La tenue du débat sur la délégation de service public maritime à l’Assemblée de Corse a été l’occasion de présenter une étude intéressante sur la situation économique de la Corse vue à travers le prisme de ses échanges extérieurs, notamment pour le fret. Une approche originale et instructive que l’on doit au cabinet Geocodia basé à Aiacciu, auteur de cette étude commandée par l’Office des Transports de la Corse.
L’objet de cette commande était de quantifier l’impact de la crise économique et sanitaire sur les flux de passagers et de marchandises qui transitent à travers les liaisons assurées dans le cadre de la continuité territoriale. En effet, les contrats liés à cette DSP sont calculés sur la base de prévisions de trafic, et une subvention est allouée pour équilibrer l’économie de chaque ligne aérienne ou maritime. Dès l’instant que le trafic s’effondre par rapport aux prévisions, il convient d’évaluer dans quelle mesure cela impacte les sociétés attributaires des lignes, et si cela justifie un ajustement exceptionnel du contrat.
L’impact sur l’économie corse de la crise sanitaire en 2020
De 2016 à 2019, le PIB de la Corse est passé de de 9 à 9,85 milliards d’euros, presque 10 % d’augmentation. Les emplois qui en dépendent étaient 125.000 en 2016. Ils sont passés à 131.000 emplois, et la Corse affichait fin 2019 un taux de chômage de 8,5 %, contre 10,5 % trois ans plus tôt. La conjoncture économique était donc bonne.
La crise Covid-19 remet tout en cause pour l’année 2020. L’étude anticipe trois scénarios d’ici décembre, avec des approches économiques bien étayées malgré le manque de certaines statistiques économiques. Alors que la situation insulaire de la Corse devrait permettre de pouvoir quantifier tout ce qui rentre et tout ce qui sort, on ne comptabilise que des mètres linéaires de remorques, sans savoir leur tonnage, ni si elles renferment des sacs de patates ou des lingots d’or ; bref on ne sait rien de précis de leur valeur économique.
Cependant, à force de recoupements et d’hypothèses, l’étude arrive à donner un éclairage suffisant de la corrélation entre les transports de remorques et la valeur économique induite dans l’île de l’activité correspondante. Et, à partir de l’effondrement constaté des échanges durant les mois de confinement, et compte tenu de la reprise très partielle durant l’été des trafics fret et passagers, l’impact de la crise sanitaire est quantifié, puis estimé pour les mois à venir.
Un scénario « central » est avancé qui annonce un effondrement de 1,5 milliards d’euros du PIB de la Corse en 2020, soit moins 16 % par rapport à 2019. Actuellement le même scénario pour la France prévoit moins 10 %. L’ampleur plus grande de la crise dans une île que sur le continent est donc largement vérifiée. Le taux de chômage en Corse bondirait à 14,2 % fin 2020, un presque doublement par rapport à fin 2019.
Mais ce scenario central suppose un préalable : l’absence d’un rebond significatif de l’épidémie à l’automne 2020. Si tel n’est pas le cas, on passerait alors au « scénario dégradé » : 0,4 milliard de perte de PIB en plus, 1,9 milliards en tout, moins 18,7 % par rapport à 2019. En cette fin d’été, la probabilité du « scénario dégradé » apparaît de plus en plus grande. Le pic de la crise est à venir, et il sera douloureux.
Des indicateurs intéressants
Conçue pour argumenter à propos des transports et de la justification de l’utilité publique de les subventionner, cette étude donne des indicateurs intéressants.
– Santé publique : moins de malades « exportés ». Le transport de malades pour qui l’offre de soins est insuffisante sur l’île et qui, donc, se font soigner sur le continent, particulièrement à Marseille, est mis en avant pour justifier l’utilité publique de la continuité territoriale.
Mais ces chiffres renseignent aussi sur la situation des infrastructures sanitaires de l’île. Ainsi, la proportion des journées d’hospitalisation hors de Corse des malades insulaires chute de 18 % en 2014 à 14 % en 2019. Ce chiffre montre que le système hospitalier insulaire « retient » davantage que par le passé les malades corses en Corse, témoignant d’une extension de l’offre de soins sur l’île, et d’une meilleure image sans doute.
– Étudiants : 28 % vont sur le continent. Autre angle d’attaque pour argumenter le service public de transport entre Corse et continent, celui des étudiants qui poursuivent leurs études hors de l’île, pour partie pour choix personnel, et aussi parce que leur formation doit être poursuivie hors de Corse faute de cursus de formation existant sur place. Cela représente environ 800 étudiants tous les ans. Leurs va-et-vient pour les vacances scolaires représentent des déplacements le plus souvent aériens.
– Fret : le cœur de la DSP. Marseille capte 80 % du marché, car les plateformes logistiques sont à Marseille ou dans son arrière-pays. Il est vrai aussi que Corsica Ferries limite ses embarquements de fret en pleine saison, donnant alors la priorité à l’embarquement des touristes au moment même où les quantités acheminées par remorque connaissent un pic saisonnier.
À l’évidence sans les lignes financées par la continuité territoriale, la plupart des approvisionnements dont la Corse a besoin pour se nourrir, se loger, se déplacer, s’habiller, etc., ne pourraient arriver dans les ports corses en quantité suffisante. Et ce trafic de remorques tractées entraîne un besoin de transports passagers pour leurs chauffeurs.
Cependant une évolution intéressante est soulignée dans le rapport, concernant le ratio entre importations et exportations qui, jusque-là, de 5,5 tonnes importées pour une tonne exportée est passé sous les 5 tonnes. Il n’y a pas vraiment de quoi crier victoire, mais après tant d’années où ce ratio s’est continuellement dégradé, c’est peut-être un peu d’espoir sur notre capacité de production.
Passagers : pas vraiment besoin d’un « service public subventionné »
Le concept est simple : il n’y a besoin de service public subventionné qu’à partir du moment que les compagnies fonctionnant selon les lois du marché ont une offre insuffisante pour faire face à la demande. C’est bien sûr le cas sur Prupià qu’aucune autre compagnie ne voudrait desservir. Mais cela ne l’est pas sur les autres destinations, notamment Aiacciu et Bastia où Corsica Ferries positionne sans subvention une offre excédent la demande totale de passages.