Lettre ouverte d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri

Un appel aux « compatriotes » Corses

«Serions-nous les victimes collatérales des tensions qui opposent le gouvernement à la majorité territoriale depuis le 06 février 2018? Ou sommes-nous, plus simplement, les boucs-émissaires d’une vengeance d’Etat qui ne veut pas dire son nom et qui se poursuivra sans fin, malgré notre condamnation et l’accomplissement de notre peine ? »

Depuis la Centrale de Poissy le 7 juin, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, détenus depuis 19 ans maintenant pour l’assassinat du préfet Claude Erignac, adressent une lettre ouverte aux Corses. Depuis leur condamnation définitive en effet, ils réclament leur rapprochement. La double peine qui leur est infligée est injuste et insupportablement supportée par leurs proches. Femu a Corsica dénonce cette injustice, leur apporte son soutien ainsi qu’à leurs familles et réclame l’application du droit pour Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna.

 

Chers(es) compatriotes, Au terme de notre 18e année d’incarcération (21.05.2017), qui correspondait à la fin de notre période de sureté, nous avons entrepris, comme nous y autorise la loi, les démarches administratives nécessaires à l’obtention d’un aménagement de peine. Nous disposions pour cela de toutes les garanties nécessaires à notre projet de réinsertion.

Après un premier entretien avec le juge d’application des peines, ce dernier a sollicité un expert agrée auprès des tribunaux afin de rédiger en collaboration avec le service d’insertion et de probation de l’établissement pénitentiaire un rapport sur nos personnalités respectives et un bilan de notre parcours carcéral.

Les conclusions de ces rapports se sont avérées positives. La Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sureté a cependant exigé notre évaluation par les services du Centre National d’Évaluation de Fresnes en décembre 2017 pour Alain Ferrandi et de Reau en mars 2018 pour Pierre Alessandri. Cette période d’évaluation était censée mesurer notre «dangerosité potentielle».

 

À ce jour, les rapports de cette instance ne sont toujours pas finalisés. En mars 2018, la Commission Locale de la centrale pénitentiaire de POISSY a été consultée par le ministère de la justice sur l’opportunité ou pas de nous maintenir au répertoire des Détenus Particulièrement Signalés (DPS). Cette dernière s’est prononcée, à l’unanimité, pour la levée du statut. Nous sommes toujours dans l’attente de la décision du ministère qui devrait intervenir d’ici la fin du mois de juin.

 

Parallèlement, nous avons déposé, le 4 avril 2017 une demande de transfert sur le Centre de Détention de Borgu, dans le cadre d’un rapprochement familial et dans la perspective d’un futur aménagement de peine ouvrant droit à une libération conditionnelle.

 

La Direction des Affaires Pénitentiaires sous l’autorité du ministre de la justice a répondu défavorablement à notre demande le 30 mai dernier. Ce refus est incompréhensible et très faiblement argumenté. Il est, par ailleurs, contraire aux règles élémentaires du droit Français qui considère que les doubles condamnations n’existent pas et que tous les citoyens, même détenus, doivent être égaux devant la loi. Force est de constater que nous ne le sommes pas et que nos familles respectives sont elles aussi doublement punies par cette situation, qui s’apparente à un traitement discriminatoire, voire un abus de droit, et un obstacle à notre projet de réinsertion.

 

En effet, au-delà des postures partisanes et politiciennes, nous ne pouvons que nous émouvoir de cette décision, lorsque l’on sait que l’ensemble des opinions publiques se sont positionnées favorablement sur la question de notre rapprochement familial. Qu’il s’agisse de la classe politique Corse dans la diversité de ses appartenances, de l’Exécutif territorial dans sa pluralité, et de la plupart des candidats aux dernières élections présidentielles (y compris l’actuel président en exercice qui avait tenu lors de sa visite de campagne à Viscuvatu en février 2017 des propos dénués d’ambiguïtés sur notre rapprochement), enfin de l’opinion publique insulaire dans sa très grande majorité.

 

Malgré cet unanimisme nos demandes de rapprochements familiaux restent, à ce jour, lettre morte. Serions-nous les victimes collatérales des tensions qui opposent le gouvernement à la majorité territoriale depuis le 06 février 2018 ?

Ou sommes-nous, plus simplement, les boucs-émissaires d’une vengeance d’Etat qui ne veut pas dire son nom et qui se poursuivra sans fin, malgré notre condamnation et l’accomplissement de notre peine ?

Nous ne disposons pas des réponses, mais nous avons aujourd’hui le sentiment d’être stigmatisés et l’objet d’une discrimination évidente alors que d’autres détenus condamnés à de lourdes peines pour « faits de terrorisme» ont déjà été rapprochés de leur famille. Il n’est pas non plus tolérable que nos familles supportent cette double condamnation, qui est totalement contraire aux principes d’indépendance de la justice, d’équité, d’impartialité et de loyauté.

Au terme de presque 20 ans d’enfermement, mais surtout pour nos familles, nous avons choisi de ne plus nous taire, d’en appeler à la conscience et à la solidarité de nos concitoyens, dans leurs pluralités de vues, d’expressions et d’origines, pour qu’ils puissent contribuer à faire respecter nos droits de détenus, dans un pays qui se revendique être le pays des droits de l’homme.

Nos familles, nos femmes, nos enfants, nos petits-enfants, nos mères, NOUS, avons besoin de vous tous pour faire entendre notre voix au-delà des murs d’enceintes, et faire respecter notre droit légitime «d’homme », disposant toujours d’une intégrité physique, morale et intellectuelle, à être traité dignement. »

 

Alain Ferrandi, Pierre Alessandri.

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