le chant corse sur la voie

Cantu in mossa

«Un peuple, une terre, une musique, c’est tout ce dont il est question dans cet ouvrage somme qui explore le plus petit dénominateur commun de la création artistique et de sa mystérieuse perfection : la chanson. Et l’importance que celle-ci revêt dans notre culture depuis toujours »… ainsi présente l’oeuvre de Patrizia Gattaceca, Frédérique Balbinot qui en signe la préface.

Cantu in mossa, le chant corse sur la voie », aux éditions Albiana, passe en revue tous ses aspects, « des paghjellaghji à l’époque des cabarets, en passant par les groupes folkloriques jusqu’à la période fondatrice du Riacquistu et au delà, l’inconscient collectif insulaire est plein de ces entêtantes ritournelles qui ont jalonné la vie et les expériences de chacun d’entre nous » raconte encore la journaliste. En quelques lignes elle a bien perçu la quête de Patrizia Gattaceca, l’une des voix féminines corses les plus engagées, les plus à vouloir donner un sens à la chanson corse. Et elle le dit, Patrizia, dès la première phrase de son livre :

«Comme bien des Corses, j’ai le sentiment d’avoir reçu le chant en héritage ».

Quel magnifique aveu, quelle plus belle mission que cette transmission quasi « sacrée », le sentiment de devoir rendre aux générations à venir quelque chose de précieux dont on a hérité. C’est tout là le pouvoir du chant, de la poésie, de la musique, de la culture : l’identité !

«Ces voix ont éveillé mon rêve et sans doute façonné mon âme. Je ne sais jusqu’où ma mémoire peut chercher les gestes simples d’une berceuse apaisante, les airs entonnés par les hommes et la musique qui emplit l’espace tout entier ».

Patrizia raconte, témoigne, transmet. Ce superbe ouvrage est écrit comme une vie qui défile, celle de tous ces acteurs et de toutes leurs créations. Explorant les quelques 50 ou 60 années de vie culturelle de notre île dans son écrin méditerranéen, il entre dans l’analyse et l’explication de toute cette profusion créative. Bardé de photographies et d’illustrations magnifiques, coloré et vivant, l’ouvrage est d’abord un inventaire discographique de ce que les plus belles années du Riacquistu, et même bien avant, jusqu’à nos jours ont produit. Le chant corse a l’honneur donc, mais pas seulement. La poésie bien sûr, mais aussi le théâtre, la scène, les festivals, les foires, la danse, l’humour, le cinéma, la lutte, l’histoire, la langue… elle parle de tout, elle vit tout, la chanson corse ! Elle est partie de nous-mêmes. À la fois notre oeuvre collective et ce qui lui donne naissance. L’esse. A lea. À tempu ràdica, cuscenza è creazione !

L’ouvrage passe en revue non seulement les artistes et leurs oeuvres qui ont jalonné ces années, mais à travers eux, notre histoire tourmentée, nos luttes, nos aspirations. Et puis tout ce que ces artistes ont exprimé, de la vie des Corses, ou de celles d’autres histoires et combats menés ailleurs.

« Le but de cet ouvrage n’est certainement pas de tout dire sur la chanson » avoue pourtant Patrizia Gattaceca dans sa conclusion.

«Ce travail entend simplement ouvrir des pistes de réflexion, porter une interrogation sur le rôle du chant, expression populaire, dans la construction individuelle et collective ».

220 pages qui en disent pourtant déjà beaucoup! Mais il est vrai que la source est inépuisable, sans cesse renouvelée, tout en conservant le précieux : les racines.

« Le chant a su s’adapter à l’évolution de la société tout en gardant un ancrage fort dans les valeurs et l’esprit qui font de nous ce que nous sommes. Par sa vitalité, cette expression artistique renouvelle sans cesse la langue et la poésie ».

Avec un message, un appel, une aspiration pour conclure

« la politique qui semble s’être épuisée ces dernières années, semant de plus en plus le doute parmi les artistes et la communauté sur la capacité à donner à la culture la place qu’elle mérite. En ces temps de crise, ne devrait-on pas miser sur la culture et plus particulièrement sur l’éducation culturelle?»

Ce serait là un magnifique aboutissement que de faire du chant et de tout ce qui le porte, la poésie, la musique, le souffle de l’identité, un support éducatif de base pour construire les consciences de nos enfants. Certains le font de bien belle manière, à travers des écoles de chant. Et ces enseignements-là ne s’oublient jamais. Magnìfica òpera di Patrizia Gattaceca. Di chè ciuttassi ind’è nostra memoria per rinvivisce l’esse nustrale.

Tante sciaccamanate !

Fabiana Giovannini.