Storia

Il y a 80 ans, la Corse, premier département libéré

« Or, il est prouvé que pas un jour, la Corse n’a cru à la défaite. Il est prouvé qu’elle n’attendait que l’occasion pour se lever, combattre et vaincre. […] Ils étaient d’avance ralliés à cette foi de la Patrie, à cet esprit de lutte à outrance qui maintinrent sur les champs de bataille, au nom de la France combattante. » Les mots du Général De Gaulle, issus de ses Mémoires, résonnent étrangement aujourd’hui, l’année du 80ème anniversaire de la Corse. Le 9 septembre 1943, la Corse entame sa libération, qui sera officielle le 4 octobre. L’opération Vésuve est un succès, qui marque un tournant dans le déroulé de la Guerre.

 

 

            Les conséquences de la blessure des Guerres pour le peuple corse : la politique des chiffres

Les guerres mondiales ont successivement laissé des blessures profondes pour les Corses. Tout d’abord, le lourd tribut qu’ont payé les familles corses, par la mobilisation de leurs fils, frères et maris dans des proportions en dehors des cadres établis par l’État français lui-même. Les mobilisés sont parfois âgés de 14 ans, ou sont des pères de famille avec à leur charge plusieurs enfants. Le peu de considération durant et après la grande guerre de ces Corses envoyés systématiquement au front, abandonnés à leur sort pour les survivants, sur les quais du port de Marseille à quémander un billet pour rentrer dans leur île, les propos du Maréchal Joffre ironisant : « Les Corses viennent au front par bateaux entiers mais quelques barques seulement suffisent pour les ramener dans leur île », tout ceci laisse encore aujourd’hui une blessure profonde dans la mémoire des Corses. Ils n’étaient pas les seuls et il est acquis qu’avec eux les « régiments méridionaux » et « coloniaux » (les tirailleurs sénégalais) ont subi un véritable racisme et compté le plus grand nombre de morts à l’échelle des régions. Durant la seconde guerre mondiale, les Corses paieront encore un lourd tribut et feront pourtant preuve d’une grande bravoure et d’un vrai patriotisme.

 

Les deux guerres ont marqué profondément le paysage, l’imaginaire et la démographie corse. Les monuments aux morts ont fleuri dans chaque village corse, les mères, épouses et sœurs ayant perdu un homme dans la guerre se sont drapées de noir, les hommes revenus vivants sont marqués physiquement et mentalement. Et les guerres vont transformer à jamais le visage de la Corse, y compris au niveau politique.

En effet, les chiffres liés aux guerres mondiales, le nombre de mobilisés et surtout le nombre de morts tombés pour la France sont des données délicates et politiques. Dans les années 1920, la Corse connaît un élan patriotique sans précédent, en réponse à l’irrédentisme italien montant. En 1938, Benito Mussolini annonce son intention d’annexer le Comté de Nice, le Comté de Savoie et la Corse. C’est ainsi qu’en Corse, nait le Comité d’Action et de Défense de la Corse française. Devant 20.000 Corses, le futur grand résistant Jean-Baptiste Ferracci prononcera le 4 décembre 1938 « Le Serment de Bastia » : « Face au monde, de toute notre âme […] nous jurons de vivre et de mourir français ».

Les mobilisés sont légion, et ils participent souvent consciemment au roman national français sur l’attachement de la Corse à la France. Pour les auteurs jacobins, un Corse mort pour la France est un patriote français. Pour les mouvements nationalistes qui naîtront après les guerres, un Corse mort pour la France est un sacrifié. Cette politique du chiffre demeure encore aujourd’hui : il n’est pas rare d’entendre que le nombre de morts corses lors de la Drôle de Guerre soit de 30 et 40.000. En réalité situés probablement autour de 12.000 morts, ce qui est déjà énorme. Les Corses morts pour la France demeureront des symboles, jadis d’un patriotisme exarcerbé, aujourd’hui du prix du sang d’un peuple à jamais défiguré par la guerre.

Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’Emmanuel Macron ait choisi la période de la libération de la Corse et sa visite à cette occasion pour aborder publiquement les discussions en cours sur l’autonomie… Les morts et les héros de la Résistance durant les Guerres en Corse sont aujourd’hui toujours des éléments à part entière du champ lexical politique insulaire. •

Léa Ferrandi.

Les derniers mois de l’occupation italienne en Corse

Une exposition au Musée de Bastia « Corsica 39-45 : les Corses et la Deuxième Guerre mondiale » est visible du 8 juillet au 23 décembre 2023 dans le cadre des 80 ans de la libération de la Corse et revient sur la période de 1939 à 1945, de l’occupation italienne jusqu’à la présence américaine, en passant par la libération officielle en octobre 1943. •