L’action politique est tributaire de l’espace-temps. Il n’y a pas de vérité politique absolue, elle doit s’inscrire dans l’époque où elle se déroule. Le principe c’est l’autodétermination. Le projet qui en découle pour l’île, c’est l’autonomie.
Le referendum de 2003, que nous avons perdu de quelques voix à peine, était-il un referendum d’autodétermination ? Sans doute les esprits de l’époque n’y étaient pas préparés, et l’abstention remarquée de nombreux nationalistes, choqués par le climat créé par l’arrestation d’Yvan Colonna 48 heures avant le scrutin, avait fait alors la différence en donnant un coup d’arrêt à des évolutions dont pourtant la Corse avait manifestement besoin. Preuve en est que, presque quinze ans plus tard, la Collectivité Unique que ce referendum voulait créer sera enfin installée par l’élection de sa première Assemblée Territoriale, en décembre prochain.
L’assassinat du Préfet Erignac, cinq ans plus tôt, avait pour sa part apporté une autre clarification : la « lutte de libération nationale » avait touché là les limites pour la Corse de « l’espace-temps » dans laquelle elle s’inscrivait. Cet acte radical, inscrit dans la claire logique d’un rapport de forces armé entre un mouvement « révolutionnaire » et l’Etat qu’il combat, a soudain révélé que cette forme de lutte, inspirée des combats de décolonisation des années d’après-guerre, ne pouvait correspondre aux besoins et aux attentes de la Corse et de son peuple, dans le contexte et l’époque où il s’est accompli.
L’Histoire de la Corse et de son combat d’émancipation du 18ème siècle apporte aussi un éclairage que le regretté Andrìa Fazi avait souligné dans son ouvrage historique sur Pasquale Paoli. L’élan victorieux contre Gênes s’était brisé à Ponte Novu contre le « nouvel ordre européen » dont la France était alors une des toutes premières puissances, tout juste concurrencée par le Royaume Uni. Quand l’ouverture démocratique a été rendue possible durant la période girondine de la Révolution française, Pasquale Paoli est revenu de son premier exil londonien devant l’Assemblée Nationale à Paris, où il fut célébré comme un précurseur des idées démocratiques alors triomphantes.
U « babbu di a Patria » reprend alors, en septembre 1790, la direction des institutions insulaires. L’impossible négociation avec les jacobins arrivés au pouvoir en 1793 l’amène ensuite à se tourner vers l’autre grande puissance européenne, le Royaume Uni, dont la flotte soutient un temps l’insurrection corse provoquée par l’intransigeance jacobine. Mais le deal est impossible là aussi : les Anglais veulent imposer un « vice-roi » et diriger de fait la Corse en refusant l’autonomie que Pascal Paoli souhaitait pour son pays. Et il ne reviendra jamais de son second exil londonien.
Nous sommes une résurgence de ce long parcours du peuple corse pour son émancipation. En France, le système jacobin est toujours là, et bien là. L’Europe change enfin la donne, et donne l’espoir d’une « tutelle bienveillante », respectueuse de sa devise « Unie dans la diversité ». Dans ce contexte, de nombreuses nations européennes trouvent un nouvel espoir pour leur émancipation de la tutelle des Etats-nations qu’ils ont toujours combattues.
Mais la revendication d’indépendance n’est crédible que pour celles de ces nations qui disposent d’une ossature politique solide, appuyée sur une administration crédible pouvant en tous points faire face à la situation nouvelle que créerait une indépendance. La Catalogne, après 35 ans d’un pouvoir autonomique qui a revitalisé la langue nationale, créé un espace médiatique et politique autonome par rapport à l’Etat espagnol, constitué en trois décennies une administration solide, y compris une police autonome qui a montré, lors de la récente attaque terroriste qui a frappé Barcelone et Cambrils, qu’elle pouvait répondre aux agressions et protéger ses concitoyens aussi bien, et même mieux, que la police espagnole, peut envisager une indépendance. Un tel projet est aujourd’hui inaccessible au peuple corse.
Notre combat, pour les décennies qui viennent, est celui de l’autonomie. Et le contenu de cette autonomie devra un jour, par un referendum comme en 2003, selon le principe démocratique universel de l’autodétermination, être approuvée par le peuple corse.
Dans 30 ou 40 ans, comment aura évolué la situation institutionnelle de l’Europe et des Etats qui la composent aujourd’hui ? Dans quel « espace-temps » s’inscriront alors ceux qui auront alors en charge l’avenir de leur pays, la Corse, que cette autonomie aura permis de reconstruire ?
L’avenir le dira. A condition bien sûr d’avoir réussi dans les défis que nous sommes en train de relever aujourd’hui.
François ALFONSI