par François Alfonsi
Boris Johnson est à l’épreuve de la réalité du rapport de forces dans la négociation du Brexit. Dans le match Royaume Uni, 60 millions d’habitants, contre le reste de l’Europe, 460 millions d’habitants, il est en train de se résigner à un « deal » bien éloigné des promesses mirifiques faites aux Britanniques.
La réalité est très simple. Si le Royaume Uni ferme sa frontière, cela remet en cause 300 milliards sur les 1700 milliards que l’Europe exporte à travers le monde, soit 17 %. Si l’Europe ferme ses frontières, le Royaume Uni perdrait 100 milliards sur les 200 milliards qu’il exporte, soit 50 %. Certes, il n’a jamais été question de fermer totalement les frontières, mais il est clair que toute restriction à ces échanges, via des droits de douane, auront bien plus d’impact là où ils sont proportionnellement plus importants. Et donc au Royaume Uni trois fois plus qu’en Europe.
Pour espérer gagner quand même la partie, Boris Johnson et son équipe du Brexit ont misé sur les intérêts parfois divergents des États de l’Union. Notamment il a usé de l’argument de la politique de la pêche, car les eaux britanniques, essentiellement grâce à l’Écosse d’ailleurs, recèlent la plus grande partie du potentiel de pêche dans les eaux proches-européennes, au profit de pêcheurs français, irlandais, hollandais, belges ou danois.
En faisant miroiter des accords séparés, il espérait sans doute mettre un coin dans la démarche collective européenne. Peine perdue : sous l’autorité de Michel Barnier, l’Europe a conservé tout au long des négociations un front uni.
Autre espoir déçu pour les Brexiters britannique, celui de créer un marché de substitution à l’Europe grâce notamment au soutien des États-Unis bruyamment affiché par Donald Trump ces dernières années. Mais le 3 novembre, Trump a perdu face à Biden. De toutes façons, il était illusoire d’espérer remplacer un marché à portée d’une journée de camion, via le tunnel sous la Manche ou les multiples lignes maritimes, par un marché situé à plusieurs journées de route maritime, qui est la seule route réaliste pour transiter des marchandises.
Cela n’a pas empêché Boris Johnson de bluffer ouvertement et même de faire voter une loi contraire aux accords internationaux passés avant d’engager les négociations, loi dont le but était de promouvoir le mirage d’un « Singapour sur Tamise », grâce auquel le Royaume Uni profiteraient de la richesse du marché européen en jouant les « pirates » économiques grâce à un dumping social et environnemental permettant de produire moins cher et de vendre ensuite sa production au détriment des producteurs européens.
Tolérer un tel scénario aurait été suicidaire pour l’Europe, économiquement, et aussi politiquement car il aurait récompensé la décision du Brexit, et entraîné alors mécaniquement de nouvelles velléités de quitter l’Europe de la part des Etats les plus riches de l’Union. L’Europe a opposé un mur à cette prétention, et Londres a commencé au début du mois de Novembre à changer d’attitude.
Cela s’est traduit par le départ des plus farouches Brexiters du cabinet de Boris Johnson, notamment l’« âme damnée » du Brexit, Dominic Cummings, mi-novembre, peu de temps après que la défaite de Trump ait été certaine aux États-Unis.
Puis l’Europe a déclaré « avoir tout son temps » en annonçant qu’en cas de prolongation au-delà du 31 décembre de la négociation, une période transitoire s’ouvrirait sur la base des règles internationales de l’Organisation Mondiale du Commerce, ce qui mettrait aussitôt en difficulté les exportations britanniques vers le marché européen et donc causerait beaucoup plus de conséquences à l’économie britannique qu’à celle de l’Europe.
Cette « force de dissuasion » a manifestement fait de l’effet. Désormais, les signaux se multiplient d’une attitude britannique plus conciliante, qui pourrait déboucher sur un « deal » fin décembre. Comme toujours dans ce genre de négociation internationale, le bluff va continuer jusqu’à l’extrême limite. Mais le jeu de Boris Johnson est désormais bien pauvre, et il ne peut plus espérer gagner la partie. •