Ecunumìa

Sortir du cliché d’une Corse « économiquement à genoux »

Les idées reçues les plus fortes sont celles qui arrangent tout le monde, d’un extrême à l’autre des positionnements politiques, aussi bien ceux qui veulent pourfendre le « colonialisme qui a conduit la Corse à l’abîme économique », que ceux qui rejettent toute autonomie de la Corse au nom d’une impuissance présentée comme insurmontable pour le peuple corse à faire face à ses besoins économiques. Mais la Corse des années 2020 n’est plus la Corse des années 1960. Loin de là.

 

 

 

Le 8 octobre dernier, le délégué du Rassemblement national en Corse, François Filoni, en a encore fait un axe de sa communication. Ainsi, RCFM rapporte ses propos : « François Filoni a toujours été très réservé, voire opposé, à une autonomie, “nous sommes des mendiants orgueilleux. (…) Aujourd’hui, l’autonomie n’est pas viable.” »

Pourtant la trajectoire économique que connaît la Corse depuis plusieurs années est bien loin de ce négationnisme qui vise à décourager le peuple corse dans sa revendication historique d’autonomie. Comparée aux autres régions de France continentale, la Corse a rattrapé une bonne partie de ses retards et elle n’est pas aujourd’hui dans la même situation de dépendance qu’il y a trente ans.

 

L’Inspection générale des finances (IGF), qui, au sein du ministère de l’Économie et des finances, mène les études économiques de l’État, a en octobre 2018 publié un rapport sur la Corse. Il compare alors la situation économique de l’île à une moyenne des régions de province, et à la situation des anciennes « 22 régions », quand l’Alsace, le Languedoc Roussillon et l’Auvergne existaient encore dans le paysage administratif français.

Les chiffres disponibles remontent alors à 2015. Extraits.

Sur l’emploi : « Depuis 1990, l’emploi total en Corse progresse à un rythme plus soutenu qu’au niveau national (+46 % contre +14 %). Le taux de chômage est néanmoins supérieur d’un point à la moyenne de la France métropolitaine (9,6 % contre 8,6 %) ». Depuis, Catherine Vautrin est venue cette semaine en Corse livrer les derniers chiffres de l’emploi pour 2024 : « 6,25 %, plutôt meilleur que le taux moyen français ».

Sur le produit intérieur brut : « L’évolution du PIB par habitant en Corse a connu un phénomène de rattrapage marqué puisque l’écart à la moyenne de la France métropolitaine, hors Ile de France, est passée de 18 % en 1996 à 5 % en 2015 »,grâce à un PIB par habitant qui a « augmenté en moyenne de 1,2 % par an en euros constants, soit 0,3 % de plus que la moyenne de la France de province ». Et cela alors même que la croissance démographique était elle aussi supérieure au pourcentage moyen dans le reste de la France, les deux effets se cumulant pour doper la croissance économique globale sur le territoire corse.

Depuis 2015, l’INSEE nous apprend que la tendance est nettement moins favorable puisque « en 2022, le PIB de la Corse s’élève à 10,3 milliards d’euros, soit 29.300 € par habitant, 13 % de moins que la moyenne des régions de province ».

Cette récession récente explique les revendications légitimes des acteurs économiques les plus touchés, notamment dans l’activité du bâtiment. Mais elle ne peut justifier le discours du RN sur une Corse « mendiante et orgueilleuse »,incapable par nature d’accéder à l’autonomie.

 

Ce PIB de 10,3 Mds d’euros est-il assuré par des transferts budgétaires ou fiscaux de l’État ? Lors des discussions du comité stratégique de l’accord de Beauvau, la même IGF a communiqué le chiffre des dispositifs d’aides recensés pour la Corse. Hors conséquences de la crise sanitaire du Covid-19, le total se chiffre à 700 millions d’euros par an. 425 M€ sont constitués par des contributions directes, principalement la dotation de continuité territoriale (187 M€), et, plus importante encore, la péréquation du prix de l’électricité CSPE

(210 M€). Le solde de 30 M€ regroupe les fonds européens, et le plan exceptionnel d’investissements (PEI devenu désormais PTIC) négocié avec l’État quand Lionel Jospin était encore Premier ministre.

Les 380 autres millions d’euros sont des atténuations des dépenses fiscales consenties à la Corse, dont les taux réduits de TVA (carburants, bâtiment, tourisme, alimentation…) sont le poste principal. S’y ajoutent des dispositifs anciens en cours de démantèlement comme les droits réduits sur les tabacs et l’héritage résiduel des arrêtés Miot sur la taxation des successions, qui devraient disparaître en 2026.

Mais qui mettrait en cause le droit des Corses à payer leur électricité au même prix que les zones interconnectées de la France des provinces ? Nous ne serions pas une île, personne ne pourrait mettre un chiffre sur cette « dotation EDF » et en conclure comme le fait François Filoni : « Nous fabriquons chez nous de l’électricité à 4 euros, nous la vendons aux gens à 1,22 et 2,70 aux entreprises. Le reste, c’est la péréquation. Ça veut dire qu’à Brest, à Nice, à Marseille, il y a des gens qui payent pour que nous ayons un courant, à un bon prix ». Car si « l’Île de France » était insulaire, et donc statistiquement identifiable, on pourrait sans nul doute affirmer « qu’à Brest, Nice et Marseille des gens payent pour que les parisiens aient un courant à bon prix » !

 

Cette séance de travail du comité stratégique Beauvau, tenue avec les représentants du ministère des Finances, a identifié 800 M€ de transferts nets, représentent moins de 8 % du PIB de la Corse. Gérald Darmanin a alors fait part de sa surprise d’une situation bien moins creusée qu’il ne le pensait, les déséquilibres budgétaires de la Corse s’apparentant tout à fait aux écarts constatés en France entre les régions les plus riches (Ile de France, Rhône Alpes) et les plus en retard (Hauts de France, Languedoc Roussillon, etc.).

N’en déplaise à François Filoni, la Corse n’est ni mendiante ni orgueilleuse, et son autonomie est viable. Et son développement à l’avenir dépendra avant tout de la liberté dont elle disposera, grâce à l’autonomie, pour décider par elle-même de ses propres affaires économiques. •

François Alfonsi.