Conséquences économiques, conséquences sociales : la facture de la crise sanitaire Covid-19 sera lourdissime. On peine à en mesurer l’ampleur, et donc les ressources qu’il faudra mobiliser pour la surmonter. Et où les trouver ?
Le rapport de la Collectivité de Corse « Covid-19 » a essayé de faire un travail prospectif concernant les ressources financières de la Collectivité de Corse. C’est un petit bout de la lorgnette, mais il faut bien commencer par un bout de chiffrage, et il présente l’avantage de prendre en compte l’effondrement des activités économiques puisque la CdC, à travers la taxe sur les transports, les recettes des vente de tabac aux touristes, la part de taxe sur les produits pétroliers qu’elle perçoit, et quelques autres recettes, a ses ressources en grande partie liées à l’activité économique de la Corse.
Pour la CdC, un scénario optimiste concentre les conséquences de la crise sur 2020 et estime que les années suivantes atténueront rapidement le déficit 2020, de sorte que les ressources seront revenues au niveau de 2019 dans deux ans. L’autre, sans doute plus réaliste, estime que les effets se feront sentir sur quatre années, 2021 creusant encore le déficit 2020, et le redressement qui suit en 2022 et 2023 ne reconstituant pas tout à fait les recettes au niveau 2019.
Scénario 1 : environ 200 M€ de pertes cumulées ; scénario 2 : les pertes bondissent à 446 M€, plus du double.
Comment évaluer l’impact de la crise sanitaire sur l’ensemble de l’économie corse, environ 9 Mds d’€ de Produit Intérieur Brut annuel ?
L’activité économique de la Corse se partage en trois tiers. Un tiers sera épargné, c’est la part « d’économie publique », liées aux retraites et pensions, aux salaires des fonctionnaires, militaires et autres succursales de la puissance publique.
Un tiers sera dévasté, celui lié au tourisme, avec, dans le scénario 1 une activité réduite de moitié, et, dans le scénario 2 une saison réduite à néant ou presque.
Un tiers sera impacté de façon contrastée, selon les secteurs d’activité et selon les zones géographiques. Il s’agit des transports en premier lieu, intimement liés à l’activité touristique, même si les « locaux » génèrent une part significative de leur chiffre d’affaires. La part intégrée au PIB corse nous limite aux lignes des compagnies régulières : Air Corsica et Air France pour l’aérien, Corsica Linea, la Méridionale et Corsica Ferries pour le maritime. Les pertes en passagers, et dans une moindre mesure, en fret sont énormes : les touristes sont un bon tiers de leur clientèle annuelle, et la mise à l’arrêt le temps du confinement va durer au moins trois mois.
Ces seules compagnies c’est 2.000 emplois au bas mot dans le marché du travail en Corse (qui en compte moins de 100.000), un millier pour l’aérien (Air Corsica + Air France), et autant pour le maritime. Autour d’elles gravitent encore un millier d’emplois, dans les ports et les aéroports, les agences de voyage, etc… Il faudra donc les sauver.
Combien cela coûtera ? Nul ne le sait. Un indice cependant, pour essayer de cerner les choses : l’Etat a décidé d’injecter 7 Mds d’€ (presque autant que le PIB de toute la Corse !) dans la seule compagnie Air France, pour sauver ses 50.000 emplois. Les emplois d’Air Corsica, c’est un peu plus de 1% de ceux d’Air France. Et un pour cent de 7 Mds d’€, c’est 70 Millions d’euros ! A ajouter aux 200 à 400 M€ de la CdC, qui est son seul actionnaire apte à s’engager ! Pour la seule compagnie Air Corsica.
Car il faudra boucher les trous partout ailleurs. Notamment l’agriculture et la pêche dont le marché touristique écoule largement plus de la moitié des productions annuelles, pour beaucoup à travers la restauration. La Collectivité a mobilisé un fonds d’urgence de 30 M€ pour aider les viticulteurs à se doter de capacité de stockage pour absorber la production 2020 alors que celle de 2019 restera dans leurs cuves, pour aider les agriculteurs les plus impactés, comme les producteurs fermiers de fromages, etc…
Et il y a la longue cohorte de ceux qui seront les « victimes inconnues » de la crise économique. Pharmaciens et boulangers d’Aiacciu ou Bastia seront peu impactés. Mais le pharmacien et le boulanger de Portu, Galeria ou Calacuccia seront eux à la même enseigne que les hôtels ou les restaurants, les autocaristes et les guides touristiques.
C’est cette catégorie qui va être particulièrement atteinte : sans un plan d’ampleur, entrepreneurs et saisonniers, une vingtaine de milliers d’emplois, feront une saison blanche, entreront dans l’hiver sans ressource et ne pourront survivre sans aide jusqu’à la reprise de la saison 2021.
Voilà la réalité que nous devrons affronter au lendemain de la crise sanitaire du Covid-19. Solidarité, anticipation, réalisme et courage : le peuple corse devra en faire preuve dans les mois qui viennent.
François Alfonsi.