La dernière session de l’Assemblée de Corse a pris acte de la situation réelle, et repoussé de 2019 à 2021 les projets de compagnie régionale maritime. Ainsi, il a été renoncé à l’achat immédiat, pour 10 millions d’euros, de deux des cargos mixtes de l’ex-SNCM, le Paglia Orba et le Monte d’Oro, le rapport d’expertise les ayant évalué négativement.
Ces deux acquisitions devaient constituer le point de départ d’une SEM régionale d’armement pour la propriété des navires qui assurent, avec le soutien financier de la continuité territoriale, la desserte des lignes entre Marseille et les ports corses. Le rapport réalisé par l’expert naval basé en Normandie a mis en évidence les problèmes soulevés par cette acquisition, malgré un prix de 10 millions d’euros considéré comme peu élevé.
En effet, ces bateaux ont respectivement 26 et 29 ans, et devront être déclassés dans moins de dix ans. Dans le même temps, ils nécessitaient de lourds investissements pour leur mise aux normes récentes, notamment en matière d’environnement pour réduire, à compter de janvier 2020 compte-tenu de la nouvelle réglementation européenne, les émissions polluantes de composés soufrés et azotés.
Sans compter d’autres investissements de sécurité tels que la réfection des ballasts qui embarquent de l’eau de mer pour assurer la stabilité du navire avec l’impératif de garantir que l’eau embarquée sur une côte ne sera pas déversée sur l’autre en rejetant en même temps des espèces allogènes potentiellement invasives.
Ce rapport d’expertise est venu au bon moment pour suspendre une transaction mal engagée. Le principe de l’acquisition reste fondé car ces cargos sont des « biens de retour » des concessions passées, c’est à dire qu’ils ont été largement payés par les sommes allouées annuellement à l’ex- SNCM par la continuité territoriale. En obtenir le « retour » pour l’euro symbolique par une décision de justice aurait généré des délais nouveaux et rendu obsolète la propriété de bateaux qu’il aurait fallu aussitôt déclasser. D’où l’idée de passer par une transaction amiable réalisable rapidement.
Mais le prix de 10 millions d’euros était critiquable de toutes façons. Plusieurs millions d’euros cela reste une somme considérable et son évaluation « au doigt mouillé » par définition sujette à caution.
Quant au Parquet National Financier, qui avait mené une perquisition retentissante dans les locaux de l’OTC en octobre dernier, il était plutôt motivé selon la presse par le sentiment qu’il s’agissait là d’un «vil prix» par lequel l’armateur se serait acheté la préférence régionale lors des prochains appels d’offres. D’une façon ou d’une autre, l’acquisition se révélait périlleuse. Le Cabinet Evrard y a ajouté son expertise négative. La Collectivité de Corse n’avait donc plus que le choix de renoncer.
Renonce-t-elle pour autant à la compagnie régionale qu’elle a mise en chantier ?
À compter de 2021, des navires neufs, probablement à propulsion GNL (Gaz Naturel Liquéfié), seront nécessaires, et il seront financés, pour l’essentiel, par la concession qui sera alors attribuée pour une durée de dix années par la Collectivité de Corse. Le projet qu’ils restent des «biens régionaux» garde donc toute sa pertinence, même si le poids des enjeux financiers s’annonce considérable car il s’agira alors de mobiliser des centaines de millions d’euros pour réaliser les acquisitions nécessaires, avec une solvabilité basée sur l’attribution ultérieure des aides publiques. Ce qui avait amené la Collectivité de Corse à prévoir des SEMop pour leur exploitation, proposant à la mise en concurrence la participation des privés aux structures semipubliques mises en place pour la durée de la concession. Pour l’OTC, le projet suit son cours, mais il sera lancé lors de la future période de dix années qui sera ouverte en 2021.
En effet, jusque là, la CdC doit gérer les suites de la concession accordée en 2013 à la Méridionale et à l’ex-SNCM partie depuis en faillite, ce qui a remis en cause le cadre contractuel défini au départ jusqu’à 2023.
En 2016, après le rachat de la SNCM par Corsica Lìnea, une convention transitoire a été passée avec l’entente réalisée par la nouvelle entreprise et la Méridionale.
Elle court jusqu’à juin 2019, délai prolongé à octobre 2019 pour donner tout son temps à une nouvelle mise en concurrence. Le temps de l’appel d’offres ira jusqu’à décembre 2020, période durant laquelle la continuité de la desserte se fera sur la base des acteurs actuels. Puis une nouvelle période de dix années, à compter de janvier 2021, sera ouverte après avoir réalisé la mise en concurrence européenne entre les sociétés maritimes. Tel a été l’objet de la seconde partie du débat mené lors de la session des 26 et 27 juillet.
L’Assemblée de Corse a ainsi ramené le périmètre du régime de concession dont bénéficiaient la Méridionale et l’ex-SNCM sur Marseille au seul transport de fret, considérant que les conditions concurrentielles sont suffisantes pour le transport de passagers. De la sorte, elle ferme la page de longs contentieux avec la Corsica Ferries qui avait considéré que ces aides aux passagers faussaient la concurrence à son détriment, obtenant régulièrement gain de cause auprès des tribunaux européens avec de substantielles compensations financières. Elle a aussi défini les OSP (Obligations de Service Public), à savoir les conditions auxquelles les armateurs désirant naviguer entre les ports du Continent (Marseille, Toulon et Nice) et les ports corses devront se plier pour pouvoir opérer : nouveaux tarifs en baisse pour les usagers, particulièrement le transport de marchandises depuis Marseille ramené à l’exact coût d’un transport terrestre équivalent, ce qui renforce mécaniquement la nécessité de subventions publiques pour que ce service soit économiquement équilibré.
Le sentiment dégagé par cette session de l’Assemblée de Corse est que le dossier « transports », pour complexe qu’il soit, est maîtrisé par l’Exécutif territorial. Ce qui s’est traduit par un vote unanime en faveur des rapports présentés par l’Office des Transports.
François Alfonsi.