Furiani

5 Mai 1992, le film

« Je suis né un 5 mai, le 5 mai 1992 je fêtais mes 9 ans », ainsi débute le film de Corinne Mattei réalisé avec le soutien de la Collectivité de Corse au moyen également d’une contribution publique. Court-métrage de 26 minutes, cette fiction ne retrace pas la catastrophe mais la joie et l’attente qui y ont prévalu à travers le regard d’un enfant.

Présenté en avant-première au Spaziu Culturale de Biguglia le 3 mai, puis au stade de Furiani le lendemain, il a été un moment d’intense émotion qui a marqué cette semaine de commémoration des 30 ans de la catastrophe de Furiani. Dans un récit conté avec une grande justesse, qui se veut « hommage à toutes les victimes », il est un éclairage précieux pour qui n’a pas vécu le drame, car il dit tout de celui-ci sans heurter. Avec retenue, pudeur, dignité, tout est simplement suggéré par notre connaissance de ce qui a suivi. Par cette plongée dans « l’avant », Corinne Mattei, qui a perdu son frère dans la catastrophe, rend au peuple corse la somme de sentiments qui l’habitait quelques heures, minutes, secondes avant la catastrophe. Il est ainsi une aide à la prise de conscience d’un drame collectif épouvantable qui ne cessera jamais de nous habiter. Il aidera progressivement à en faire le deuil pour celles et ceux qui l’ont souffert, et il participera surtout à instruire les jeunes générations ou les populations qui n’ont pas vécu le traumatisme. Des images de joie, l’excitation, l’insouciance, la liesse collective, la confiance au système qui ne permettait pas de se soucier de quoique ce soit, même si l’on pouvait s’interroger sur le gigantisme fragile de cette tribune maudite. Le film resitue ces instants et il permet de comprendre. Comprendre que c’était juste une joie légitime, un moment de partage et de fête et que l’on n’avait pas le droit de nous le voler. Ce film s’inscrit bien dans le travail de mémoire patient depuis 30 ans du Collectif des victimes de la catastrophe du 5 mai 1992. Il témoigne, et de ce fait il interpelle. C’est une œuvre qui comptera dans la volonté du Collectif d’informer, de perpétuer, d’éduquer, particulièrement les jeunes générations. Il participe aussi à la réparation d’une injustice et il est en ce sens un réconfort pour tous celles et ceux qui sont partis vers Furiani le cœur léger, empli de rêves en bleu ce soir-là, et qui collectivement se sont sentis fautifs de leur insouciance alors qu’ils ont été cruellement trompés. Nous voulions juste faire la fête, et on a volé les vies de 19 personnes, et détruit celles de milliers d’autres qu’ils ou elles, soient tombés ce soir-là, ou même qu’ils ou elles aient été présents à Furiani en ce 5 mai.

Bravo donc à Corinne Mattei qui signe là son premier film avec beaucoup de justesse et la pudeur de celle qui a vécu le drame dans sa chair. Bravo à ses équipes de tournage, bravo aux acteurs dont le talent nous ramène à 30 années plus tôt, au moment où le merveilleux nous habitait encore… Bravo et merci, nous avions besoin d’un tel regard posé sur nos souffrances, parce que comme le dit si bien le film, « ce jour-là, le 5 mai 1992, à 20h23 nous sommes tous tombés ». •

Fabiana Giovannini.