à payer pour la démocratie?
Le prix à payer ! Que l’on croit, à l’instar de Churchill, que la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres, ou que l’on pense que la démocratie est la protection des minorités par la majorité, il faut tout mettre en œuvre pour qu’elle fonctionne. Et cela a un coût !
Si l’on veut éviter que les mandats soient concentrés entre les mains des mêmes élus, il faut mettre fin au cumul des mandats.
1 personne, 1 mandat! Comment un député-maire peut-il être dans sa ville et à Paris en même temps ? Comment peut-il éviter le conflit d’intérêts entre défendre les intérêts de sa ville et ceux de sa circonscription qui peuvent être contradictoires ?
Si on veut éviter la personnalisation du pouvoir, il faut aussi limiter les mandats dans le temps. Un élu qui sait qu’il ne pourra pas se représenter ne sera-t-il pas plus enclin à transmettre son savoir, à passer le relais, à aider son successeur ?
Si l’on veut éviter que les mandats électoraux soient détenus par une (petite) partie de la population, les cols blancs pour simplifier, il faut créer un statut de l’élu pour que chaque citoyen puisse quitter son emploi en ayant la garantie de le retrouver, ou au minimum, en ayant la certitude d’avoir un droit à une allocation chômage à la fin de son mandat.
Sinon, quel salarié du privé démissionnera pour un mandat sans garantie de réélection, par essence, ni de retrouver son emploi, ou de bénéficier d’une période de chômage à la fin de son mandat? Le système actuel est taillé sur pièce pour les professions libérales qui rémunèrent bien (avocat, médecin, journaliste) et pour les fonctionnaires qui ont la garantie de l’emploi, une fois leur mandat terminé.
Si l’on veut éviter que les élus soient perméables aux lobbys ou dépendants de certaines influences, il faut qu’ils aient un salaire –et des moyens d’action– (relativement) élevés (proportionnels à leurs responsabilités) et assurer la transparence dans les rencontres entre personnalités publiques et lobbyistes.
Si l’on veut éviter que le pouvoir se concentre entre les mains d’une seule personne (la tête du pouvoir exécutif), il faut donner les moyens d’action et de contrôle au pouvoir législatif (mais aussi au pouvoir judiciaire).
Comment le Parlement peut-il exercer son pouvoir de contrôle quand il n’a pas les moyens d’agir, de contrôler et d’enquêter comme aujourd’hui ?
Si l’on veut éviter que la majorité concentre tous les pouvoirs (exécutif et législatif), il faut donner les moyens à l’opposition de faire son travail : contrôler la majorité avec le fameux « checks and balances » comme diraient les Britanniques. Comment l’opposition peut-elle faire son travail quand la prime majoritaire est de 50% pour la liste arrivée en tête comme c’est le cas pour les élections municipales ?
Si l’on veut éviter que les élus prennent des décisions sans avoir une vision globale du sujet qu’ils traitent, il faut qu’ils aient, autour d’eux, des assistants et des experts qui les conseillent sans pour autant leur enlever la responsabilité ultime car seuls responsables devant le peuple!
Oui, la démocratie a un coût ! Oui, la démocratie a un prix! Et plus le prix est élevé, plus le devoir de transparence et de probité des élus, ou de ceux et celles qui utilisent l’argent public, est élevé.
Quelle que soit la faute (morale ou légale) de M. Fillon, utilisons cette affaire pour assainir nos démocraties. Le mandat unique, la limitation des mandats dans le temps, le statut de l’élu, la transparence et le contrôle de la dépense publique sont des mesures qui ont un coût mais ce sont elles qui permettent à la majorité (silencieuse) d’être gouvernée par la minorité d’élus !
Pour ma part, je suis intimement convaincu que l’éthique et l’exemple sont des armes bien plus puissantes que le cumul lui-même et je souhaite que la famille nationaliste, en Corse comme ailleurs, soit capable de montrer l’exemple en étant éthique, en attendant que la loi évolue et s’applique à tous.
Il y a plus de 250 ans, nous avons été capables de (re)créer la démocratie quand le féodalisme était la norme en Europe, pourquoi n’en serions-nous pas capables, aujourd’hui, une nouvelle fois ?
Roccu Garoby,
Vice-Président de l’ALE Jeune.