Le box-office annonce 400.000 entrées dans les cinémas français pour le film tourné par Julien Colonna et dont l’actrice principale est Ghjuvanna Benedetti. C’est énorme pour un premier long métrage d’un réalisateur jusque-là très peu connu, et pour un film qui ne compte aucune vedette déjà reconnue par le show-biz.
La performance du film Le Royaume est vraiment exceptionnelle. Il faut dire d’abord que ce film, son scénario, son jeu d’acteurs et sa réussite technique et esthétique sont excellents. L’histoire est inspirée du vécu même du réalisateur et scénariste, fils de Jean-Jé Colonna, qui fut durant trente ans un patron reconnu du banditisme, en Corse et au-delà.
Élevé loin des affaires paternelles, Julien Colonna a construit sa vie de façon radicalement différente, et son travail acharné et passionné dans le monde du cinéma en a fait un réalisateur qui compte désormais parmi les meilleurs.
Mais, même maintenu à distance, il a perçu les échos d’une vie marquée par le banditisme au sein duquel son père a joué tout au long de sa vie un rôle de premier plan. Ce ressenti d’années entières de son enfance, de rencontres et de secrets que l’on partage fatalement, lui a permis de construire une fiction pleine d’authenticité.
Il y a introduit un casting d’acteurs corses frappant de réalisme, avec une mention particulière pour la jeune adolescente incarnée par Ghjuvanna Benedetti, autour de qui le scénario est construit, jetée avec son père dans un engrenage mortel de règlements de comptes. Le rythme est haletant, les personnages parfaitement crédibles, et l’histoire à la fois brutale et émouvante. Le public a plébiscité ce film d’action, dans le genre très populaire du film policier, et la fréquentation très forte des salles de cinéma doit tout au bouche-à-oreille de spectateurs conquis par le produit cinématographique proposé.
Ce succès du film Le Royaume vient couronner une année 2024 particulièrement réussie pour le cinéma insulaire, année elle-même le résultat de plusieurs décennies de montée en puissance d’une génération nouvelle engagée dans la production cinématographique en Corse.
Les formes sont très diverses. Le style magagna d’Eric Fraticelli a trouvé son public avec plusieurs films burlesques bien accueillis par plusieurs centaines de milliers de spectateurs. Thierry de Peretti a gagné une réputation justifiée de metteur en scène et de révélateur de talents. La sortie récente de son long métrage À son image a confirmé l’importance de sa filmographie depuis la sortie d’Une vie violente il y a dix ans. Et désormais Julien Colonna a imposé avec brio une belle réalisation d’un cinéma corse qui fait s’impliquer des dizaines de jeunes dans tous les métiers qui lui sont liés, acteurs, monteurs, techniciens…
Ce bagage technique et artistique désormais présent sur l’île est devenu un « écosystème » propice au développement d’une filière économique. Certains réalisateurs reconnus aux racines corses fortes comme Pierre Salvadori, Xavier Giannoli, Catherine Corsini, etc. ont depuis privilégié la Corse pour plusieurs de leurs tournages, d’autres les ont suivis, et, l’un dans l’autre, une activité économique nouvelle a pu s’enraciner dans l’île.
L’attractivité de la Corse comme terre de cinéma a été soutenue par la Collectivité de Corse qui figure à tous les génériques de ces films, et de bien d’autres désormais. Avec l’arrivée en haut des box-offices de « films corses », qui sont bien plus que des « films tournés en Corse », la production cinématographique insulaire a franchi un nouveau seuil. Avec en prime la réjouissante satisfaction d’entendre la langue corse résonner dans les salles obscures de toute la France et au-delà, et demain dans les foyers qui visionneront ces films sur les plateformes de streaming.
Au total, un bilan très positif ! •