Marie-Paule Cesari, bergère

Pour « rendre à la Corse son âme »

La 22e édition de la Fiera di u Casgiu di Vènacu a rendu hommage cette année à la femme. Après les jeunes bergers l’an dernier, ce sont donc ces femmes qui ont dédié leur vie à ce beau métier qui étaient à l’honneur.

Et parmi elle, comment ne pas saluer l’immense travail, l’engagement et l’amour de notre terre de Marie-Paule Cesari ?

Elle a été de tous les combats pour la reconnaissance de notre brebis et du pastoralisme corse. Du schéma de sélection de la brebis corse à la création de Casgiu Casanu en 1999, en passant par celle de la foire deux ans auparavant, elle a porté bien des combats avec d’autres pour trouver les voies et les moyens d’imposer nos spécificités, affronter les règles européennes, se battre contre les calamités comme la fièvre catarrhale, pour la promotion du fromage fermier ou pour l’installation des jeunes. Saluons à travers elle aussi l’investissement de nos bergers, jeunes ou moins jeunes, qui font vivre la montagne corse. Clin d’oeil à nos amis Marcel Cesari, élu Femu a Corsica pour porter la voie du pastoralisme dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, Noël Battesti, premier président de a Fiera di u Casgiu, Laurette Marchioni, présidente actuelle, ou encore Anthony Baldovini et Paul André Fluxia de Casgiu Casanu, et bien d’autres encore qu’on ne peut tous citer. La vie de Marie-Paule Cesari toute en humilité et en passion est le résumé de leurs efforts à tous. Interview.

 

La 22e édition de la fiera di u casgiu vous a rendu un bel hommage, amplement mérité. Votre sentiment après tant d’années d’investissement pour la renaissance du pastoralisme et la reconnaissance de la race corse de brebis ?

Marie-Paule Cesari : Je ne m’attendais pas à un si bel hommage. J’ai été très touchée par une reconnaissance de cette ampleur, et surtout j’ai réalisé que tout le travail accompli depuis des années avait porté ses fruits. Il a aussi permis de porter un regard plus positif sur le métier de berger. Et cela aide à la décision pour l’installation de beaucoup de jeunes.

 

Avec vous, c’est aussi l’investissement de la femme dans nos montagnes et nos villages qui était salué cette année…

En effet, de plus en plus de jeunes femmes s’investissent dans ce travail.

Traditionnellement, les femmes s’occupaient surtout de la fabrication fromagère.

Mais aujourd’hui, en prenant la responsabilité du troupeau, c’est un métier à part entière pour beaucoup de jeunes femmes.

Au centre, Marie-Paule Cesari entourée de Laurette
Marchioni, Maria Battistelli, Laura Cianelli, Johanna
Barazzoli et Anthony Baldovini.

 

Comment est né Casgiu Casanu ? Quelles sont ses missions ?

Casgiu Casanu est né il y a 19 ans. À la création de l’interprofession laitière, et face à la pression de la réglementation, quelques producteurs de fromages fermiers réunis à la foire de Vènacu ont décidé de créer l’association Casgiu Casanu dont j’ai été élue présidente.

Nous voulions surtout marquer notre différence dans la filière laitière face aux industriels laitiers et aux administrations, notamment les services vétérinaires. Enfin nous avons pu peser de notre poids et parler d’une seule voix. De nombreux producteurs de fromages fermiers nous ont alors rejoint dans l’association pour prendre en compte leurs problèmes dans tous les domaines : installation, administration, formation, accompagnement technique, problèmes sanitaires, transport, vente et promotion de nos produits, participation aux salons et foires, contacts au niveau national, etc.

 

Depuis près de 20 ans, comment mesurez-vous les progrès accomplis ?

Les progrès réalisés sont énormes. Nous avons démarré avec la bonne volonté des producteurs, qui s’est traduite par beaucoup de présence et de bénévolat de leur part. Petit à petit, nous avons progressé, et candidaté pour obtenir des crédits afin de financer un poste d’animateur, d’abord à mi-temps. Aujourd’hui nous avons trois personnes contractualisées compétentes et dévouées qui travaillent pour l’association. Le développement de l’association se traduit par une charge de travail encore plus importante qui la conduit à envisager de nouveaux recrutements.

 

Qu’est-ce qu’un fromage fermier ?

La particularité du fromage corse ?

Le fromage fermier est réglementé. Il bénéficie d’un décret clair et précis. C’est un fromage fabriqué à la ferme par l’éleveur avec le seul lait de la ferme.

Par contre, à l’heure actuelle, le fromage corse, fermier ou non, n’est pas encore certifié, sauf le brocciu qui bénéficie d’une AOP. Le fromage corse n’est donc pas encadré par la loi. Et du fait de cette absence de protection juridique, des fromages sont souvent abusivement vendus sous l’appellation de « fromage corse » par les industriels laitiers. C’est ainsi que certains fromages dits corses sont fabriqués à partir de laits importés, ou même fabriqués hors de Corse.

Pour nous, producteurs fermiers, un fromage corse est un produit typé faisant référence au terroir. D’où le travail mené depuis des années sur les différents types de fromages et le concours annuel de Vènacu. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle la seule certitude offerte à un consommateur d’acheter un fromage corse est la référence au fromage fermier qui est le seul à pouvoir garantir la provenance corse.

La plus belle récompense ce sont les jeunes… y en a-t-il suffisamment pour s’investir dans ce métier ? Qu’est-ce qu’il manque pour les motiver davantage ?

Vous l’avez dit. La plus belle récompense pour moi, c’est la relève qui monte. Mais c’est encore insuffisant pour parler de dynamique de l’intérieur.

Ce qui freine les installations c’est avant tout le problème foncier, dans toutes ses dimensions : chaos cadastral, absence de titres de propriétés, indivision, morcellement des terres, pression immobilière, réticence de certains propriétaires à louer leurs terrains en bonne et due forme. À tous ces problèmes connus depuis longtemps, s’ajoute désormais celui du manque de terres disponibles au niveau administratif en raison de l’évolution des aides européennes qui accordent davantage d’importance aux surfaces déclarées utilisées qu’aux productions réalisés dessus. Cela a progressivement conduit à la situation actuelle, où la quasi-totalité des terres autour de nombreux villages de l’intérieur est désormais investie par des propriétaires de bovins qui occupent les territoires sur le papier au vu et au su de tout le monde (administrations et classe politique). En réalité nous sommes essentiellement entourés de maquis et nous ne pouvons le plus souvent pas répondre aux besoins d’installations car les terrains à bonne potentialité agricole ou pastorale sont soumis à la pression immobilière ou déjà occupés « administrativement ». C’est une aberration connue mais qui semble à ce jour insurmontable.

 

Que faudrait-il pour faire du pastoralisme une vraie dynamique de l’intérieur ?

Pour en faire une dynamique, il faut à la fois une volonté de la part des jeunes de s’installer et une réponse favorable de la part des communes pour les accueillir.

Les élus de proximité ont la charge de créer du développement, ils devraient donc s’investir dans leur village au plus près des jeunes afin de créer un lien avec les propriétaires souvent réticents à louer leurs terrains et répondre du mieux possible aux problèmes que rencontrent ces jeunes.

Un message pour les jeunes qui veulent s’orienter vers le métier de berger ?

Pendant longtemps, le berger corse était considéré comme celui de la famille qui ne pouvait pas faire autre chose que ce métier. Aujourd’hui, c’est la nouveauté, on fait ce travail parce qu’on l’aime. De plus, tout le travail qui a été fait en amont sur l’amélioration génétique permet de gagner honorablement sa vie. Le fromage se vend bien, la demande est forte. L’association Casgiu Casanu permet de jouer ce rôle d’intermédiaire pour s’informer, se former, mieux fabriquer, mieux vendre. Les difficultés du métier sont atténuées grâce à l’association. On se sent moins seul face à nos problèmes quotidiens.

J’encourage les jeunes à ne pas hésiter si ce métier les attire. Qu’ils s’engagent, ils seront accompagnés et connaitront de grandes satisfactions. Ils contribueront à rendre à la Corse une harmonie perdue entre le culturel, l’historique, l’économique. Ils rendront à la Corse son âme.