Pour Pietra, la bière, c’est une histoire de famille. C’est aussi une histoire de pari sur l’avenir. La création de la marque, il y a plus de trois décennies, était déjà un défi très risqué, couronné de succès désormais. Aujourd’hui, c’est sur l’avenir durable que mise cette entreprise de plus de 40 salariés, exportant ses produits à travers la Corse et l’Europe.
C’est au cœur de la brasserie Pietra à Furiani, que Hugo Sialelli, directeur de la filiale, fils des fondateurs Armelle et Dominique Sialelli, nous reçoit pour présenter les dispositifs durables mis en place pour ancrer la marque dans l’avenir.
Pietra a amorcé une transition écologique depuis plus d’une décennie. Quelles ont été les motivations à cette initiative ?
En réalité, ces enjeux sont là depuis la création, pour une raison ancrée en nous : on est en Corse. C’est un petit territoire, qu’on doit préserver, on a une responsabilité en tant qu’entreprise. On est sur une nappe phréatique, on doit être vigilants. Cela fait partie de la vie de la brasserie, donc il y a 10 ans, on a accéléré le processus, on a structuré ça. L’accélération la plus forte a eu lieu il y 3 ou 4 ans. Forcément, je fais partie d’une génération qui a été très sensibilisée aux enjeux climatiques et environnementaux, en plus des valeurs que m’ont transmis mes parents. Une autre motivation est tout simplement le devenir de la brasserie. Quand on imagine son futur, on se demande comment faire en sorte qu’elle soit durable, au sens premier du terme, durer dans le temps. Et puis, quand on voit les prévisions du GIEC avec une augmentation à 5° de la température, ça ne va vraiment pas. Pour être dans les objectifs donnés par le GIEC et d’autres organisations, il faut y réfléchir en amont.
Quelles ont été les étapes clés de cette transition ?
Tout d’abord, parlons méthodologie : sur la partie RSE, on va travailler deux volets, un volet environnement et un volet énergie, qui sont en fait liés. Sur l’énergie, on a fait l’analyse de nos consommations carbonées, puis on s’est posé la question de la réduction. Cela passe par de la circularité, des investissements, des pratiques plus réfléchies, et une sensibilisation des équipes. Cela a donné une réduction de 40 % des émanations de carbone.
On a mis en place un système de récupération d’énergie, avec une récupération des vapeurs d’évaporation, leur stockage, et leur réutilisation. C’est surtout une accumulation de projets, avec des gros projets comme la récupération d’énergie, qui a nécessité un investissement de 500 000 euros. On a également investi dans un récupérateur de CO2, gaz qui émane de la bière, mais qu’on utilise également pour nettoyer nos cuves. On a mis en place un procédé de récupération de ce CO2, en passant par sa liquéfaction, pour que celui qui émane de la production de bière puisse être réutilisé. Ensuite, pour que ce CO2 puisse être réutilisé sous forme gazeuse, il faut le réchauffer. Et là, c’est une question d’efficacité : on met tout simplement en contact le gaz refroidi avec des choses que l’on veut refroidir. Donc avant, là où on utilisait de l’électricité pour refroidir certaines choses et réchauffer le CO2, on les met en contact pour que l’un bénéficie de l’autre.
Pouvez-vous parler de vos dispositifs RSE ? [NDLR : responsabilité sociétale des entreprises, cf. encart]
Sur les dispositifs RSE de manière générale, pour une entreprise comme la nôtre, ça a forcément un coût énorme. C’est 8 % de notre chiffre d’affaires qu’on a mis dedans, soit 2 millions d’euros. Ce sont des investissements qui, théoriquement, ne rapportent rien. Cependant, je pense sincèrement qu’on se doit de les faire.
Pietra est l’une des 30 premières entreprises signataires de la convention des entreprises sur le climat. Qu’est-ce que cela implique concrètement pour les organismes ayant rejoint la convention ?
C’est une initiative intéressante, qui met les choses en place. On entend souvent que c’est aux citoyens et aux États d’agir, alors que les entreprises sont également actrices du changement. Sur le modèle de la convention citoyenne sur le climat, la convention des entreprises sur le climat a été créée pour partager des modèles de bonnes pratiques et les faire réseauter. Ce ne sont pas les entreprises qui y candidatent d’ailleurs, ce sont les entrepreneurs à titre individuel qui candidatent et sont acceptés ou non. Une fois qu’on est accepté, le but est de créer une méthodologie au bout d’un an pour initier le changement. Il n’y a pas d’obligation, car ce n’est pas une autorité contraignante, mais déjà cela met le pied à l’étrier après un an de travail et d’observations avec des pairs.
Quels seraient vos objectifs les plus ambitieux concernant la transition écologique de votre établissement ? Quels sont les freins à ces objectifs ?
Le rêve ultime, c’est l’auto-suffisance, et n’avoir aucun impact négatif ni dans les entrants ni dans les sortants. Une étape qui serait actuellement souhaitable, c’est d’avoir une station de bio-méthane qui permettrait vraiment une réutilisation des gaz de la manière la plus efficace.
Cependant, on est très dépendants de l’évolution technologique. Les enjeux autour de l’environnement s’emballent, mais l’évolution technologique ne suit pas, notamment pour les entreprises de petite taille comme nous. Il y a également des freins financiers, les projets environnementaux ne sont pas faits pour qu’il y ait une rentabilité, cependant il faut prendre en compte cet aspect économique. Après ces deux « obstacles » là, en toute bonne foi, je ne vois pas d’autres freins. Je suis très positif sur l’avenir.
Le plus gros consommateur de carbone pour un produit comme la bière est l’emballage. Peut-on imaginer voir émerger le retour de la consigne pour le verre à l’échelle d’une entreprise comme la vôtre ?
Chez Pietra, nous avons la particularité d’avoir à peu près 40 % de notre activité en consigné, avec les fûts, pour les bars, restaurants, etc. La plupart des autres brasseries sont à 15 % de consigne environ.
Je travaille sur la question de la consigne depuis 2 ans, c’est un projet qui peut voir le jour, mais avec des freins. Le premier frein, c’est le frein économique : il faut, dès le début, concevoir une ligne entière pour la consigne, un emballage, la bouteille, une manière pour les commerçants et consommateurs de pouvoir stocker et qu’on puisse récupérer les bouteilles. Une ligne coûte plusieurs millions d’euros. Et cela s’ajoute à la réalité opérationnelle : il faut que les clients acceptent de passer en consigné, qu’ils aient la place pour ça. On est en train de faire une étude pour que nos clients passent en consigné, mais cela entraîne d’avoir la même capacité de stockage en vide qu’en plein. Très peu d’établissements ont cette place. Si on part sur cet investissement et que d’un point de vue opérationnel cela ne fonctionne pas, ça détruit tout. Également, on est dans l’attente des réglementations européennes qui peuvent changer la donne, avec par exemple une bouteille standardisée pour toutes les entreprises. Sans cette donnée, investir dans une ligne spécifique à Pietra pour la consigne pour devoir tout modifier au bout de quelques années, ce serait un risque énorme. On sait cependant que la consigne est le sens de l’Histoire, on doit s’y préparer et l’anticiper, avec l’idée d’y aboutir.
Quel rôle à jouer ont les entreprises de la taille de Pietra pour l’avenir selon vous en Corse ?
Il y a un attachement à notre terroir et notre environnement qui est fort. Je connais beaucoup d’entrepreneurs qui ont à cœur de le conserver, qui y mettent des efforts considérables. Tout le monde doit être un acteur du changement, de l’État au consommateur en passant par les entreprises. •
Propos recueillis par Léa Ferrandi.
Le saviez-vous ? La création de la marque Pietra a été une série de paris, notamment, le brassage de la farine de châtaigne. C’est une volonté d’ancrer un produit comme la bière qui n’est, à la base, pas présent en Corse avec un produit ultra-local, la châtaigne. Pietra est à ce jour la seule brasserie à utiliser dans sa fabrication la farine de châtaigne comme produit principal. •
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) c’est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. Une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable.
La norme ISO 26000, standard international, définit le périmètre de la RSE autour de sept thématiques centrales, comme les droits de l’Homme ou l’environnement. •