Natalyia Khobta Santoni, Solidarité Corse Ukraine

« Mon Ukraine, mon pays »

Avec l’invasion de l’Ukraine par le Président russe Vladimir Poutine, le monde a brusquement basculé dans une autre dimension. Ce qui jusqu’ici appartenait aux scénarios hollywoodiens, est devenu réalité, l’Europe semble aux portes d’un nouveau conflit mondial avec en toile de fond la menace nucléaire. Dans un tel contexte face à la seconde puissance militaire mondial, le peuple ukrainien surprend par sa résistance et son courage. Son Président, élu en 2019, ancien humoriste politiquement raillé par ses opposants hier, étonne par son calme, sa détermination, sa popularité et sa faculté à prendre la stature d’un chef d’État. Plus grande que la France, l’Ukraine compte 44,13 millions d’habitants et une grosse diaspora de par le monde jusqu’en Corse. Le Docteur Nataliya Khobta Santoni, médecin oncologue à l’hôpital d’Aiacciu, y est installée avec son mari et ses deux enfants depuis 2009. Elle a créé une association pour venir en aide à son peuple, en Ukraine et dans les pays voisins qui accueillent des centaines de milliers de réfugiés depuis la guerre. Solidarité Corse Ukraine a besoin de votre aide. Voici son témoignage.

 

 

Depuis quand êtes-vous en Corse et comment vous êtes-vous attachée à notre île ?

Je suis arrivée en Corse le 1er novembre 2009. Je suis médecin oncologue, je travaillais à Marseille et je suis venue travailler un an ici, car il y avait de gros besoins dans le domaine de l’oncologie ; je m’y suis installée. Je connaissais l’existence de la Corse mais c’est tout, j’ai découvert un pays qui ressemblait au mien.

 

De quelle région êtes-vous en Ukraine ?

Je suis née à l’ouest à Uzhgorod, à la frontière avec la Slovaquie, ancienne Tchécoslovaquie. C’est ma mère qui est originaire de là-bas. Mon père, après des études supérieures, a été envoyé à Dnepro, à 200 km de Donetsk, à l’est. C’est ainsi que j’ai passé mon enfance aussi bien à l’est qu’à l’ouest. Toute ma famille est un peu éparpillée dans tous les coins de l’Ukraine.

 

Brutalement, l’Ukraine a été plongée dans la guerre par l’invasion russe dans des circonstances que même les pires prévisions diplomatiques ne pouvaient imaginer. Vous avez des parents, des amis au pays, avez-vous des nouvelles ? comment vivent-ils cette situation ?

Une partie est déjà résignée. Elle croit en Dieu et l’on se dit que seul Dieu et nous-mêmes nous protègeront. On ne croit pas que quelqu’un pourra nous aider. Une autre partie est dans l’incompréhension et se dit que ça n’est pas possible, que ça va finir par s’arrêter, c’est un cauchemar. Ma propre sœur est actuellement sur la rive gauche à Kiyev. Elle est là-bas avec mon neveu qui a 15 ans. Elle ne conduit pas, elle n’a pas de voiture. Elle n’a pas pu partir. Un pont a été bombardé, il est détruit. L’autre pont est sous les balles en permanence. C’est impossible de le traverser. De ce fait elle ne peut pas se rendre à la gare et le ciel est fermé. Les aéroports civils ou militaires ont été détruits. Il n’y a pas de pistes pour se poser, pas d’endroits où un avion peu atterrir. Je n’ai pas de nouvelles depuis 15 heures. Je me dis qu’il n’y a plus de réseaux pour ne pas penser au pire. Le parrain de ma fille, qui a 6 ans, était généraliste de ville à Aiacciu. Aujourd’hui, il est médecin de guerre au front. Sa femme qui est pédiatre est partie le rejoindre.

 

En tant que médecin, avez-vous des informations sur le nombre de victimes sur place, ce qui est annoncé à la télévision est-il juste ?

Le nombre de victimes est très sous-estimé. Je pense qu’on peut facilement le multiplier avec encore des zéros derrière, sachant que, en tant que médecin, je ne parle pas que des morts. La personne qui n’a plus ses deux jambes, on la considère comment ? La personne qui est blessée au niveau des cervicales et qui est tétraplégique n’est pas morte d’une manière officielle, elle arrive à respirer, le cœur bat, mais elle ne peut plus bouger, sa vie est fichue. Quant au nombre de civils tués, il y avait par exemple un immeuble dans lequel vivait 200 civils, il a été entièrement détruit. Je suis donc persuadée que les victimes sont beaucoup plus nombreuses.

 

Les besoins sont immenses. Vous avez créé une association. Quelles initiatives a-t-elle prises ?

Le but de l’association Solidarité Corse Ukraine est d’apporter du soutien à la population civile, au peuple ukrainien autant que cela sera nécessaire. Nous sommes devant une situation inédite et dans l’urgence absolue. Nous allons donc nous appuyer sur des associations humanitaires sur place pour les renforcer en moyens. Je fais partie de Médecins du monde Corse, j’ai fait appel au siège de Médecins du monde France, il faut un peu de temps pour mettre en place les relais. Avec mon mari, mes amis de Médecins du monde Corse, nous sommes en train de nous organiser pour essayer d’apporter une aide aux populations. Le compte de l’association va être créé et les statuts déposés en préfecture pour publication au Journal Officiel. Une page Facebook a été créée pour faire passer les informations à mesure que nous organiserons nos actions.

 

Comment les Corses qui le souhaitent peuvent-ils aider ?

Un appel aux dons est d’ores et déjà lancé pour obtenir des fonds que nous remettrons aux associations déjà implantées sur place et qui ont besoin de tout.

Dans un deuxième temps, lorsque nous aurons mis en place les réseaux nécessaires pour acheminer le matériel sur place, il y aura aussi une aide humanitaire, au point de vue alimentaire ou médical. J’ai déjà pris contact avec l’association franco-ukrainienne de Côte d’Azur qui fait un acheminement terrestre de cette aide humanitaire. Les besoins sont nombreux en vivres, en vêtements, en médicaments. Il y a déjà plus de 400.000 réfugiés aux frontières. Comment peut-on imaginer que les petits pays comme la Hongrie, la Slovaquie peuvent répondre à un tel afflux ? Ils vont vite être dépassés en moyens, il est impératif que nous nous organisions ici et ailleurs en Europe pour acheminer toute l’aide nécessaire car ces gens ont tout perdu. J’ai pris contact avec Corsica Linea pour les dons en nature. Nous allons contacter aussi les grandes surfaces pour l’aide alimentaire. La solidarité est immense mais il faut l’organiser.

 

Une nouvelle escalade dans la folie de cette situation a été franchie avec la menace de la mise en alerte de la force de dissuasion russe. Comment vivez-vous cette nouvelle situation ?

Je pense que le pouvoir, quelle que soit sa nature, monte au cerveau. Il y a très peu de gens qui ont l’intelligence de dépasser cela pour ne pas vouloir toujours plus. Vladimir Poutine, jusqu’à l’âge d’une trentaine ou quarantaine d’années, n’était pas connu. Il a accédé au pouvoir et je pense qu’il se sent dans une fin de règne, quitte à mourir il est prêt à tout. Soit il sort vainqueur, ce qui dans l’état actuel est compliqué, voire impossible, parce que si l’Ukraine disparaît de la carte politique, devient une annexion russe comme la Crimée, cela ne pourra pas se terminer ainsi. C’est comme pour la seconde guerre mondiale, les gens défendront leur droit à l’existence, leur terre est la valeur essentielle. Et s’il est perdant, c’est la fin de son règne, alors il ira jusqu’au bout.

 

Racontez-nous votre Ukraine…

Mon Ukraine, mon pays, c’est comme la Corse mais en plus grand. On a les montagnes, on a la mer. Il fait hyper froid dans les régions du nord, et on a un climat presque tropical au niveau d’Odessa. Je suis de région transcarpatie. En Corse, on va aller d’Aiacciu à Carghjese et à chaque virage on a la montagne différente. En Ukraine, on va passer à travers les Carpates, c’est plus grand, on n’a pas des montagnes différentes à chaque virage mais au bout de deux trois montagnes on voit un changement de la nature, du climat. Lorsque j’ai amené mon mari en Ukraine pour la première fois, il m’a dit « mais c’est presque comme chez moi ! » C’est donc la même chose qu’en Corse mais sur des distances plus grandes. Nous avons des valeurs qui sont essentielles, c’est la famille, l’homme coupe le pain, il est la tête de la famille, mais la femme porte tout cette charge aussi. Lorsque je suis venue en Corse pour la première fois je me suis dit moi aussi, bien qu’ayant beaucoup voyagé « c’est la première fois où je me sens bien comme chez moi, et je pourrais rester ». Le drapeau ukrainien, bleu et jaune, bleu comme le ciel, jaune comme le blé. Les ukrainiennes d’origine, les vraies, ce ne sont pas les blondes aux yeux bleus, elles sont brunes avec les yeux foncés. Voilà c’est tout ça mon Ukraine.

 

On est admiratif aussi face à ce peuple qui résiste avec courage, sans moyens pour se battre face aux chars russes. L’Ukrainien est attaché à sa terre ?

Oui. C’est ma terre. Je ne sais pas comment le dire mais j’ai besoin de rentrer au pays. J’y ai porté mes enfants tout petits pour leur faire connaître très tôt le pays. J’ai besoin de mes montagnes, j’ai besoin de toucher mon sol. J’ai besoin de voir cette rivière, cette colline, c’est vital pour moi. Donc se battre pour cette terre, pour les Ukrainiens, pour les Ukrainiennes, c’est tout à fait normal. Dans notre groupe à la fac en première année de médecine, on était 13. Deux se sont mariés. La fille est en pédiatrie et le garçon est devenu un très bon chirurgien. Ils sont partis à Kiyev pour travailler. Au moment de l’entrée des Russes en Ukraine, ils ont fait 1000 km en 48h en voiture pour ramener à l’ouest les deux enfants de 13 et 15 ans de mon amie dans sa ville natale. Ils se sont reposés un peu puis sont repartis à Kiyev pour se battre. Elle fait 1,50 m et n’a jamais tenu une arme de sa vie, son mari est virtuose avec un scalpel, et c’est tout. Mais ils ont repris la voiture pour 1000  km et sont retournés à Kiyev. Ils m’ont dit « on repart parce qu’ils ont besoin de nous ».

Voilà, c’est l’état d’esprit du peuple ukrainien. •

Propos recueillis par F.G. le 27/02/2022

Pour vos dons, adressez vos chèques à l’odre de « Solidarité Corse-Ukraine » à :
Association Solidarité Corse-Ukraine, Nataliya Khobta Santoni, Lotissement L’Oliveraie, Trova, 20167 Alata
nataliyasantoni@hotmail.fr