Rasenna

À la reconquête de notre identité étrusque

« Rasenna », le nom que les Etrusques se donnaient, est, au-delà d’un pavillon d’une intéressante exposition permanente au cœur du Parc Galea (Folelli) sur l’une des civilisations les plus rayonnantes de Méditerranée, une démarche ambitieuse et passionnante pour notre île. Portée par l’historien-chercheur Jean Castela, président de l’Ineacem, à la tête d’une équipe de jeunes chercheurs tout aussi passionnés, elle démontre à quel point le projet est moderne et impacte bien au-delà des connaissances de l’histoire de l’Antiquité, notre économie. Le concept in fine repose sur ce qu’avait bâti elle-même cette civilisation fabuleuse : l’échange économique, social, culturel, à la conquête de nouvelles découvertes.

 

L’Ineacem a pour objectif l’étude appliquée des civilisations et des espaces méditerranéens dans différents domaines (Histoire, Art, Patrimoine…). Au cœur de l’histoire de la Méditerranée, figure et prospère durant plusieurs siècles cette civilisation étrusque implantée sur un territoire identifié aujourd’hui comme la Toscane, mais qui a rayonné sur tout le bassin méditerranéen.

 

Comment ne pas s’interroger alors de la place de la Corse dans ce monde étrusque ? Prise en compte par les scientifiques, elle reste méconnue du grand public. Jean Castela nous invite à se réapproprier l’influence de cette civilisation sur notre histoire et notre identité. « La Corse fait partie du monde étrusque » affirme-t-il. De cette évidence, naît le projet culturel Rasenna. « Notre projet d’ingénierie culturelle s’articule sur trois domaines, scientifique, éducatif et économique, explique-t-il. L’espace Rasenna est au centre d’actions multiples et coordonnées portant sur la valorisation de l’histoire et des langues anciennes, la mise en place d’une filière d’excellence d’artisanat d’Art, la médiation culturelle, la prise en compte de la thématique étrusque comme levier de développement d’une économique durable. »

« Le monde étrusque est un monde qui fascine et qui peut être un levier y compris sur le plan économique. » Économie touristique, bien sûr, entraînant l’implication d’autres secteurs, comme l’artisanat d’art, la culture, et qui touche inévitablement l’éducation, avec « la question des contenus d’enseignement, de la réflexion sur l’identité de l’île, dans son environnement méditerranéen. »

« La question des étrusques et leur valorisation permet d’arrimer autour de ce projet des compétences multiples » affirme encore Jean Castela.

Autant d’axes de travail pour ce projet qui englobe différentes dimensions et différentes implications. La recherche, archéologique ou historique, les formations qui en découlent ; la réflexion sur les langues anciennes ; le travail universitaire avec notamment le Centre Culturel Universitaire et la formation qui « se mettra en place dès la rentrée prochaine en matière d’étruscologie permettant à des étudiants, à des chercheurs d’avoir des connaissances de base. » C’est une première en Corse, avec « une opportunité très forte pour l’Université de devenir un pôle d’excellence en ce domaine. » Autre aspect fondamental, celui de la langue corse qui rejoint les animations habituelles du Parc Galea associant les scolaires depuis de nombreuses années, avec des établissements qui conduisent des actions didactiques mais aussi organisent des voyages, en Toscane par exemple, où les élèves partent à la découverte de cette civilisation étrusque. « Et puis il y a cette possibilité, explique Jean Castela, de se servir de cette question étrusque pour faire de l’immersion linguistique. C’est pourquoi, dans le cadre du projet, il y a également la formation des enseignants pour être en capacité de présenter cet espace. »

S’ajoute à tout cela un projet plus global, « d’itinéraire culturel des étrusques en coopération avec la Collectivité de Corse, où l’on retrouve les trois domaines phares de cet espace Rasenna – scientifique, économique et éducatif – avec le projet de réunir au Parc Galea, 200 élèves, pour moitié venant de l’Académie de Corse, pour l’autre moitié venant de Sardaigne, Toscane, Ligurie et du pays niçois, pour un échange autour de cette question de la civilisation étrusque et de la participation de ces territoires dans cette civilisation. »

Enfin, bien sûr, la réflexion sur le tourisme, tourisme culturel ou de nature, avec la possibilité de construire des produits touristiques nouveaux, « par exemple en associant la découverte de l’environnement, la nature, en rapport avec la dimension historique. » La pêche, les ports naturels, le rôle des étangs ont une importance forte dans le monde étrusque, et ouvre à « une approche plus globale qui permet une compréhension bien plus forte du territoire » explique encore Jean Castela.

Tout ceci entraîne également une réflexion sur les contenus d’enseignements et les outils pédagogiques à construire. Encore la question de la formation, non seulement pour les acteurs de l’enseignement, mais aussi les guides conférenciers et le monde professionnel du tourisme.

Autre élément clé, les liens avec l’artisanat, et plus particulièrement l’artisanat d’art. Reconstitution de bateaux, par exemple, avec l’implication nécessaire en relation avec la Chambre de Métiers, de charpentiers de marine et tous les métiers qui travaillent le bois. Un projet existe de reconstruire le bateau découvert à Mariana à la fin du XVIIIe siècle et de reconstituer des batailles navales. Même chose pour ce qui est du travail du métal avec l’implication des couteliers, de la reproduction de céramiques, etc. Tourisme encore avec la possibilité de reconstitution de batailles historiques.

Rasenna est un espace d’exposition permanente qui permet, non seulement de cheminer sur la trace antique des étrusques et autres civilisations méditerranéennes, de comprendre leur rôle dans l’histoire et la construction de notre identité, avec la place que la Corse y a prise, mais il ouvre à la construction d’un projet plus global, oghjincu, avec toutes ses implications notamment au plan économique et de la compréhension d’un territoire, de l’exploitation de ses richesses, comme les minerais qui étaient très prisés par les étrusques qui en faisaient commerce. Comprendre comment la Corse participe à ces différentes époques qui se succèdent et « à ces grands mouvements de civilisation », voilà qui peut inspirer nombre de travaux universitaires. Un projet avec la ville de Bastia d’expositions et de cycles de conférences est ainsi à l’étude.

On voit donc les nombreuses implications de cet espace Rasenna, seul espace en Europe d’échanges permanents autour du monde étrusque et de ce qui l’a précédé. Échanges en Corse même, et échanges avec toutes les régions méditerranéennes d’influence de cette civilisation étrusque, offrant un attrait important pour bon nombre de passionnés. Ne croyez pas que c’est là un domaine d’érudits. Le concept est captivant et interpelle le citoyen corse par une approche originale de l’histoire de notre île, avec une exposition pédagogique et attractive. C’est une plongée dans le monde méditerranéen. « Ce que l’on cherche à faire c’est de donner une orientation, une vision, du territoire, qui est une vision ouverte sur la Méditerranée, dit encore Jean Castela. On ne peut pas faire d’histoire de la Corse sans connaître l’histoire de la Sardaigne, de la Toscane, de la Ligurie, etc. Et surtout il faut aller très loin et connaître l’histoire de l’ensemble du bassin méditerranéen. Le fameux lingot de cuivre découvert à Mariana datait du premier millénaire avant notre ère, et proviendrait de Chypre, ou peut-être de Sardaigne aux dernières estimations, ce qui prouve que dès le début du premier millénaire il y avait des échanges à très grande échelle en Méditerranée, et la Corse en faisait partie. » 

Fabiana Giovannini.

 

  • Les étrusques

«Les étrusques est le nom que l’on va donner aux populations au centre de l’Italie essentiellement, nom donné par les Grecs. Les grecs eubéens, de l’île d’Eubée, au nord d’Athènes, viennent au contact de la mer Tyrrhénienne pour rechercher des minerais. Et ils sont bloqués de fait par les populations qui contrôlent déjà ces minerais – l’île d’Elbe est le plus gros gisement de fer de Méditerranée. La question qui vient alors à l’esprit, est : est-ce que ce domaine étrusque se limite à l’Italie centrale ou est-ce qu’il peut englober également une partie de la Corse ? Comment les Corses ont participé à cette civilisation ? » interroge Jean Castela.
Une civilisation qui a dominé la Méditerranée de -800 à -300 avant JC. Rasenna lève le voile sur cette question.

 

 

Anu dettu…

Plusieurs interventions lors de la présentation de ce nouveau Pavillon au Parc Galea. Extraits.

Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse.

« Ce projet nous paraît exemplaire à maints égards, c’est pourquoi il bénéficie du soutien plein et entier des institutions de la Corse. Il est exemplaire parce qu’effectivement il fait le lien entre la recherche, l’enseignement, l’économie, et singulièrement le tourisme culturel. En cela il pourrait être rapproché d’autres projets actuellement en cours, comme le projet Paoli-Napoléon, la réappropriation d’un certain nombre de personnages de notre Histoire. Et donc la réappropriation de nos Etrusques ! »

 

Christian Mendivé, directeurs des services départementaux de l’éducation de l’Inspection Académique.

« Je voudrais exprimer mon enthousiasme et celui de l’Académie lorsqu’on voit exposé un si beau projet qui permet de faire vivre l’histoire, le patrimoine, extrêmement riches de cette Corse. Nos enfants sortent encore plus grandis lorsqu’ils comprennent toutes les appartenances qui font effectivement leur culture… À travers l’histoire de l’Antiquité on peut retrouver cette forme d’enseignement anthropologique des choses, ce qui permet aux plus jeunes de s’enthousiasmer sur le fait culturel, dans toute sa richesse, ses ambiguïtés, ses contradictions… Voir que ce que l’on trouve finalement sur le terrain, dans les rencontres que l’on fait, vient parfois contredire ce qu’il y a dans les manuels d’histoire, ou bien le compléter, le prolonger, le questionner… Quel bonheur pour des enfants de trouver ces hiéroglyphes et d’imaginer, de comprendre qu’ils sont porteurs de sens… c’est l’occasion aussi pour nos jeunes de s’ouvrir vers des échanges autour de la Méditerranée… nous avons tout un système de jumelage en ligne qui permet aux écoliers des deux rivages de correspondre… Vous avez tout mon soutien et tout le soutien de l’Académie. »

 

Simona Rafanelli, Conservatrice du musée étrusque de Vetulonia.

« È una gioia per mè essere quì oggi. Si rializa l’inizio, la prima tappa di un percorso, ma sopratutto d’un grande sogno. Un sogno iniziato dui anni fà quando ci siamo connosciuto con Jean. Oggi siamo diventati tutti amici della Corsica… Questo dialogo con il mondo etrusco è partito da lontano… Abbiamo visto chè li raporti con tutte le cità etrusche continuano fin’à l’epoca romana come vedrete nello spazio Rasenna. Vidarete chè in Corsica si dialoga con tutti. Con li etruschi del Sud, con quelli torna più al norde, è un raporto chi per più di 1000 anni continua. À tal punto quando abbiamo fatto sta scoperta è partito il sogno di Jean Castela, della sua echipa, di tutte l’autorità della Corsica che ano creduto in questo sogno. Ritrovare l’identità etrusca della Corsica, riinserire la Corsica nel Mediterraneo in questo grande dialogo con il mondo etrusco… Voi quì avete il primo spazio in tutta l’Auropa per parlare di l’Etruschi à pari frà tutti li grandi musei taliani, europei, uno spazio aperto per incontrarsi, per parlare delli Etruschi, scambiare, prisentare novità. »

 

Adriano Maggiani, professeur étruscologue.

« Je suis vraiment très content d’avoir suivi un projet de recherche qui pourra vraiment constituer un point de référence pour tous ceux qui sont intéressés par l’histoire de leur territoire. Pour les étruscologues la Corse représente un chapitre fondamental de l’histoire de ce peuple de la péninsule de l’Italie. C’est un moment important parce qu’en Corse, les étrusques ont constitué un centre en dehors de notre territoire. C’est l’unique ville que nous connaissons de fondation étrusque, Aleria, et peut-être d’autres cités et d’autres centres dans l’île, sont vraiment de petites colonies étrusques. »

 

Dominique Federicci, président de l’Université de Corse.

« Ce qui m’a beaucoup plu dans ce projet, c’est le caractère pluridisciplinaire puisqu’il y a une équipe de jeunes universitaires qui se sont investis dans différents domaines, que ce soit la filière technologique ou la filière d’histoire… ce projet est vraiment la démonstration que l’on peut également faire un transfert dans le domaine culturel. On parle de projets de transfert dans les filières scientifiques, sur les ressources halieutiques ou les énergies renouvelables, là, on voit la démonstration qu’un projet en histoire peut avoir du sens et favoriser une politique culturelle. C’est ce que l’Université va s’employer à faire dans les mois qui viennent, développer à travers sa filière histoire, à travers notre Centre Culturel Universitaire, des séminaires et des formations dans un premier temps, puis on l’espère un diplôme universitaire. »

 

  • Le Parc Galea

Lorsque le concept du Parc Galea est lancé il y a quelques années, par la rencontre de deux passionnés, Paul Semidei, propriétaire d’un vaste terrain de 9 hectares en Casinca, d’une part, et Fabrice Fenouillère, brillant conférencier qui a pensé le domaine, le challenge de le rentabiliser paraissait fou. Et pourtant, ouvert en 2012, il brasse aujourd’hui une moyenne de 65.000 visiteurs par an, et est devenu l’un des organisateurs de conférences les plus fréquentés de France, avec des sommités des mondes scientifique, historien, économique, culturel qui viennent y partager leurs analyses et leurs expériences. Avec une quarantaine de conférences annuelles, le Parc ne cesse de grandir sa renommée. À cela s’ajoute aussi des visites scolaires, des ateliers, des animations pédagogiques. Dans un site exceptionnel, s’organisent différents pavillons d’expositions sur la géologie, l’histoire, la nature, la culture, la langue, le peuple ou les légendes de notre île. Le visiteur y chemine de découverte en découverte, et revisite avec émerveillement la Corse sous un angle nouveau, un peu comme avec ce nouveau pavillon Rasenna. À découvrir absolument !