Le projet controversé de Centre Commercial dénommé Kallisté à Lucciana était présenté ce mardi 24 juillet devant la Commission départementale d’aménagement commercial. Il a été rejeté. Comment pouvait-il en être autrement ?
Le seul point de la localisation suffisait à justifier un avis défavorable : le projet est en effet implanté sur un ESA du Padduc. Rien que ça !
L’ensemble de la famille nationaliste s’est érigée contre, un collectif de riverains et de citoyens également. Sans parler des associations de défense de l’environnement et des communes concernées (Lucciana et Bastia pour ne citer qu’elles) et, bien sûr, de la Collectivité de Corse.
Le permis de construire, porté par la SAS Fanti Promotion représentant Mall & Market, a été déposé le 2 mai 2018.
À ce stade, on peut s’interroger pourquoi ce projet de grande ampleur (11,5 hectares !) est-il avancé maintenant ?
Le Plan local d’urbanisme de la commune (adopté en 2006 avec modification approuvée en 2016) est en cours de mise en compatibilité avec le Padduc.
Sur la forme, la période de 3 ans de mise en compatibilité expirant le 24 novembre 2018, l’examen du projet Kallisté ne pouvait être que prématuré.
Or l’opposabilité du Padduc s’imposera après le 24 novembre 2018 empêchant la réalisation d’un tel projet. Le présenter en amont s’apparente donc à une tentative de « passage en force » pour le pétitionnaire.
Il est en effet nécessaire de connaître préalablement les projets de la commune avant de prendre toute décision de cette importance. On sait par exemple que la commune de Lucciana projette un coeur de vie autour d’un éco-quartier. Dans le Padduc, la commune est présentée comme une polarité économique au niveau de l’aménagement du territoire et un Secteur à enjeu régional (SER) y est signalé. C’est dire s’il est nécessaire pour toute initiative économique sur la zone de s’intégrer dans un projet d’ensemble.
Or la déconnexion de ce projet avec la réalité du territoire est manifeste. Pas de Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), pas de Schéma de cohérence territoriale (SCOT), pas d’approche globale tenant compte de toutes les données du territoire, c’est à dire l’impact en termes d’aménagement du territoire, de conséquences sur l’urbanisme et de cohérence sociale d’un tel projet sur la commune de Lucciana, mais aussi pour les 85 communes de la zone de chalandise.
Le projet est totalement détaché de la réalité corse, non seulement au niveau de l’intérêt politique (préconisations du Padduc, surnombre et tailles démesurées des surfaces commerciales, disparition du petit commerce, désertification des centres ville, engorgement des routes, imperméabilisation des sols notamment par la surface surdimensionnée en parking, paysages et environnement dégradés) mais aussi au niveau spatial (déséquilibres du territoire pour l’ensemble de la zone, étalement urbain, SER non pris en compte) ou social (déstructuration des modes de vie, cohérence commerciale non étudiée et risque de déséquilibre économique).
ARRITTI le révélait il y a peu sous la plume de Antonia Luciani : en 10 ans, la Corse a ouvert 271.451 m2 de surfaces commerciales, sans compter les installations de moins de 1000 m2 dont le passage en commission n’est pas obligatoire.
Inquiétant record: notre île est la région la mieux dotée en mètres carrés de surfaces commerciales par habitant (904m2/1000 habitants) ! Cela a forcément un effet dévastateur sur notre culture et nos modes de vie. C’est-à-dire sur ce qui a forgé au cours des siècles l’âme corse.
Par le passé, la Corse a manqué de cadres pour éviter ces dérives.
Désormais, elle a l’expérience de ce qu’a produit cette boulimie d’espaces de grande consommation sans avoir en retour le développement qui était promis.
C’est pourquoi le Padduc en a tiré des enseignements que nous nous devons prendre en compte : malgré la présentation esthétique de qualité, ce projet ne peut pas être jugé hors de ce contexte général.
Et pour réparer ces erreurs du passé, il nous faut appréhender ce type de projet de manière global à l’échelle de tout un territoire, de ses contraintes, de ses ressources, de ses indispensables équilibres à trouver, bref, de tous ses enjeux à marier. C’est pourquoi le Padduc parle de Secteur à enjeu régional. Les initiatives privées ne peuvent venir interférer sur cette volonté politique. Au contraire, elles doivent se greffer aux choix politiques établis dans le respect de l’intérêt général, et non pas les déstructurer à partir de leurs intérêts particuliers.
Ce projet Kallisté présente aussi beaucoup d’insuffisances, notamment quant à la problématique des déplacements. Il suffit d’emprunter les routes du secteur pour se rendre à l’évidence : les déplacements supplémentaires que l’attractivité de la zone va provoquer ne pourront pas être correctement absorbés sans des aménagements supplémentaires qui seront à la charge de la Collectivité. Or le projet ne chiffre pas, donc ne participe pas, à ces obligations publiques, alors que toute initiative privée, a fortiori d’une telle ampleur, doit inclure une participation aux frais engendrés compte tenu des retombées économiques pour le pétitionnaire.
L’avis de la DDTM remarque que, même s’il est prévu un traitement paysager, des modes doux et des emplacements vélos sur la zone, et que même si on peut noter la proximité du train… le projet se présente comme «un ensemble commercial isolé, formant une bulle déconnectée du territoire, uniquement accessible en voiture». C’est dire le décalage avec ce qu’il est nécessaire de faire pour bâtir un développement harmonieux inséré dans le Territoire.
Le maire de Bastia, Pierre Savelli, a émis un avis défavorable, soulignant à quel point « ce projet s’inscrit dans un modèle économique dépassé, celui du tout-consommation, du tout-voiture, du tout-déchet, basé sur la destruction de l’offre concurrente, de sorte que les emplois annoncés compensent à peine les destructions occasionnées ». C’est d’autant plus important que la ville (comme d’ailleurs Aiacciu) vient d’être retenue dans le programme national «Action Coeur de Ville » pour redynamiser les centres ville. 5 milliards d’euros sont consacrés à ce programme à l’échelle nationale, nos villes doivent savoir se positionner intelligemment, or ce projet de Lucciana vient en contradiction avec la dynamique « Coeur de Ville ».
L’Exécutif de Corse a souligné l’incohérence du projet avec les orientations politiques prisent par la Collectivité de Corse. Le STC a fait part de son opposition face à ce qu’il qualifie « d’érésie économique ». Enfin, rappelons que l’Assemblée de Corse a délibéré à l’unanimité le 31 mai 2018 pour dire son opposition à toute nouvelle demande de centres commerciaux qui ne répondraient pas aux orientations du Padduc.
Je le rappelais il y a peu dans ces colonnes, l’installation exponentielle de grandes surfaces en Corse est aberrante et contraire aux intérêts du peuple corse.
Il est nécessaire d’y mettre un coup d’arrêt.
C’est ce qu’ont fait notre majorité et l’ensemble des élus du territoire concerné lors de l’examen en CDAC ce 24 juillet.
Fabiana Giovannini.
Le Collectif « Pè a maestria di u nostru sviluppu » est né il y a deux mois pour s’opposer au projet de ce centre commercial à Lucciana.
Regroupant partis politiques nationalistes, élus, syndicats et riverains, il rappelle la vocation agricole du site, la démesure du projet, et la dérive de la multiplication des surfaces commerciales en Corse, la qualifiant de « colonisation commerciale ».
Le 15 mai dernier, le Collectif avait rassemblé plus de 200 personnes à Lucciana pour sa constitution, droite, gauche, nationalistes réunis. « La présence de personnes de tous horizons politiques et sociaux montre qu’il y a une volonté de refus de cette logique économique de concentration » avait déclaré l’un de ses animateurs Paul Félix Benedetti.
Le projet Kallisté, malgré certains aspects séduisants en termes paysagers, une promesse de 650 emplois, une volonté de redessiner la ville, s’inscrit dans un contexte défavorable avec la boulimie commerciale qui s’est notamment emparée de la région du Grand Aiacciu.
En 10 ans, il s’est bâti l’équivalent de 39 stades de football en surfaces commerciales en Corse.
L’île est arrivée à saturation.