Le groupe des eurodéputés ALE (sous-groupe du groupe Verts-ALE) tenait son séminaire annuel de travail du 20 au 23 septembre à Bastia. L’ALE rassemble 48 partis nationalistes européens et son groupe au Parlement européen compte 6 eurodéputés. Ces journées ont rassemblé une cinquantaine de personnes, députés européens et leurs staffs, pour des échanges stratégiques, dont l’évènement phare était le débat, ouvert au public corse, donné en présence d’Oriol Junqueras, leader catalan, victime de la répression de Madrid, condamné à 13 ans d’emprisonnement pour avoir soutenu l’organisation du référendum pour l’indépendance en Catalogne, libéré depuis peu sous la pression populaire après près de 4 ans d’incarcération. Son discours empreint de courage et de détermination a marqué les esprits ce 21 septembre à Bastia.
Les pollutions en Méditerranée (plastiques ou hydrocarbures), ouvraient les débats, en présence de Olivier Dubuquoy et Jean Ronan Lepen de l’association de défense de l’océan et du climat ZEA (mer). Gilles Simeoni, président de l’Exécutif de Corse, Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse, François Alfonsi, eurodéputé de la Corse, Lorena Lopez de Lacalle, présidente de l’ALE, Jordi Solé, président du groupe des eurodéputés, menaient les débats.
« L’océan est le principal régulateur du climat » explique Jean Ronan Lepen, il capte 25 % du CO2 anthropique et plus de 90 % de l’excès de chaleur dû au réchauffement climatique. En se réchauffant, il s’acidifie, ce qui détruit les écosystèmes, et affaiblit sa capacité de captage de CO2 : c’est un cercle vicieux exponentiel. On prédit une augmentation de température de l’océan de +3,5° C d’ici 2100 et une augmentation de 0,43 à 2,5 mètres du niveau de la mer, avec autant de risque accru pour 20 M de personnes qui vivent en dessous de 5 mètres du niveau actuel. Vague de chaleur, érosion littorale, incendies, espèces invasives, inondations, modification des migrations, risques d’extinction, surexploitation des stocks, perte de biodiversité, disparition des zones humides (48 % des habitats ont disparu depuis 1970), etc, etc. Les conséquences sont dramatiques ! « 80 % du changement climatique est dû à la combustion des énergies fossiles, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° il faut laisser 80% des réserves connues dans le sol », assène Olivier Dupuquoy qui appelle les eurodéputés à s’emparer de cette priorité.
D’autant qu’à ce danger s’ajoute la « pollution invisible par le plastique ». 1 % seulement du plastique de l’océan se trouve à sa surface. C’est dire les dégâts en profondeur ! Réduit en microparticules ou nanoplastiques, ingéré par les organismes marins, rejeté sur le littoral, ou en dépôt dans les profondeurs, « il est impossible d’extraire le plastique de l’océan à une large échelle. Les scientifiques prédisent que d’ici 2050, 99 % des espères marines auront ingéré du plastique et qu’il y aura plus de plastique que de poisson dans l’océan. »
Engrais et pesticides, détergents de toute nature, déchets solides (184 M de tonnes par an), métaux lourds, rejets d’eaux usées, effluents industriels, déchets nucléaires, hydrocarbures, plastiques… la Méditerranée, mer fermée, est la plus grande poubelle du monde !
ZEA a rappelé le combat commun mené et gagné ensemble contre le permis Melrose d’exploitation offshore au large de la Corse, d’autant plus à saluer face à l’expansion des Zones économiques Exclusives où les États revendiquent des portions de mer qui font que la Méditerranée est « une mer qui n’est plus libre » et subit une vraie « colonisation » industrielle malgré les nombreuses conventions internationales de protection dont elle bénéficie. ZEA a mis fin à cinq permis et d’autres projetés, qui cherchent à puiser toujours plus profond. Deux victoires ont été menées grâce à la mobilisation de la Corse. « Il n’y a plus de permis de forer en Méditerranée occidentale » se satisfait Olivier Dubuquoy, mais il faut rester vigilants car les multinationales sont en embuscade !
Autre intervenant, Marc Sanglas, directeur général de Qualité de l’Ambiente et du Changement Climatique au sein du gouvernement catalan. Il s’exprimait en vidéo et son intéressant exposé sur les politiques pertinentes conduites en Catalogne pour préserver, voire réparer l’environnement, a captivé l’assistance. Arritti y reviendra dans une prochaine édition.
François Alfonsi rappelant les dangers permanents de l’augmentation du trafic maritime et des dégazages du fait de l’insuffisance des équipements des ports ou des moyens d’enquêtes, a prôné l’action commune pour accroitre ces moyens. Il a rappelé sa proposition soutenue par l’ALE et qui pourra donc être examinée et défendue au sein du groupe Verts-ALE de peser pour la création d’une macrorégion Méditerranée, à l’instar de ce qui existe pour la mer Baltique extrêmement polluée, et qui a permis des avancées dans la réparation des dégâts subis dans cette mer peu profonde. Un sujet dont il s’était déjà emparé lors de son premier mandat (2009-2014). Le poids augmenté du groupe Verts-ALE et de l’écologie en général en Europe, permet de redynamiser cette proposition. L’objectif dans un premier temps est de présenter un rapport d’initiative permettant d’afficher les convergences au niveau du Parlement européen. Les travaux de la Commission REGI (politique régionale) permettront de peser en ce sens. Autant de leviers à actionner ensemble. Les questions de la transition énergétique, du surdimensionnement des ports, mais aussi de la surpêche industrielle et des pêches artisanales à préserver, de la pression touristique, sur l’environnement, sur l’urbanisme ont été également évoquées. Lorena de Lacalle y voit une opportunité de se rapprocher des préoccupations de nos territoires. Une prochaine assemblée générale de l’ALE se tiendra aux Canaries, et fera des propositions, « il faut profiter des retombées politiques dans nos régions pour travailler sur ces questions et faire comprendre à nos peuples que l’ALE peut apporter un soutien à la résolution des problèmes. »
La situation politique en Corse était le second débat animé par le politologue Andria Fazi afin d’éclairer les eurodéputés sur les progrès du mouvement nationaliste corse. « Un peu plus de 17 % aux régionales de 2004, quasiment 68 % en 2021, c’est un score qui est quadruplé et qui place le nationalisme corse au-dessus de tous ses homologues européens » a introduit Andria Fazi. Reste le problème de la concrétisation du projet politique et des frustrations, « quoiqu’on pense du bilan » que son retard peut entraîner eu égard à l’ampleur de l’espoir suscité. Comment s’est faite cette évolution politique, du boycott des élections dans les années 70, aux multiples tensions dues à la violence, jusqu’à la progression fulgurante depuis les années 2010 ? « Cessation des actions violentes » d’abord, qui a permis d’établir la confiance au sein des électeurs jusqu’ici réticents, « un leader populaire » qui conforte cette confiance, un « capital humain qui reste unique en Corse », à même de rassembler des milliers de militants, des propositions enfin venues « au centre du débat public et de l’agenda politique », comme la coofficialité de la langue corse. Bref une capacité à séduire des électeurs d’horizons divers, y compris de droite ou de gauche. Le nationalisme corse a trouvé le point de bascule, confirmé dans les différents scrutins, municipales, territoriales, législatives, sénatoriales, européennes. Reste l’attitude gouvernementale « qui refuse toutes les revendications » en invoquant les principes fondamentaux de la République et de sa Constitution.
« Le pouvoir n’a jamais été aussi concentré, bonapartiste, individuel et descendant » explique Andria Fazi qui évoque les différents scenarii des conséquences d’une telle fermeture, et les conditions à remplir pour sortir du statut quo. Première condition, « la capacité de coopération entre nationalistes », les tensions sont un obstacle à la cohésion nécessaire en cas de négociation avec le pouvoir. Il faut arriver à se parler. Retrouver les voies « de mobilisations sociales efficaces », la capacité de mobilisation des partis, syndicats, associations a « sensiblement décliné », c’est « une grave erreur » pour le politologue qui rappelle que « la présence d’un puissant mouvement social mobilisé sur diverses causes peut constituer une pression » sur l’État que ne peuvent exercer les institutions corses. Troisième condition, « trouver de nouveaux alliés » capables de défendre la légitimité et l’acceptabilité des revendications nationalistes. Cela existe au niveau européen, mais il est nécessaire « d’investir à l’échelle nationale ». Les progrès au niveau parlementaire, l’investissement au sein de l’Assemblée des Régions de France, vont dans le bon sens, mais il faut davantage. Quatrième condition : occuper une place dans le débat présidentiel pour y introduire le sujet de la Corse et sortir des blocages qui entraînent des velléités de radicalisation. Pour Andria Fazi, c’est par la qualité de « leurs actions et de leurs interactions » que les nationalistes corses déjoueront les pièges et pourront travailler à leur réussite politique.
Le débat qui a suivi l’exposé a démontré le grand intérêt de l’ALE et des différentes nations représentées à Bastia, sur la question corse. Présents notamment à la tribune les députés Castellani et Acquaviva, et dans la salle Max Simeoni qui a notamment dressé un panorama complet de 50 années de luttes et des mécanismes qui font que l’État est par nature incapable de comprendre et d’accepter les besoins de la Corse. C’est donc avec de l’intelligence déployée dans la lutte et en impliquant le peuple corse, que le nationalisme pourra progresser. Comment est-ce que l’Europe peut soutenir cette marche en avant ? Comment mettre en place un « mécanisme européen de clarté démocratique, sorte de processus qui oblige au dialogue, qui pousse au compromis et qui permette de sortir avec le moins de conflit possible dans le traitement et la solution politique apportés à la demande d’un peuple » interroge François Alfonsi. L’ALE et nombre de nations appellent de leurs vœux ce mécanisme européen pour débloquer les oppositions étatiques. C’est tout l’intérêt du troisième rendez-vous de ces journées, avec le débat sur le futur de l’Europe, débat public cette fois-ci, dans le somptueux cadre du théâtre de verdure du Mantinum.
« Chì piazza pè e nazioni senza Statu ind’è l’Auropa di dumane ? » dans le cadre du débat sur le futur de l’Europe lancé par la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen. Pour l’ALE, il faut s’impliquer dans ce grand débat pour réclamer une solution au sort des nations européennes qui ne disposent pas d’une reconnaissance étatique : Catalogne, Écosse, Flandre, Corse… L’ALE organisera, en sus des échanges de la Commission auxquels elle participera, ses propres conférences pour poser la question de la Catalogne, l’Écosse, l’Irlande, la Corse et toutes les nations qui aspirent à plus de souveraineté.
Pour en débattre à Bastia, de nombreuses personnalités, dont Oriol Junqueras, ancien eurodéputé et figure du mouvement indépendantiste catalan, Jordi Solé, eurodéputé catalan, président du groupe des eurodéputés de l’ALE, Lorena Lopez de Lacalle, présidente du parti ALE, Karl Vanlouwe, député flamand, sénateur en Belgique et membre du Comité des Régions, François Alfonsi, eurodéputé de la Corse, Nanette Maupertuis et Gilles Simeoni, présidents de la Collectivité de Corse. « Les situations de blocages ne peuvent que générer des échecs démocratiques et des conséquences négatives, en terme d’ordre public, de développement économique, de bienêtre culturel, l’Europe ne peut pas se satisfaire d’une situation négative sur un territoire quel qu’il soit, que ce soit une île au milieu de la Méditerranée, ou dans une zone névralgique comme l’est la Catalogne » a plaidé François Alfonsi. Ce qu’ont développé tour à tour l’ensemble des intervenants.
48 partis politiques nationalistes, et les présidences en Corse, en Catalogne, en Flandre, en Écosse, en Valencia, l’ALE a progressé en 40 ans d’existence (fondée à Bastia en 1979) pour faire avancer le droit à l’autodétermination des peuples, la diversité culturelle et linguistique, la justice sociale, l’écologie, Lorena de Lacalle annonce les priorités du parti dans le cadre de ce débat sur le futur de l’Europe : « le changement climatique, la perte de biodiversité, la transition écologique juste, pour évoluer vers de nouveaux modèles qui renouvellent nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble… Ce sont des temps qui exigent un passage de l’intelligence individuelle à l’intelligence collective, et l’esprit d’équipe qui compte beaucoup plus que les égos déchainés que nous connaissons tous » a dit la présidente de l’ALE. Autres priorités, la lutte contre les inégalités, l’accueil aux personnes avec dignité et humanité, et l’autodétermination « parce que nous pensons que c’est le meilleur instrument pour faire face à ces défis ». La prochaine AG à Bruxelles, les 14 et 15 octobre exposera « un cadre juridique pour l’exercice du droit à décider ». L’ALE prône la méthode des assemblées citoyennes et mise sur les femmes et sur la jeunesse pour préparer ces défis.
Mais ce débat a été marqué avant tout par l’intervention de Oriol Junqueras dans un vibrant plaidoyer pour la démocratie, la liberté des peuples et leur droit à décider. S’exprimant en italien pour mieux se faire comprendre des Corses, il a littéralement galvanisé le public par un discours témoignant de son courage et de sa détermination.
« Noi abiamo bisogno di tutta la credibilità. Dobbiamo essere credibile. La prossima volta – ci sarà una prossima volta –, nella quale noi faremu un riferendum per permettere che i citatini della Catalogna vottinu sul suo futturo, noi dobbiamo essere credibili » a introduit le leader catalan, « credibili alli occhi dei nostri concitatini, ma anco della communità internazionale. La Communità internazionale deve sapere che quando noi dicciamo che faremo qualchecosa, la facciamo. La credibilità è imprescendibile per noi. È uno degli elementi che ci doddano di più forza. »
« Non possiamo avere paura del calcere » a dit encore Oriol Junqueras devant un public impressionné par la force du message. « Perchè se noi avvessimo paura del calcere allora abbiamo perso… La nostra lotta è una lotta assolutamente democratica, civica e pacifica. Noi possiamo vincere se noi ci manteniamo sempre nel campo della democrazia, del civismo, del pacifismo. Questa non è la nostra debbolezza, questo è la nostra fortezza. »
« La democrazia è il migliore camino per decidere il futuro collettivo della nostra sucietà… La nostra causa soltanto puo vincere se siamo riconnosciuti anche dalla communità internazionale… Abbiamo bisogno d’un nuovo modello di stato. Abbiamo bisogno e abbiamo dritto di costruirlo democraticamente… Quando i citatini di una sucietà, di un paese, di una nazione, si pronunciano ripettutamente, in muodo democratico, in muodo pacifico, chiedendo un nuovo modello istituzionale, chiedendo una nuova republica dentro dell’Europa, quale deve essere la risposta delle istituzione communitarie, delle istituzione europee, delle istituzione statali ? Soltanto puo essere una risposta ch’è la democrazia !… L’Europa solo puo essere più forte se è più democratica. Il problema della democrazia, i deficiti della democrazia soltanto puono essere superati con più democrazia. »
« Se ci aiutiamo come ci siamo aiutati nel passato, e sopratutto, se ci aiutiamo come speriamo d’aiutarci nel futuro, allora la nostra causa è una causa che puo vincere e che vincerà. Dipendi di tutti noi » a conclu le leader d’Esquerra Republicana de Catalunya sous des applaudissements nourris.
Solidarité, détermination. C’est le message de ces journées pour l’ALE. Prochain rendez-vous, l’Assemblée générale des 14 et 15 octobre prochain à Bruxelles, puis les conférences sur les nations sans État dans le cadre du débat sur le futur de l’Europe. •