Municipales 2e tour

Un scrutin hors sol

Le second tour des municipales en Corse ne concerne que 22 communes sur les 360 que compte l’île. Mais, parmi elles, Bastia, Portivechu, Lìsula, Sartè et Aleria sont parmi les plus importantes. Au soir du scrutin final, trois mois et demi auront séparé premier et second tour. Une durée inédite, qui plus est traversée par l’actualité brûlante de l’épidémie Covid-19 : quelle pertinence attendre d’un cycle électoral aussi erratique ?

 

Le « péché originel » a tenu à une décision, la plus incohérente, prise par Emmanuel Macron et Edouard Philippe : celle de ne pas reporter l’élection dans sa globalité alors que l’épidémie, telle un tsunami observé de loin, devait inéluctablement s’abattre sur la France entre les deux tours, obligeant à déclarer l’état d’urgence et le confinement total de la société à compter du 17 mars, le mardi qui a suivi le premier tour. Laisser faire le premier tour alors que l’annulation du second tour était d’ores et déjà programmée, c’est sans nul doute la plus mauvaise des décisions qui a été prise alors.

Par anticipation, le premier tour a lui aussi été atteint, puisque la participation est tombée sous les 50 %, ce qui, pour un scrutin municipal, est dérisoire. Les dirigeants les plus informés, Présidents de Région et autres grands élus, dont Gilles Simeoni pour la Corse, avaient tenté en vain, jusqu’à la veille au soir, de dissuader la tenue d’un scrutin dont il était clair qu’il resterait inachevé, et qu’il faisait courir de grands risques dans la propagation de la maladie.

 

La suite leur a donné raison, y compris de façon dramatique en Balagne où la tenue des élections, notamment à L’Ile Rousse, a été à l’origine d’un troisième « cluster » en Corse, et provoqué plusieurs décès, dont celui du compagnon d’une des têtes de liste aujourd’hui en course.

Tout cela fait de ce scrutin de second tour du 28 juin prochain un scrutin «hors sol », déconnecté d’un premier tour bien lointain et de toutes façons décrédibilisé par la faible participation et le climat sanitaire qui régnait ce jour-là, et sans visibilité dans une campagne qui sera sans réunion ni rencontres avec la population, distanciation sociale oblige.

Sur les 22 communes de Corse concernées, plusieurs n’auront qu’une formalité à accomplir pour élire définitivement un dernier candidat resté à la porte des 50 % des suffrages exprimés malgré l’élection des autres candidats de sa liste dès le premier tour.

C’est le cas à Galeria, Ota, Avapessa, Rennu, Surbuddà, Cagnanu, Felicetu, Cruchjichja, Muracciole, Petra di Verde et Vallecalle. Rares sont les villages où ces seconds tours seront disputés entre des listes pouvant encore espérer la victoire : Coggia, Zonza et Figari en Corse du Sud, Luri, Centuri et Muratu en Haute Corse.

Restent cinq cas de communes où le second tour recèle des enjeux politiques importants : Bastia, Portivechju, Ile Rousse, Sartène, Aleria. Si à Sartène les jeux semblent faits en faveur du maire sortant Paul Quilichini, les quatre autres scrutins sont plus incertains. Comment les électeurs reprendront-ils le fil de cette campagne électorale ? Quelles seront leurs priorités en fonction du contexte qui a beaucoup évolué depuis mars dernier ?

 

En fait, c’est une nouvelle campagne qui commence où les arguments électoraux et politiques sont relativisés, et l’élection marquée par le désintérêt des électeurs. Pas sûr qu’en un mois l’intérêt remonte vraiment.

Pourtant les enjeux sont importants pour la suite du calendrier politique. Bastia a été à la base de la montée en puissance des nationalistes jusqu’à prendre la tête de la Collectivité de Corse en décembre 2015. Au moment où se profile le scrutin territorial de mars 2021, la victoire de la liste conduite par Pierre Savelli est de première importance pour Gilles Simeoni !

L’opposition pense avoir trouvé un leader à Aiacciu en la personne de Laurent Marcangeli qui, fort de son élection au premier tour, met déjà en scène sa candidature aux élections territoriales à venir. L’appoint de Portivechju dans le bagage électoral de cette droite renaissante est en jeu dans le duel qui oppose Georges Mela et Jean Christophe Angelini. Les résultats finaux dans ces deux villes seront l’essentiel du scrutin, tout en étant considérablement relativisés désormais.

Les Corses ont très clairement « la tête ailleurs » en ce début d’une non-saison touristique qui pourrait bien provoquer la pire crise économique que la Corse n’ait jamais subie. Les enjeux politiques de ce scrutin « hors sol » seront désormais bien moindres.

 

François Alfonsi.