Régions et Peuples Solidaires à Toulon

Une 26e Université d’été à enjeux

La 26e Université d’été de la Fédération Régions & Peuples Solidaires s’est tenue à Toulon, organisée par le Partit Occitan cette année, du 26 au 29 août 2021. « Une Université d’été avec de nombreux d’enjeux » a dit son président Gustave Alirol. « Notre fédération doit se concentrer sur l’essentiel et poursuivre la route entamée depuis des années, donner plus de poids à la fédération c’est redonner toute leur place aux régions pour l’avenir de nos territoires dans la construction européenne. » Chaque année l’Université d’été et le congrès de R&PS qui compte 9 partis autonomistes ou indépendantistes, se déplace dans une région d’un parti membre. L’an prochain, ce sera la Savoie !

 

 

C’est le Théâtre Comedia qui accueillait les travaux. Centre des cultures régionales et méditerranéennes créé dans le bouillonnement culturel des années 70, c’est le seul théâtre de France pour les cultures régionales et qui produit des créations en langue occitane. Aujourd’hui il est menacé de disparition pour laisser la place à un projet urbanistique. Décidément les temps sont durs pour les langues et cultures régionales !

Aussi le POc a souhaité mettre l’accent sur cet enjeu culturel en invitant l’ensemble des partis d’Alsace, Bretagne, Catalogne, Corse, Pays Basque, Savoie et bien sûr Occitanie pour débattre des progrès et projets de la Fédération.

Lorena Lopez de Lacalle, présidente de l’Alliance Libre Européenne (EFA) était invitée à s’exprimer en ouverture. Représentant l’un des treize partis politiques européens, l’ALE fédère 48 partis nationalistes en Europe et compte un groupe d’eurodéputés au Parlement de Strasbourg (dont le député de la Corse, François Alfonsi).

Parmi les enjeux, le débat sur le futur de l’Europe lancé par la Commission européenne. L’ALE y organise en marge ses propres échanges, notamment sur la question de l’élargissement aux nations sans État ou futurs États que compte l’ALE (Flandre Écosse, Catalogne, Corse…) et donc le droit à l’autodétermination et la place de ces nations au sein de la construction européenne. Lorena incite les militants des partis membres à se rendre sur la page web mise en ligne par la Commission européenne pour y défendre les revendications de la Fédération. Elle a annoncé la création d’une fédération sœur, sorte de pendant en Italie de R&PS : Autonomie e ambiente, parti associé à l’ALE qui regroupe plusieurs partis autonomistes ou indépendantistes de la péninsule.

Lorena a également insisté sur les préoccupations de l’environnement ou des mouvements de population ; qu’elle préfère au terme de « flux migratoires » trop polémique, afin de trouver des solutions humaines et conformes aux valeurs que véhicule l’ALE.

 

Le premier débat dénonçait l’aberration de la réforme qui a gommé des territoires historiques. Hervé Guerrera, Président de la Fédération provençale du POc qui a conduit la liste Oui la Provence aux dernières élections régionales, se révolte de cette façon qu’a l’Etat français de noyer les territoires historiques dans des appellations comme PACA, aussi stupide qu’inefficace ; Denis Carel, syndicaliste agricole développe les atouts de l’agroécologie paysanne pour assurer l’autonomie alimentaire ; André Neyton, directeur de l’Espace Comedia, conte l’histoire du théâtre occitan et du rôle tenu par l’Espace Comedia ; Gérard Cazorla, président de la Société de coopérative ouvrière provençale de Thés et Infusions, est revenu sur le combat social contre le groupe Univer pour préserver l’emploi et faire de la coopérative un outil de territorialisation et de dynamisation de l’économie provençale. De quoi susciter des échanges passionnés avec la salle. Les produits provençaux représentent 22 % de la consommation en « PACA » et 33 % de la transformation, c’est dire si 80 % et 70% viennent d’ailleurs, et parfois de très loin ! Avec une riche région comme la Provence c’est d’une stupidité sans nom ! Des problématiques hélas partagés au sein de toutes les régions de la Fédération. D’autant que défendre les terres et les productions agricoles, c’est défendre non seulement l’économie, l’emploi, mais aussi s’adapter à la crise climatique. Ce débat soulève la question de l’expansion urbaine démesurée et destructurante pour nos territoires, créant des bulles spéculatives qui ruinent paysages, cultures, relations humaines. Le prix des terres dans le Var représente jusqu’à 16 fois la moyenne nationale ! « Le placement foncier est plus rentable que le placement en bourse ! » L’organisation coopérative est une manière de résister et de promouvoir une agriculture plus respectueuse de nos productions et de nos savoir-faire.

 

Le second débat était la suite logique avec la question : Quelles autonomies dans une France Fédérale ? Pour l’animer l’excellent économiste alsacien Jean Philippe Atzenhoffer, sur le bilan de la fusion des régions, le Conseiller régional breton de l’UDB, Nil Caouissin, et sa proposition de statut de résident pour la Bretagne s’inspirant de la revendication corse, la responsable du syndicat kanak USTKE, Mina Kherfi, sur l’expérience kanak et la revendication de territoire associé ou d’indépendance et Daniel Wea, fondateur des écoles populaires kanakes, EPK.

Marché tendu, expansion des résidences secondaires, entraînant surenchère du prix du foncier et des loyers, et forçant les populations locales à l’exil… il n’y a guère de réponses efficaces en dehors d’un statut de résident. Les Bretons le prônent plus souple que la revendication corse, mais la proposition reste « révolutionnaire » dans une France arc-boutée sur son jacobinisme. Même la taxation des résidences secondaires semble contre-productive, créant une « manne financière pour les communes », et donc la pérennisation du système, les actuels propriétaires de résidences secondaires, étant plutôt fortunés, l’expansion ne serait freinée qu’à la marge. Des constats et des inquiétudes largement partagés dans toutes nos régions, de la Corse à la Bretagne, en passant par la Savoie, le Pays Basque, la Catalogne ou la Provence. Même en Europe, le Pays de Galles, l’Écosse, sont confrontés à ces problématiques. Sururbanisation des côtes, spéculation, croissance des prix des loyers, accession à la propriété entravée, autant de thèmes pour des pistes à creuser ensemble, alors que « Paris impose, uniformise ». Les créations de méga-régions comme le Grand Est n’ont rien à voir avec les territoires historiques et le vécu des gens, elles diluent et in fine dispersent l’action publique, aggravent les crises en détruisant les identités et les ripostes pertinentes qu’elles sont en mesure d’apporter. On l’a vu avec la crise Covid. La promotion en Catalogne sur la liaison ferroviaire Toulouse-Paris en 2h, alors que depuis Perpignan il faut 4h pour joindre Toulouse démontre le ridicule du redécoupage régional depuis Paris ! « Les Catalans ne sont pas des Occitans ! » La terre, la culture, le lieu d’où l’on vient renforcent les liens de solidarités, de confiance, et la dynamique économique.

Ainsi, le Kanak croit en l’esprit de la terre, de ses ancêtres, « les vieux, les traditions, le dokamo, l’homme authentique, capable de vivre avec sa culture, pour s’ouvrir au monde » expliquent nos amis kanaks. La colonisation, la souffrance, les insurections, Ouvéa, les luttes indépendantistes, le processus de décolonisation, les référendums nous sont expliqués. Tamanta strada ! Le troisième référendum aura lieu le 12 décembre, il est crucial et le oui devrait encore progresser ; quelle qu’en soit l’issue, l’indépendance est inéluctable, tôt ou tard, il faudra que la Kanaky retrouve la liberté.

 

Troisième débat, animé par l’eurodéputé François Alfonsi, comment dépasser l’Europe des États ? Peggy Eriksson, présidente du parti Alands Framtid, vice-présidente de l’ALE, présentait le statut d’autonomie des îles Alands et ses entraves ; Christian Allard, un français devenu écossais par son militantisme au sein du SNP, eurodéputé jusque (hélas) au moment du Brexit plaide pour l’indépendance de son pays ; Wouter Patho, membre du parti flamand N-VA et vice-président de l’ALE, explique l’originalité et la complexité du système belge, et la revendication d’indépendance en Flandre, Roccu Garoby, secrétaire général du groupe ALE au parlement européen, conclue sur la revendication du droit légitime à l’autodétermination des peuples.

Avec ses 6500 îles (une soixantaine habitées), ses 30.000 habitants (1M l’été), ses ressources essentielles dans le tourisme, la pêche, l’agriculture… les îles Alands ont une histoire coincée entre Finlande et Suède. Leur autonomie, avec l’officialité de leur langue (le suédois), leur statut de résident, leur pouvoir législatif dans des domaines de compétences comme la santé, l’éducation, les transports internes, la police, la poste… ne les satisfait pas car insuffisamment appliquée. Le suédois décline, les crises comme la Covid démontre que la Finlande ne respecte pas les accords d’autonomie : Aland Framtid revendique son droit à l’autodétermination !

Idem pour l’Écosse qui prépare son second référendum, avec, sans aucun doute, une victoire du oui cette fois-ci, car les Écossais ont été trompés. Ils ont exprimé à travers le non lors du premier référendum leur attachement à la construction européenne, qu’ils ont confirmé lors du référendum sur le Brexit que 65 % des électeurs écossais ont rejeté. Désormais c’est bien pour réintégrer l’Union européenne que les Ecossais voteraient oui au référendum, satisfaits qui plus est des 14 années de gouvernement du SNP. Un parti qui compte 100.000 adhérents et a su mettre en place un accord de gouvernement avec les Verts écossais, également indépendantistes !

 

Quatrième débat, la parole aux députés du groupe Libertés et Territoires, en présence notamment de Bertrand Pancher, président du groupe, Jean-Michel Clément, Paul Molac, Jean Félix Acquaviva, Paul André Colombani. L’occasion d’un bilan et de dresser des perspectives. Qui aurait cru il y a seulement trois ans que l’Université d’été de R&PS accueillerait ainsi autant de députés à l’Assemblée Nationale, un eurodéputé, qu’elle compterait dans ses rangs également un sénateur et autant d’élus régionaux ? Le signe d’une belle croissance qui devrait se confirmer l’an prochain aux élections législatives.

 

Cinquième débat, réservé aux militants et délégués des partis R&PS, et animé par Antonia Luciani vice-présidente de R&PS, un échange avec les partis de gauche ou progressistes sur la question justement des élections présidentielles puis législatives. Place Publique (sa présidente, Pasqualine Lécorché, Jean Luc Benhamias, et le député François Michel Lambert), mais aussi le candidat à la primaire écologiste, Yannick Jadot, ont fait l’honneur d’être présents, pour entendre les revendications des régions. Un débat intéressant qui pèsera, on l’espère, dans les messages des futurs candidats à l’élection présidentielle. À suivre, assurément. •

Fabiana Giovannini.

 

*  Nous reviendrons plus tard sur le congrès et ses motions (pour l’heure, lire l’éditorial de François Alfonsi). Ventu in puppa à a Federazione Regioni è Pòpuli Sulidarii !