Miroir d’une île ?

« Ultime rivage », long métrage de Sébastien Roussin

ARRITTI était convié à l’avant-première du premier long métrage de Sébastien Roussin, ce 12 janvier au cinéma le Studio à Bastia : « Ultime rivage » produit par Angels Film SA, sur une musique originale de Nalla, est entièrement tourné en Corse, ce qui démontre, s’il le fallait encore, tout le potentiel de notre île en matière de cinéma. Rien que pour cela, merci ! Et bravo pour le tour de force d’avoir écrit et construit ce film, on sait combien il est difficile de produire un long métrage, la somme de travail et le coût que cela peut représenter. À noter que, parmi les partenaires, Pietra ou Zilia notamment ont sponsorisé le film.

 

 

Le réalisateur, Sébastien Roussin, est lui-même assez atypique, il nous avouera qu’il a puisé son inspiration pour ce scénario sensible dans ses propres expériences, en tant qu’ancien policier ayant eu à traiter des affaires criminelles… Voilà qui est peu commun.

Le film, lui, malgré toute la violence qu’il sous-tend, est une même quête du bonheur et de la paix intérieure de deux hommes au parcours totalement différent. Ahmed, jeune lybien qui a fui sa terre natale pour venir travailler, à la poursuite de cette « fille de la mer » qu’il voit dans ses rêves, et dont il voudrait se voir accueillir sans comprendre qui elle est vraiment… la Corse ! Et Ange, ancien parrain de la mafia, toujours respecté, mais qui a sombré dans l’alcool et finalement cherche à s’auto-détruire après la mort violente de son fils qu’il n’a pas su empêcher. La rencontre de ces deux hommes, leur entraide spontanée, sans raison et même presque contre nature, est le vrai sujet du film. « Toutes ces choses belles que la nature humaine m’a fait oublier le froid, le noir, la puanteur de certaines âmes m’ont appris le poids de la mort. Les évènements de ces derniers mois m’ont amené à porter ce fardeau » raconte Ange dans sa quête au milieu de la solitude du maquis.

 

Le film traite de deux réalités fortes et dures de la Corse d’aujourd’hui qui doivent nous interpeller, même s’ils ne sont pas le message profond du scénario. La question des migrants, leur rejet par la société, et leur situation de non-droit qui ouvre à l’exploitation de bandes mafieuses et esclavagistes sans vergogne, d’une part. Et combien sont-ils dans notre île à vivre cette réalité ? En a-t-on seulement conscience ? Que font les autorités pour y remédier, outre de s’en prendre aux victimes en les traitant comme coupables et en les renvoyant manu militari dans leur pays ? « C’est important que l’on comprenne que ce n’est pas seulement un film, mais qu’il y a beaucoup de migrants exploités avec des systèmes de trafics de vrais faux contrats de travail partout en Méditerranée dans les pays qui les reçoivent. Merci pour ce film », commente à juste titre la journaliste Liliane Vittori lors du mini-débat qui s’installe après la projection.

Et, second sujet douloureux d’autre part, la mafia, son emprise, sa violence sauvage et impitoyable, dans laquelle la Corse est hélas plongée.

Appuyé sur ces deux sujets très sensibles et actuels de notre île, le réalisateur confie avoir voulu traiter du thème de « la rédemption », celle d’un homme fini, alcoolique, rongé par la culpabilité, et qui se soigne par la rencontre humaine avec ce jeune migrant, profondément bon, alors que tout ce qui lui arrive devrait le conduire à haïr l’autre, et qui renvoie finalement l’image de ce fils disparu, qui refusait de vivre comme son père mais qui l’aimait. Se sentir aimer, n’est-ce pas la quête de tout être humain ? « Comment accepter d’être aimé quand on ne peut soi-même se saquer, et que seule la mort accueillie comme une délivrance, me paraît être un dénouement acceptable à la souffrance ? » dit encore Ange au long de son introspection…

Nous ne dévoilerons pas bien évidemment le dénouement du scénario, mais retenons la force de son message. Au-delà de ces deux thèmes lourds du quotidien des Corses, malgré toute leur violence, le scénario et sa mise en scène réussissent le tour de force d’en faire ressortir l’humain, comme un vœu d’espérance.

« J’espère que cette histoire vous a fait un petit peu réfléchir » commente à l’issue de la projection l’acteur principal Jean Max Lhuillier qui joue le rôle de Ange, aux côtés notamment de Malik Ouahioune, dans le rôle d’Ahmed, Philippe Ambrosini, dans le rôle de l’ignoble Kabyle et son homme de main Eddy, joué par Julian Peilert.

« Vous ne ressortirez pas de la même manière à l’issue de la projection » avait prévenu l’équipe, et elle avait raison. « Je suis très touchée par le film, c’est un film qui interpelle… porteur de plusieurs messages, une question corso-corse, et puis la question de la migration, de la traite humaine, et de l’humain dans tout ça » a résumé la Consule du Maroc Najoua El Berrak présente à cette avant-première. Tous avaient le même ressenti à la sortie de la projection.

Sébastien Roussin et son équipe espèrent voir diffuser « Ultime rivage » à la télévision et attendent des propositions de distributeurs. Pourquoi pas France 3 Via Stella ? •

Fabiana Giovannini.