L’église de Curzu était pleine en ce premier décembre, malgré des villages plutôt déserts dans tout le Sìa. L’évocation par Arapà du sort tragique des soldats corses, et de tous les autres, morts dans les tranchées d’une guerre inhumaine, frappe les esprits. L’assistance en a eu le souffle coupé.
Don Mathieu Santini et Jacques Culioli chantent avec émotion et talent. Leurs voix sont fortes et justes, et elles se complètent à merveille.
Les chansons qu’ils ont choisies pour construire leur spectacle sont toutes magnifiques, très connues ou moins connues, certaines inédites, du répertoire corse et continental : les Frères Vincenti, Léo Ferré, Appolinaire, Jean Paul Poletti, Aragon et d’autres encore mêlent leurs talents. Les mélodies sont prenantes, la poésie des textes est puissante.
Pour rehausser la force artistique du spectacle ils sont accompagnés d’un orchestre de cordes, violons, alto, et violoncelle appuyés par un clavier, de très grande qualité. L’ensemble est d’une harmonie parfaite. La performance artistique est au rendez-vous de ce spectacle très soigné, et cela rehausse l’effet saisissant d’une évocation réaliste, précise, documentée et complète.
Pour appuyer leur évocation, Arapà a convoqué le choc des images, à travers photos et morceaux filmés, reportages d’époque ou scènes reconstituées. C’est absolument saisissant. Chaque étape du récit est ainsi très bien illustrée : l’entrée en guerre, la fraternisation de Noël 1914, la vie dans les tranchées, les batailles féroces et meurtrières.
Une bataille passe en vidéo, terrible, qui à elle seule explique l’horreur de la guerre, et la boucherie cynique voulue par les généraux des deux armées. À une époque où l’espionnage aérien est balbutiant, quand un camp pense avoir réussi à masser plus de soldats que ce que la mitraille ennemie ne peut tuer, on lance l’assaut. Un bon tiers des assaillants est fauché par les obus et les mitrailleuses. Ils sont délibérément sacrifiés.
Puis les deux tiers épargnés se jettent sur les soldats ennemis dans les tranchées : corps à corps, baïonnettes, mêlée indescriptible, des morts là encore par centaines. Puis c’est la contre-offensive du second rideau de l’armée qui a été surprise. Elle contre-attaque avant que leurs ennemis vainqueurs du premier assaut n’installent de nouvelles défenses après avoir gagné quelques dizaines de mètres. Nouvelle mêlée, nouvelle boucherie, et nouveau repli. Le soir venu, des milliers de morts pour une seule journée, et aucun vainqueur ou vaincu. À Verdun, le même scénario s’est déroulé des mois et des mois durant, puis au Chemin des Dames, puis dans la Somme, quatre années de boucherie et enfin, le 11 novembre 1918, l’armistice dont commémorons le centenaire.
À Curzu, Osani et Partinellu ils sont 44 à avoir péri dans ces conditions horribles.
Les trois villages comptaient alors au plus 800 à 1.000 habitants, dont la moitié étaient des femmes, beaucoup des enfants et quelques uns des vieillards. Le « public » concerné par la mobilisation n’excédait donc pas 250 ou 300 hommes. Un sur cinq est mort dans cette guerre !
Deux de Curzu sont morts tués par un même obus. À Partinellu, ils sont deux Dominique et deux Antoine-Marie Cardi : frères et cousins germains, il portaient les mêmes prénoms. Deux frères Ceccaldi d’Osani sont morts eux aussi sur le front.
Un autre est mort à vingt et un ans fin octobre 1918, quelques jours à peine avant la fin de la guerre. Quarante-quatre destins tragiques que les descendants de plusieurs d’entre eux présents dans l’assistance ont découverts : « ils sont ainsi sortis pour un soir de la froideur des plaques de marbre des monuments aux morts qu’on finit par ne plus voir. »
Le centenaire de l’armistice se termine dans quelques jours, mais la mémoire de cette guerre doit continuer. Avec ce spectacle d’Arapà, un outil exceptionnel est en place pour cela. Comme nous, ce spectacle ne pourra que vous emporter.
François Alfonsi.
Le chemin des Dames
Chjami Aghjalesi
Vecu un pratu sott’à lu sole
E tanti panni tesi nantu,
Un acellu piglia lu so volu
è aghju lu mio core frantu.
Culà l’occhji spenti Miola sunieghja
Culà u mio estru corre à fideghja
Culà ci s’hè firmata la mio vita.
Vecu un pagliaghju fumichendu
Compulu à l’ora di a munta
è a mio memoria s’accende
Per un pizzacciu di pane untu.
Culà Francesc’Antone zappa l’ortu
Culà vecu ballà e barche in portu
Culà ci s’hè firmata la mio vita.
Vecu una scola è un tavulone
Sentu mughjà mille zitelli
è di babbò tante canzone
Mi danu lu fretu à a pella.
Culà Fasgianu trascina duie legne
Culà sentu lu mio paese pienghje
Culà ci s’hè firmata la mio vita.
Vecu una ghjesgia sott’à l’invernu
Dui tizzoni è un casgile
A piaghja cutata è inferma
Ch’aspetta lu mese d’aprile.
Culà sentu u ventu frà i pini
Culà di Roccu sentu u viulinu
Culà ci s’hè firmata la mio vita.
Vecu un chjarasgione fiuritu
è sentu fiscà i pastori
è tanti mumenti felici
L’aghju inchjudati in lu mio core.
Culà vecu a neve per i chjassi
Culà sempre vòltenu i mio passi
Culà ci s’hè firmata la mio vita.