La semaine dernière, Arritti rendait compte des travaux de l’intergroupe Searica au Parlement Européen (Seas, Rivers, Islands and Coastal Areas, Territoires côtiers, insulaires, fluviaux et maritimes) et de l’adoption à la quasi-unanimité le 21 avril dernier d’un rapport par la Commission du développement régional (REGI) que préside le député réunionnais Younous Omarjee sur la nécessité d’un « Pacte européen pour les îles ». Le rapport sera voté en juin prochain en séance plénière du Parlement européen.
Faire reconnaître cette spécificité des îles par l’Europe est un impératif pour les territoires insulaires et donc pour la Corse, François Alfonsi, qui préside la commission des îles de l’intergroupe Searica nous explique pourquoi.
Qu’est-ce que l’intergroupe Searica du Parlement européen ?
L’Intergroupe Searica regroupe les eurodéputés, de divers groupes, sensibles aux problématiques insulaires ou côtières. Il est appuyé par une centaine d’eurodéputés et comprend une section spécifique aux îles, que je préside, qui regroupe les eurodéputés représentant la Corse donc et l’île de la Réunion de Younous Omarjee, par ailleurs président de la Commission du développement régional du Parlement Européen, mais aussi des députés de Sicile, des îles d’Istrie en Croatie, de l’île de Malte, des Baléares, de Chypre, ou encore un député suédophone de Finlande qui représente les îles Aland.
La Commission du Développement régional (REGI) du Parlement européen vient d’adopter un rapport important pour les îles ?
Le travail de la Commission REGI a servi de phase préparatoire à l’élaboration d’un « agenda pour les îles » qui pourra déboucher, après un processus de plusieurs mois, sur la définition d’un « Pacte européen pour les îles » à négocier entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen des États membres, pour que les futures programmations européennes, notamment les fonds dédiés à la Politique agricole commune et au Fonds de développement régional, incluent une véritable prise en compte des problématiques insulaires. Le travail de son président Younous Omarjee a permis aux députés insulaires que nous sommes d’être entendus et d’avoir obtenu déjà quelques succès.
Par exemple ?
Le Fonds de Transition Juste du plan de relance européen (750 milliards d’euros) a intégré un amendement spécifique aux « régions ultrapériphériques et insulaires ». Nous avons été entendus aussi durant la pandémie par la Commission européenne sur plusieurs sujets, de façon à ce que les îles ne soient pas à nouveau les oubliées du développement. Enfin le vote à la quasi-unanimité de la Commission REGI (39 pour, un contre) du rapport présenté par Younous Omarjee est important. Il préfigure le vote en séance plénière du parlement européen en juin prochain. C’est un moment favorable pour rebattre les cartes et faire en sorte que les îles soient dans l’avenir des constructions politiques européennes davantage considérées.
Ça n’a pas été le cas jusqu’ici ?
En un quart de siècle de politique de cohésion, les îles n’ont pas obtenu malheureusement les capacités pour avoir un développement harmonieux et nous sommes encore les territoires d’Europe qui avons la situation sociale la plus dégradée. C’est dans les îles qu’il y a le plus de pauvreté, le plus de chômage, et le plus de fragilité et de vulnérabilité par rapport aux événements comme la pandémie par exemple, ou les crises économiques générales qui s’annoncent à la suite de la guerre en Ukraine.
À chaque fois nous voyons que dans les îles les conséquences sont amplifiées et que nous sommes particulièrement affectés par ces crises.
Si on veut regarder les choses sur le long terme, comment elles ont évolué depuis 25 ans, et comment elles pourraient encore évoluer durant les 25 ans qui viennent si rien n’est fait pour renverser la tendance, on va finir avec des mono-activités touristiques très souvent, et avec des situations où le patrimoine comme l’agriculture, les activités productives, vont se trouver complètement concurrencées par les importations. L’évolution du monde appelle la concentration de l’économie, et nos territoires périphériques sont les premières victimes de cette tendance générale.
Que demandez-vous ?
Ce que l’on attend de la politique de cohésion de l’Union européenne, c’est de considérer ces territoires fragiles et de leur donner les moyens de maintenir leurs activités économiques. Par exemple, comme le propose le rapport de Younous Omarjee, avec la réorientation des agricultures insulaires à travers des programmes de type POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) tels qu’ils existent dans les RUP (régions ultrapériphériques que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion, la Martinique, Mayotte et Saint-Martin [France], les Açores et Madère [Portugal] et les îles Canaries [Espagne]). C’est quelque chose qui est prioritaire. Sinon, à court terme, on va voir disparaître l’agriculture dans les espaces insulaires avec tout ce que cela comporte de savoir-faire, de produits de qualité, qui sont importants pour d’autres activités économiques comme le tourisme. L’attractivité touristique de nos territoires dépend de nos capacités de production dans d’autres domaines, et il est crucial d’avoir des politiques de développement qui permettent d’atteindre ces objectifs.
Actuellement, les politiques de développement ne le permettent pas ?
Non car les îles n’ont pas pu faire entendre une prise en compte de l’article 174 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui vise à donner une attention particulière aux zones en difficultés comme les zones rurales ou les zones qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions insulaires. Nous avons été pris en compte dans les traités, mais nous n’avons jamais été pris en compte dans les politiques effectives que la Commission européenne et que les états et le Conseil ont finalement approuvées.
Dans quelques années, il va falloir redéfinir ces politiques avec un nouveau cadre pluriannuel pour les fonds de développement, qu’ils soient liés à la politique de cohésion ou à la politique agricole commune. Mais c’est maintenant qu’il faut se faire entendre pour entrer dans ce cadre. Il faut pour cela être capables de construire un discours commun à toutes les îles et évidemment aux députés européens qui les soutenons. La Commission du développement régional a exprimé avec l’unanimité de ses forces politiques son adhésion à un tel projet.
Concrètement, quel serait le risque ?
Je pense par exemple à des décisions comme la taxe carbone. Si on l’applique aux îles des taxes carbones telles qu’elles s’annoncent et telles qu’elles ne pourront qu’aller crescendo dans les années qui viennent, on va se trouver avec des complications, des renchérissements, des coûts d’approvisionnement qui vont être considérables. Il y a nécessité d’avoir une attention particulière et les exemptions nécessaires pour que les îles ne soient pas demain face à un mur de pénalisations financières qui rendront la vie encore plus difficile et le développement économique encore plus compromis.
Une conférence était organisée sur le sujet ce 28 avril. Quel était votre objectif ?
Grâce à la CRPM qui a organisé ce webinaire, l’intergroupe Searica et particulièrement la section des députés insulaires que nous animons avec Younous Omarjee, nous voulons initier une démarche qui soit la plus collective et la plus volontaire possible. J’en appelle évidemment aux présidents des régions concernées, particulièrement les plus importantes d’entre elles comme la Sardaigne, la Sicile, les Baléares et la Corse bien sûr, je crois que si on unit nos forces, et c’est le moment de le faire, nous pourrons faire entendre nos problèmes et espérer obtenir des solutions.
Comment ont réagi les participants ?
Il y avait des représentants de différents gouvernements. Ils ont tous parlé avec beaucoup de détermination pour donner la force dont nous aurons besoin pour lever les obstacles que nous rencontrons depuis que l’article 174 a été inscrit dans les traités sans jamais être vraiment mis en œuvre. L’enjeu est d’être pris en compte au niveau des politiques européennes. C’est un défi d’autant plus important que les crises que nous traversons, montrent chaque année davantage à quel point notre situation en tant qu’économie insulaire ne va pas en s’améliorant, au contraire, nous avons des tendances lourdes qui nous entraînent année après année à davantage de dépendance, davantage de pauvreté et de précarité sociale.
Que retenez-vous de cette réunion ?
Ce que je retiens de façon très satisfaisante, c’est le panel très large que la CRPM nous a permis de réunir, les déclarations très fermes et très engageantes des responsables des gouvernements insulaires, et bien sûr le propos très engagé du président de la commission REGI, Younous Omarjee. Nous avons ensemble des atouts cumulés qui sont puissants et c’est le moment d’agir. Nous aurons besoin de rencontrer la Commission, certainement aussi de parler au niveau du Conseil pour conclure quelque chose au moment de la présidence espagnole au second semestre 2023. Aujourd’hui c’était un coup d’envoi et je suis persuadé que nous irons jusqu’au bout avec un succès indispensable pour l’avenir de nos territoires insulaires. •