Neuf députés européens, corse, catalans, basques et irlandais, ont créé au sein du parlement européen le « caucus self determination », c’est-à-dire un groupe de soutien à l’autodétermination avec pour objectif de faire entendre la voix des nations sans Etat lors de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe lancée par la Commission européenne pour travailler à une Europe plus démocratique. Le caucus entend faire des propositions pour débloquer les situations de crise autour de l’aspiration à l’autodétermination des peuples. Il propose un « mécanisme européen de clarté démocratique » (Democratic European Mechanism of Clarity) qu’il a présenté lors d’une conférence de presse à Strasbourg le 19 octobre dernier, en prenant exemple sur la constitution canadienne au profit du Québec. L’Europe doit veiller au respect de la volonté des peuples et des procédures démocratiques qui accompagnent les évolutions politiques. La crise catalane, mais aussi la situation en Ecosse et dans d’autres nations ont démontré l’importance de ce besoin de « mécanisme » spécifique pour accompagner ces évolutions. Voici le texte de l’appel du caucus.
« DEMoC Democratic European Mechanism of Clarity : Mécanisme européen de clarté démocratique – Renforcer la démocratie européenne en reconnaissant le droit à l’autodétermination pour tous les peuples.
Objet : L’objectif de cette plate-forme pour le dialogue, la démocratie et le droit des nations européennes de décider librement de leur avenir est d’œuvrer à la création d’un mécanisme européen de clarté démocratique (DEMoC Democratic European Mechanism of Clarity ). Cet outil institutionnel devrait contribuer à la résolution des conflits de souveraineté territoriale dans l’Union Européenne par le dialogue, la reconnaissance mutuelle, la négociation et la recherche du compromis.
La solution politique est la démocratie, la reconnaissance réelle de la diversité de toutes les nations de l’Union et le droit de tous les peuples à définir librement leur avenir.
Notre proposition est qu’il soit admis que tous les territoires qui s’engagent démocratiquement pour un nouveau statut constitutionnel, y compris la possibilité de devenir un Etat indépendant, ne soient pas amenés à le faire de façon abrupte. Dans le même temps, ceux qui refusent ce processus ne peuvent interdire qu’un débat ait lieu et doivent admettre la nécessité de trouver un accord politique.
Dans ce cadre, la consolidation de la construction de l’Union européenne suppose que soit reconnu le droit des peuples à décider de leur avenir, y compris par l’exercice du droit à l’autodétermination.
Le mécanisme DEMoC est une proposition que nous formulons dans ce sens dans le contexte de la Conférence en cours sur l’avenir de l’Europe.
I/ Principe général
L’Union européenne est une construction politique initiée il y a plus d’un demi-siècle, au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’est une réalité bien vivante, engagée pour le très long terme.
Les Traités européens en sont la base démocratique. Ils ont été régulièrement modifiés, et pourraient être révisés afin de permettre aux institutions européennes de s’adapter aux évolutions du monde et de mieux représenter les peuples qui la composent. Telle est la motivation qui a conduit à réunir, durant l’actuelle mandature, une grande « Conférence sur l’avenir de l’Europe ».
La démocratie est le principe essentiel de la construction européenne. La prise en compte de la volonté démocratique des peuples européens est une nécessité historique pour donner à cette construction politique sa force et sa légitimité. Le fondement de l’Union européenne est un choix volontaire et déterminé de vivre ensemble dans la reconnaissance de sa diversité.
Dans ces conditions, les États membres incapables de reconnaître et de prendre en compte leur propre diversité ne sont pas en phase avec les principes fondamentaux de l’Union européenne.
II/ Contexte
Au cours de la dernière législature européenne (2014-2019), nous avons assisté à des événements sans précéden, qui soulèvent des questions sur les droits de certains peuples au sein de l’UE.
Le 18 septembre 2014, l’Écosse a tenu un référendum au cours duquel le peuple écossais a voté sur la question « Should Scotland be an independant country ? » Une majorité, 55,3 %, a voté contre. Il est généralement admis que l’argument du maintien dans l’Union européenne, alors permis par l’appartenance au Royaume-Uni, a été déterminant dans le choix final du peuple écossais.
Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni a organisé un nouveau référendum qui a conduit au Brexit, par le vote de 51,89 % des électeurs britanniques qui ont décidé de quitter l’Union européenne. Mais le vote écossais a été à l’opposé, 62 % des électeurs d’Écosse ont voté pour rester dans l’UE.
Depuis, le gouvernement écossais demande un nouveau référendum afin de décider si l’Écosse doit être indépendante, lui donnant la possibilité de réintégrer l’UE.
Le 1er octobre 2017, le gouvernement catalan a organisé un référendum malgré l’opposition et la répression du gouvernement et des principales juridictions espagnoles. Malgré de nombreuses entraves, la participation a été remarquablement élevée (43 %) et finalement 2 044 038 Catalans ont voté « Oui » (90,18 %) à la question « Voulez-vous que la Catalogne soit un pays indépendant sous la forme d’une République ? » Bien que les violences policières contre les électeurs aient fait plus de 1 000 blessés, 96 % des bureaux de vote sont restés ouverts. Le peuple catalan et ses institutions ont réussi à exercer leur droit à l’autodétermination.
Une crise politique de grande ampleur s’en est suivie. Faute d’avoir pu bloquer le référendum, l’Espagne a entamé une campagne judiciaire et diplomatique agressive pour combattre l’indépendance catalane, tout en déclenchant la répression contre les militants indépendantistes catalans.
La justice espagnole a poursuivi de nombreux responsables politiques politiques et de la société civile, et les a condamnés à des peines allant jusqu’à 13 ans de prison.
Ceux qui sont restés en exil n’ont pas été extradés vers l’Espagne : les systèmes magistrats écossais, belges et allemands ont rejeté le mandat d’arrêt européen émis par les juges espagnols. La répression entreprise par l’Espagne a été désavouée par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (A/HRC/WGAD/2019/6), d’autres organisations de défense des droits de l’homme, et plus récemment, a été condamnée par le Conseil de l’Europe (2381, le 21 juin 2021).
D’autres nations historiques, telles que le Pays basque, la Galice, la Corse, le Pays de Galles ou la Flandre, pour n’en citer que quelques-unes, aspirent également à un statut spécifique dans l’Union qui corresponde à leur réalité institutionnelle et nationale, et qui garantisse une représentation adéquate de la diversité qu’elles représentent au sein des institutions de l’Union européenne. Dans de nombreux cas, les propositions de solutions créatives et innovantes, concepts de souveraineté et d’identités partagées du XXIe siècle, se heurtent aux conceptions étroites des États membres : une interprétation restrictive du Droit, un système judiciaire et des médias inféodés à la conception monolithique d’un nationalisme d’État. Il leur faut défendre leur volonté d’exercer le droit à l’autodétermination malgré un contexte qui se révèle de très basse qualité démocratique.
C’est pourquoi la reconnaissance de la diversité des peuples et des nations d’Europe, ainsi que la prise en compte démocratique de leurs aspirations, requièrent de profondes réformes politiques. Notre proposition de mécanisme européen de clarté démocratique est l’une d’entre elles.
III/ Pour un Mécanisme européen de clarté démocratique
Les principales forces de l’UE sont sa légitimité historique, sa capacité à surmonter les conflits en son sein par le dialogue et la démocratie, et sa vocation à se dans le monde pour résoudre ce type de conflits. Pour être cohérente avec ce bilan, l’Union doit se doter des outils institutionnels et juridiques permettant de résoudre les problèmes de même nature qui peuvent se poser à l’intérieur même de ses frontières. L’avenir de l’Europe ne peut pas être un carcan rigide incapable de répondre aux différentes demandes démocratiques des peuples qui la constituent.
De nombreux États abordent à tort ces problèmes à partir de conceptions datant du XIXe siècle. C’est pourquoi nous soutenons ce mécanisme européen de clarté démocratique, qui constitue la meilleure réponse à ces conflits politiques.
Le Canadian Clarity Act créé pour la province francophone du Québec constitue un précédent qui pourrait inspirer l’Union européenne dans la définition de son propre mécanisme européen de clarté démocratique, selon les principes suivants :
- Dans un système démocratique, l’outil principal est le vote. L’UE doit garantir à ses citoyens la possibilité de s’exprimer librement et démocratiquement sur le statut politique de leur pays, dans un cadre défini : clarté de la question, garantie du vote démocratique, obligation de négocier sincèrement et de bonne foi sur la base de la volonté exprimée par le peuple, et la mise en place d’un cadre de conciliation pour faciliter ces négociations.
- Un État membre ou l’Union européenne ne doivent pas pouvoir remettre en cause l’appartenance de tout peuple ou nation sans État qui souhaiterait y rester. Les Nations qui deviennent indépendantes de manière légale et démocratique devraient pouvoir adhérer automatiquement à l’UE par le biais d’une procédure simplifiée et accélérée. Pendant cette transition, les relations entre l’UE et ce territoire restent inchangées. Il faut prendre en considération que ces territoires souscrivent déjà aux valeurs européennes et aux droits fondamentaux, que s’y applique le droit de l’Union et que leurs citoyens sont des citoyens de l’Union européenne.
- Dans le cas où une nation, rattachée à un État membre qui aurait quitté l’Union, souhaite la réintégrer, un statut prioritaire doit s’appliquer pour fournir toutes les facilités pour ce faire.
L’Union européenne doit s’engager et définir son propre Mécanisme européen de clarté démocratique. » •