L’opposition (toujours si bien inspirée !) les avait prédit « inutiles », « dans l’incapacité de se faire entendre », « noyés » dans l’hémicycle du Palais Bourbon… il n’en est rien bien sûr ! Nos trois députés nationalistes corses se sont fait immédiatement leurs places, ne cessent d’intervenir en séance publique, sur tous les sujets, participent aux grands débats, sont assidus aux travaux des commissions, interviennent lors des auditions des ministres du gouvernement qu’ils interpellent directement, proposent des amendements, argumentent, parviennent à convaincre… bref, ils font entendre la voix de la Corse : ils comptent ! Ils s’entourent, exercent un lobbying en faveur de leur île, expliquent le problème corse, et obtiennent des soutiens jusque dans les débats de l’hémicycle où des députés courageux d’autres groupes interviennent à leurs côtés ! • Parmi les plus assidus du Palais Bourbon, Michel Castellani. Le député de la Haute Corse livre ses impressions aux lecteurs d’Arritti un peu plus de six mois après son installation.
Comment s’est passée ton installation dans tes nouvelles fonctions ?
Sans problème majeur ! Sauf qu’il a fallu s’adapter à une vie totalement nouvelle, partagée désormais à égalité de temps entre Paris et la Corse. À part cela, il y a également eu la nécessité de connaitre et comprendre les codes de cette assemblée, découvrir les collègues de commission et d’hémicycle…
Quelles sont tes attributions, les commissions dans lesquelles tu sièges les dossiers auxquels tu t’intéresses plus précisément ?
J’ai évidemment les attributions de tout député, c’est-à-dire la mission de faire la loi, ce qui suppose un travail d’amont important d’étude de dossiers, de prise de conseils, d’interventions en commission et en séance. Par ailleurs chaque député siège dans une, et une seule, commission structurelle. J’ai la responsabilité de représenter notre sensibilité dans la commission des finances, ce qui implique un énorme travail. Cette commission voit en effet défiler pour débat et avis l’ensemble des dossiers appelant des mouvements budgétaires, c’est à-dire pratiquement tout !
Dans les sites spécialisés, tu es classé aux tous premiers rangs des députés les plus actifs…
C’est bien, mais je ne considère pas l’Assemblée comme une course cycliste.
Avec Jean Felix et Paul André, nous essayons de représenter la Corse de façon efficace et mieux qu’elle n’a pu l’être dans le passé. Nous sommes députés mais aussi représentants d’un petit peuple qui lutte pour sa survie. Ce combat nous le menons à trois, en complémentarité.
Et les problèmes sont profonds, d’ordre économique, social, culturel, environnemental, donc politique.
Sur quels dossiers as-tu travaillé ?
Nous intervenons sur pratiquement tous les sujets qui défilent. Nous avons travaillé par amendement à tenter de modifier la loi sur la Sécurité intérieure, les lois Travail, la loi des Finances, et d’autres. Nous partageons systématiquement ces interventions et assurons une participation importante aux débats.
La diversité des sujets est grande. Par exemple, mes trois interventions en tribune ont porté sur les lois Travail, la construction européenne et les transferts de football…
Et puis nous avons à intervenir sur les sujets qui engagent l’avenir de la Corse, ce qui constitue bien sûr notre mission essentielle: aspects institutionnels, financement de la Collectivité Unique, mais aussi interventions pour les hôpitaux, les agriculteurs, les prisonniers, les buralistes, les écoles, la lutte incendie, RCFM, Macotab, la CCI, le greffe du tribunal… Et puis la multitude de rendez-vous et contacts à mon retour en Corse.
Tes impressions après six mois de mandature ?
En début de mandature, une ribambelle de journalistes nous ont demandé si nous étions émus, si nous avions conscience de l’aspect historique de notre entrée à l’Assemblée Nationale… À tous, j’ai répondu qu’un seul sentiment dominait, celui de la responsabilité que représente la confiance placée en nous par des dizaines de milliers de Corses. Depuis, mon sentiment n’a pas changé et nous faisons tout pour honorer cette confiance.
Un député nationaliste peut-il être utile dans l’antre même d’institutions qui restent profondément jacobines ?
Il me semble extrêmement utile qu’il puisse y avoir au coeur même du système institutionnel un relais direct de ce qui se bâtit à la Collectivité. Outre notre travail parlementaire, nous avons un rôle considérable de contact et d’explication, auprès des ministres, des groupes parlementaires et des collègues.
Nous aidons à identifier les contours des problèmes et expliquons notre façon de les aborder, et nos solutions. C’est la partie non visible, et pourtant essentielle, de notre mission. Nous sommes par ailleurs sollicités en permanence par toute sorte de médias, et là aussi le message est important.
Face aux blocages du gouvernement, quelle peut être la clé pour ouvrir enfin un dialogue franc et sincère ?
La marge de manœuvre est étroite.
D’une façon générale, à notre nationalisme humaniste et d’ouverture est opposé un autre nationalisme, dur et cocorico. Nous sentons bien une forte réserve quand nous intervenons publiquement, même sur des sujets qui n’ont pas de rapports directs avec la question corse. Et bien plus quand il est question de cette dernière.
Cela dit, un certain nombre de députés sont sensibilisés, soit par leurs origines corses, même lointaines, ou parce qu’ils connaissent notre île.
Du côté du gouvernement, on sent clairement des approches très différentes entre certains ministres a priori assez ouverts, et d’autres au contraire arqueboutés sur des positions conservatrices. Alors, pour répondre à la question, comment naviguer ? Par le travail, l’explication, la persuasion. Et aussi, bien entendu, avec des soutiens forts dans l’île, de la part des institutionnels et de l’opinion. Les résultats des élections ont été, de ce point de vue, un énorme appui et un énorme réconfort pour nous.
Au regard d’un parcours de 50 années de lutte, quel est ton sentiment lorsque tu te trouves dans cet hémicycle du Palais Bourbon ?
Je pense à tous ces gens, anonymes ou connus, qui, à travers les temps, ont fait vivre ce sentiment national, ont consenti tant de sacrifices pour notre destin collectif, pour que la continuité de ce sentiment d’appartenance, de nos droits politiques, ne soit pas rompue. Par nos positions, mais aussi par nos paroles, nos attitudes, nous avons à nous montrer dignes de tous ces gens, et, plus proches de nous, de ceux qui nous ont portés au Palais Bourbon. En fait, j’ai clairement conscience de n’être qu’un maillon provisoire d’une chaîne qui remonte dans le temps et qui, après moi, se poursuivra…