Ce lundi 18 février, à l’initiative de Femu a Corsica, se tenait une conférence sur « L’économie circulaire, comme stratégie d’émancipation ». Ces réflexions s’inscrivent pour Femu a Corsica dans le cadre de l’élaboration de son projet et des réunions thématiques mises en place, élargies à l’ensemble de la société civile et des collectivités, afin d’associer et de débattre le plus largement possible sur les thèmes forts de l’avenir de la Corse. Paul Jo Caitucoli, Marc Antoine Campana et Julia Santolini organisaient autour du secrétaire national Jean Félix Acquaviva ce premier rendez-vous, où élus et acteurs de l’économie circulaire sont venus nombreux.
Parmi les intervenants, François Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, membre du groupe Libertés et Territoires, président de l’Institut d’Economie Circulaire.
L’économie circulaire est depuis toujours le modèle économique privilégié des nationalistes corses.
Circuit court, protection de l’environnement, veille sociale, au coeur des territoires et de leur identité, elle correspond au modèle de société prôné depuis le riacquistu. Normal donc de voir Femu a Corsica s’en emparer dès sa première conférence thématique pour creuser la question avec les acteurs du secteur. Normal aussi qu’elle soit la référence des écologistes, parcours politique de François Michel Lambert, venu en exposer les enjeux, tant en France qu’en Europe et dans le monde. L’Institut d’Economie Circulaire qu’il a créé en 2013 compte 250 membres et fédère de grandes entreprises, des fédérations du Bâtiment ou du recyclage, des collectivités, des ONG. Ce Think Thank exerce un rôle de lobby au sens noble du terme pour opérer une prise de conscience, changer les comportements et travailler à un avenir en lien avec les territoires. « Nous n’avons qu’une seule planète, prévient François Michel Lambert, il n’est pas possible de continuer à consommer plus que ce qu’elle est en capacité de régénérer. Il faut économiser la ressource, en finir avec ce gaspillage ». Aussi, le député se dit heureux de l’arrivée au Palais Bourbon des trois députés nationalistes corses, forcément plus réceptifs pour travailler davantage à cette révolution des mentalités.
La France est en retard sur d’autres nations européennes ; sa première vraie référence législative est signée Ségolène Royal en 2015 qui y consacre tout un chapitre dans la loi sur la Transition énergétique et pour la croissance verte.
L’actuel gouvernement a pris timidement la suite au travers d’une « feuille de route » toujours en cours de finalisation, avec 50 mesures annoncées, mais « sans stratégie pilote » déplore François Michel Lambert. L’Europe quant à elle, a pillé les ressources de continents comme l’Afrique, et s’est montrée allègrement dépensière. Mais elle se voit contrainte aujourd’hui de miser davantage sur les capacités de son sol. Aussi l’économie circulaire, ou l’économie sociale et solidaire, trouvent plus d’échos dans le débat européen. Chaque européen consomme 15 tonnes de ressources par an, parmi lesquelles 10 tonnes relèvent, outre des infrastructures essentielles, de la seule surconsommation.
3 à 4 véhicules par foyer, des dizaines de paires de chaussures, le tout jetable roi, il faut sortir de ces schémas fous, repenser les choses. « Veiller à la ressource, c’est aussi veiller à la transmission culturelle, préserver l’environnement, connaître le territoire, son histoire, sa géographie, ses atouts, pour trouver un modèle en lien avec lui ».
Quatre leviers d’action pour agir de manière circulaire : « la fiscalité bien sûr, pour dégager des moyens et peser sur les politiques publiques ; la règlementation pour cadrer, coordonner ; l’incitation par le soutien économique ; la montée en compétences et le changement de comportements, avec notamment le travail sur la formation et l’information ». Le député cite aussi « les apports de la révolution numérique, la dimension sociale, le plus d’une monnaie locale complémentaire en terme de valorisation identitaire par exemple, pour réhumaniser les échanges et faire un meilleur usage des ressources ». C’est tout un « cycle » qu’il faut mettre en route, s’adapter à tous les niveaux, « se projeter à partir de valeurs sociétales, environnementales ». Penser le produit tout au long de sa vie : « la construction d’une voiture, c’est sept tonnes arrachés à la terre, pour finir en une tonne qui restera la plupart du temps immobile, et même lorsqu’elle roule, un quart seulement de ses capacités sont utilisées, le reste du temps, c’est du gaspis » dit encore François Michel Lambert. Comment lutter ? Par exemple, lorsque le véhicule est confié au carrossier, miser sur des pièces détachées issues du recyclage, plutôt que des pièces neuves. De même, lorsque le véhicule sert à plusieurs utilisateurs, par le biais du covoiturage par exemple, « les sept tonnes qui ont été nécessaires à sa conception, ont une productivité augmentée ». Et de citer d’autres exemples, comme le système des « supermarchés inversés », sorte de « troc » composé de produits non consommés, remis à la vente, et qui permettent de fournir au consommateur les produits recherchés, avec une meilleure rentabilité économique et environnementale, un coût moindre pour l’acheteur, un gain pour le vendeur, sans oublier « la rencontre » entre l’un et l’autre.
Les deux tables rondes qui ont suivi la présentation ont permis d’aborder différents exemples d’actions possibles pour construire une économie circulaire.
Tour à tour, pour parler des « Enjeux de la relocalisation du développement économique », Vannina Bernard Leoni, Directrice du Pôle innovation et développement de l’Università di Corti, Sibylle Allemand, pour l’association d’agroécologie Una Lenza da Annacquà, Charlotte Combes, animatrice de « Territoire Zéro Déchet Zéro Gaspillage » de la Communauté de Commune du Fium’Orbu Castellu, également représentée par son président Louis Cesari, Joëlle Titrant-Suzzoni, de la Fédération des Foires Rurales Agricoles et Artisanales de Corse, partageant la parole avec Jean Michel Sorba. Puis, « pour résoudre les déséquilibres territoriaux et sociaux qui fracturent la Corse », Paul Jo Caïtucolli, maire d’Arghjusta è Muricciu, membre de l’Exécutif Femu a Corsica, Barbara Carayol-Costa, de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire de Corse, Serge Linale, adjoint au maire de Bastia, en charge du projet « Bastia – Territoire Zéro Chômeur » et Hervé Xueref, responsable de l’associaiton humanitaire d’entraide Install’Toit – Isatis.
La Corse est armée pour développer une économie basée sur les atouts de l’économie circulaire. Du FabLab de l’Université, pour accompagner les projets, offrir les outils, les mutualiser, interagir et in fine animer une communauté rassemblée, au monde agricole et artisanal pour revitaliser l’intérieur, revivifier les valeurs de la terre, en s’appuyant sur ses forces vives, la culture, la langue, les savoir-faire, tout en jouant sur la plus-value écologique et la mixité sociale et générationnelle, ou encore l’exemple de l’éco-quartier d’Arghjusta è Muricciu, et son point multi-services, ses jardins solidaires, ses rénovations de bâtiment ou de mise en valeur du patrimoine, bref, tout un savoir-faire politique s’exprime et démontre que « c’est possible ». Des dispositifs existent, comme « territoire zéro chômeurs longue durée ». 900 personnes en situation de chômage longue durée à Bastia, il faut établir un inventaire sur les besoins, des personnes concernées, comme des entreprises partenaires, afin de trouver les activités novatrices et construire les projets. Bastia est particulièrement dynamique sur ces questions de solidarité et d’implication des citoyens, notamment à travers ses démarches de démocratie participative. La Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire de Corse, CESS Corsica, fédère et accompagne les actions notamment au travers de chantiers d’insertion. Elle a aussi un rôle d’observatoire et développe des projets de « magasins solidaires ». Enfin Isatis est un exemple d’insertion par l’activité économique. 14 salariés en équivalents temps plein, pour 27 salariés aidés et insérés jusqu’ici, dans un travail de collecte de meubles, recyclages ou ateliers de revalorisation, et enfin de vente, tout en sensibilisant à la cause environnementale et sociale.
Le débat est trop court tant il y aurait à dire, sur la nécessité d’impliquer davantage les entreprises, le monde associatif, adapter les codes des marchés publics, préserver le foncier, respecter les règles d’urbanisme, mieux coordonner les acteurs, réfléchir aussi à une gouvernance plus efficace et à des dispositifs de financements qui, certes, et c’est le propre de l’économie circulaire, doivent trouver dans les opérations elles-mêmes le moyen de se financer et de provoquer l’effet d’entraînement recherché, mais qui pour susciter une dynamique plus forte, et surtout pour se répandre et se généraliser plus vite, doivent trouver avant tout une volonté politique affirmée et soutenue.
Car si la fiscalité par exemple, est un levier indispensable, la maîtrise de la fiscalité – et donc l’autonomie – est encore plus indispensable, surtout face à un gouvernement où l’initiative sociale, la cause environnementale ou l’aspiration identitaire, ne sont clairement pas une priorité. Il y a donc, à apporter les démonstrations du plus économique qu’une telle démarche engendre. La Corse s’est dotée d’outils institutionnels pour cela, le Padduc, les contrats de territoires ; elle doit s’appuyer sur le tissu associatif, le monde entrepreneurial, les outils financiers aussi qu’elle s’est donnée, comme la CADEC au niveau public, ou comme Femu Quì SA, société de capital-risque tournée vers ces problématiques.
Bref ce débat de Bastia a été riche d’enseignements et appelle déjà à un autre débat, celui d’approfondir nécessairement sur la question de la gouvernance et du financement de l’économie circulaire.
Rendez-vous bientôt !
Fabiana Giovannini.