Mese scorsu, a cità di Bastia hà postu a so candidatura per esse Capitale aurupea di a Cultura in 2028. Vannina Bernard-Leoni hè capiprugettu di ssa dimarchja. Ci ghjunghje da l’Università induv’ella hà passatu 12 anni à capu di a Fundazione Università di Corsica pò à capu di u serviziu « Pôle Innovation et Développement ». Hà una squadruccia di duie personi à u so latu pè u primu scopu di a preselezzione frà 9 cità in Francia à avè postu a so candidatura. Si brama di cunvince i Corsi più chè l’Auropa di ripiglià cunfianza nant’à ciò ch’ella pò porghje a cultura à i nostri lindumani. Chì vantaghji Bastia pò fà valè ? Vannina Bernard-Leoni ci spieca a scumessa.
Un tel projet, n’est-ce pas un Himalaya pour une ville comme Bastia ?
Ce sont des enjeux de reconnaissance très forts d’une capacité à avoir une culture qui rayonne. C’est vrai que quand on dit « Capitale européenne de la culture », on pense grande ville, métropoles ou villes dotées d’équipements, d’évènements qui font déjà l’actualité culturelle. Là où Bastia, je pense, a ses chances, c’est qu’on est en train de changer d’échelle. On le voit à travers les représentations de politiques publiques sur des villes petites et moyennes. Cette candidature pourrait être une fantastique illustration d’une nouvelle échelle de promotion des liens culturels. Bastia est une ville à taille humaine dans un territoire qui a quelque chose vraiment d’unique, c’est une force par rapport à toutes les autres candidatures. Celle de notre territoire du point de vue géographique, conservation de la biodiversité, conservation culturelle avec sa dimension linguistique spécifique. La question est de savoir comment et si le jury va vouloir promouvoir un modèle un peu différent. Mais ce changement de vision serait un fantastique démonstrateur qu’une capitale européenne de la culture, y compris qui représente la France, c’est aussi une ville à une autre échelle, sur des enjeux de proximité.
Un beau message européen, oui, mais quel gain pour la Corse ?
Ce sont des effets leviers assez géniaux. Le côté reconnaissance officielle d’un label, c’est déjà une grande visibilité supplémentaire, sur des enjeux qui ne sont pas toujours ceux auxquels on nous associe. La Corse est connue à l’échelle internationale. Elle est déjà très attractive du point de vue touristique, mais nous ce que l’on voudrait, ce n’est pas forcément plus de gens, mais des gens qui viennent et s’intéressent à la Corse pour d’autres raisons. La nécessité de réorienter le tourisme sur un tourisme plus culturel, plus patrimonial. Que l’on soit perçus comme un lieu de culture, pas uniquement de villégiature où il y a des sites de toute beauté et des traditions très fortes. Mais où, à partir de ces traditions, on a aussi une culture vivante. C’est important en termes d’image, et c’est important aussi pour nous. L’avemu da fà o micca, à mantene ssa cultura viva ? C’est ça l’enjeu.
Faire en sorte que les Corses prennent conscience de ce potentiel collectif ?
C’est ce qui m’intéresse le plus. Il y a beaucoup d’objectifs en termes d’attractivité, mais le véritable enjeu il est sur la confiance que l’on a en nos capacités à continuer à être une culture vivante. Toutes les générations actuelles se sentent héritières du riacquistu. Mais le riacquistu c’est quoi en vérité ? Ça a été la culture qui a drivé le politique. C’est le levier le plus puissant dont on dispose pour construire notre économie, à condition d’en faire un fer de lance. Ci hè una certa ricunniscenza oghje, mais si on n’en fait pas quelque chose de créatif, on tombe dans la folklorisation. Il faut pousser des initiatives innovantes comme par exemple l’immersion pour la langue. On a mis beaucoup d’espoirs dans l’Éducation nationale qui, par ailleurs, est en crise. On voit pourtant qu’il faut aujourd’hui inventer de nouvelles formes pour résister et s’épanouir. Cette candidature offre un cadre exceptionnel, une occasion un peu unique de s’y essayer.
Pourquoi ce slogan, « au-delà de l’île » ?
Il y a eu beaucoup de débat sur le choix du concept. La première idée retenue était « poliphoniques », pour dire qu’on fait entendre plusieurs voix, plusieurs langues, et que cette diversité crée une harmonie. Ça pouvait être à l’image de l’Europe, puisqu’elle assume et promeut sa diversité et le dispositif « capitale européenne de la culture » sert à cela. C’était nous mettre en résonnance, être une petite métaphore de l’Europe. Mais on craignait que cela ne soit entendu qu’au niveau musical. Avec « Aldilà di l’ìsula » on va encore plus loin. Il y a un challenge notamment pour la France et l’Europe à soutenir un territoire insulaire. Il y a un gros travail sur ces sujets au parlement européen. Assumer la dimension insulaire en la dépassant : on est un territoire isolé avec son corrélat qui est un conservatoire culturel et naturel très fort, mais qui a toujours été en même temps en relation avec d’autres territoires européens. Bastia est certainement par ce biais la candidature la plus européenne des neuf candidatures françaises, trait d’union entre les aires culturelles en Europe et le lien avec le sud de la Méditerranée. L’île c’est un carrefour, un creuset, un lieu de passage, remettre ça en scène c’est ce qui nous a motivé. Et « au-delà » c’est aussi sortir du cliché dans lequel on nous réduit parfois d’une île enfermée sur elle-même.
Comment cela va-t-il se passer concrètement ?
On a remis un dossier écrit. S’ouvre une phase de présélection. Le 28 février, une délégation qui incarne la candidature monte passer une audition au ministère de la culture à Paris. C’est un concours, avec un écrit et un oral, devant un jury européen indépendant d’experts culturels. Le 3 mars, donc très vite, seront annoncées les villes présélectionnées. Ça peut être deux, trois, quatre, il n’y a pas de chiffre précis. Et il ne s’agit que de la France. Si l’on est retenu, on doit refaire un dossier pour la fin de l’année 2023 plus détaillé, notamment au niveau financement. En 2024, on connaîtra le nom de la ville sélectionnée. Elle obtiendra un prix européen, le prix Melina Mercouri d’un montant de 1,5 M€. Ce qui est assez anecdotique. Mais ce qu’il faut regarder, c’est l’effet levier économique qu’octroie un tel label. La culture peut être créatrice d’emplois, et d’emplois très qualifiés.
Par exemple ?
En Corse, ce qui marche bien, c’est le cinéma et l’audiovisuel où on a beaucoup d’atouts. Les sites, le climat, une formation qui fonctionne bien, des diffuseurs, une quarantaine de boîtes de production, un pôle tournage… l’audiovisuel et le cinéma en Corse c’est déjà un succès mais il y a plein de filières à développer. La question linguistique aussi est un peu notre carte de visite. Cette fameuse diversité dont l’Europe se prévaut, Bastia et la Corse l’incarnent mieux que tout autre candidature. La langue est au cœur et nourrit une originalité culturelle dont il faut espérer justement qu’elle se maintienne. C’est elle qui a assuré la vitalité de la période du riacquistu. Elle est notre structure mentale. Elle reste très présente, et peut venir irriguer différents champs culturels, que ce soit l’édition, le théâtre, le cinéma, le doublage, elle nourrit tout.
Quel programme pour en apporter la démonstration ?
Plusieurs axes de travail ont été réfléchis, du lien avec le vivant, à la question des communs, qui incarne l’intérêt général où des actions privées, associatives, peuvent s’investir. Les langues et le plurilinguisme, les identités plurielles, la projection aussi « îles réelles et îles rêvées », etc. À partir de ces axes, des idées sont déclinées. Par exemple, Caffè di l’Auropa, des jumelages entre cafés bastiais, corses et grands cafés européens. Ça a toujours été des lieux de brassages, de circulations d’idées. De même E veghje, autour d’artistes, en petits comités pour refaire du lien social. Ballà l’Europa, avec tout ce qui est autour de la danse. La question des littératures européennes, des chants, les pratiques amateures c’est aussi une de nos forces. Il y a une pratique très vivante sur le plan musical. Sur Bastia aussi on a la tradition du lyrique. Autant de choses à mettre en visibilité. Bastia Corsica, terres d’artistes, c’est un système de résidence. Nos artistes sont créatifs. Bien formés techniquement, nourris de créativité par la rencontre, à nous d’organiser leur rayonnement, les faire tourner un peu plus en Corse, mais aussi dans le cadre d’échanges nationaux et européens… Bref la candidature peut nous aider à diagnostiquer nos besoins et essayer d’y répondre. De même, Ange Leccia est le plus connu des élèves de José Lorenzi, un autre projet est de mettre en visibilité les gens avec qui il a eu l’occasion de travailler au niveau international. On peut parler encore de jumelages européens dans les écoles, des cultures urbaines, etc. La question de l’espace public enfin, est fondamentale. C’est le commun par excellence. L’objectif c’est que tout le monde puisse venir.
Mais qu’est-ce qu’il reste de cela ensuite, les villes ayant emporté le titre conservent-elles leurs objectifs ?
Ça dépend des villes. L’objectif d’une candidature, c’est l’année du titre et l’année d’après, où il y a un travail de bilan à faire. Il y a des villes qui ont plus ou moins réussi l’après-Capitale européenne. Parmi celles qui ont eu le titre, beaucoup évoquent les courts séjours, les citybreak, de deux-trois jours pour découvrir la ville, sa culture. En France, le modèle c’est Lille. La ville a été capitale en 2003 mais elle a gardé un système de biennales et nombre d’initiatives qui permettent de conserver cette dynamique culturelle. Pour nous c’est clairement l’objectif.
Pour Bastia et la Corse, c’est l’enjeu le plus motivant ?
Dans la conception du dossier, la stratégie de long terme fait partie des critères. Bien sûr, 2028 doit être une année une peu faste en termes de programmations, mais l’objectif c’est comment se mettre en chemin en créant des synergies. En fait le label, ce sont des leviers de visibilité, d’attractivité, le but est d’induire une dynamique de développement autour de la culture. En Corse, on ne peut pas rester avec un modèle économique qui est à ce point dépendant du tourisme de masse et du BTP. Je crois beaucoup aux enjeux de production, y compris dans la culture comme levier de notre économie sur l’ensemble du territoire. Dans notre maquette de présentation il y a plusieurs projets de grande ampleur fléchés Bastia Corsica. Par exemple, le projet de rénovation de la citadelle de Corti. Cinq ou six gros projets à l’échelle du territoire sont prévus sur la partie investissement.
Et votre maquette financière justement ?
Si nous sommes retenus, on est à peu près à 47 M€ de fonctionnement sur la période des cinq ans. Pour donner une idée, Marseille c’était 130 M€ de fonctionnement. C’est plutôt bien.
Les atouts de Bastia ?
Il y a à Bastia, une vitalité, un soutien à la culture, une dynamique associative aussi, ça compte. Bastia est déjà un peu la capitale culturelle de la Corse. Elle a toujours assumé ce rôle en termes de circulation des idées, avec son patrimoine baroque, sa dimension portuaire, sa proximité avec l’Italie…
Architecturalement il y a eu des réalisations. L’enjeu c’est de montrer qu’il y a du patrimoine, qu’on est capable de continuer à développer et à animer. On représente des enjeux qu’aucune autre ville ne peut incarner. Un nouveau modèle, une échelle de proximité, y compris la proximité avec une nature un peu sauvage.
Franchir la première étape de la présélection permettrait d’impulser une dynamique. Une façon aussi de lutter contre tous les dangers du désenchantement. Parce qu’il y a aussi des enjeux démocratiques. On le voit très bien avec le péril mafieux, les difficultés sociales, tous ces problèmes qui font que la situation rend les gens moroses. Retrouver une confiance, ça peut changer les trajectoires. C’est ce qui s’est passé encore une fois avec le riacquistu. On a besoin, à travers notre identité, notre culture, de retrouver ce souffle collectif. •