CETA, Mercosur, TAFTA

Des traités scélérats

CETA, Mercosur, TAFTA : ces sigles abscons choisis pour dénommer les traités commerciaux négociés entre le Canada et l’Europe (CETA), entre plusieurs pays d’Amérique du Sud et l’Europe (Mercosur), et, last but not least, celui à venir entre les USA et l’Europe (TAFTA), ne disent rien de bon. Ils ont pour logique de consacrer la « loi du marché », c’est à dire, dans les échanges internationaux, la loi du plus performant. Et, dans l’économie mondialisée, le « plus concurrentiel» ce n’est pas le paysan bio, ni le commerçant équitable, ni le producteur AOP, ni la PME intégrée dans son tissu économique régional.

Le modèle productiviste a une logique imparable : il ne peut pas s’arrêter de croître. D’où l’intérêt assidu du Canada, du Brésil, de l’Argentine et des autres puissances émergentes d’Amérique du Sud, et aussi des Etats Unis pour faciliter leurs exportations, notamment vers l’Europe.
Une logique de libre échange n’est équitable que si les deux marchés concernés sont équilibrés en valeur économique et en choix environnementaux et sociétaux. Ce n’est pas le cas pour le CETA, car Canada et Europe défendent des intérêts économiques profondément différents. En effet le Canada, notamment pour son agriculture et pour certaines de ses industries comme l’exploitation minière, est aux antipodes des réalités européennes, celles d’aujourd’hui, et surtout celles de demain si l’Europe veut réussir le pari d’une transition écologique vers une économie décarbonée et respectueuse de l’environnement.
En fait ces traités seront générateurs de conditions générales antagoniques de toute orientation progressiste pour l’avenir économique de l’Europe.

Pour les « économistes » du système dominant, la suppression réciproque des droits de douanes permet de diminuer d’autant les coûts d’accès aux marchandises ou aux services pour les consommateurs des deux rives, ce qui améliore leur pouvoir d’achat global et vient donc alimenter la croissance. Ce discours productiviste est à la base des négociations qui ont été menées par des technocrates européens nourris au même biberon des certitudes. Ce sont les mêmes que ceux qui ont perpétué la fortune de Monsanto en soutenant que son glyphosate était « inoffensif ». L’opinion publique européenne évolue enfin, on l’a constaté avec la progression des scores écologistes dans de très nombreux pays lors des élections européennes, mais rien de cette évolution n’a été pris en compte par ceux qui ont négocié durant les cinq dernières années le contenu de ces traités.
CETA est le premier à entrer en phase de ratification, la phase ultime avant qu’il ne devienne la « loi commerciale » telle qu’elle va s’appliquer. Aussi il est le cheval de Troie des deux autres traités, Mercosur et TAFTA, qui concernent des économies beaucoup plus puissantes que le seul Canada. En réalité cette logique de libre échange, quand elle sera entérinée à une telle échelle, imposera à l’Europe de rester dans le modèle économique productiviste qui épuise la planète et qui mène inexorablement à l’échec en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Car la régulation entre deux marchés ne se fait pas uniquement par les barrières financières. Les droits de douane permettent en fait aux productions réalisées selon les standards européens de rester compétitives face une concurrence dérégulée.

Le principal secteur impacté par de tels traités de libre échange sera l’agriculture. En effet, la production de céréales dans l’immensité des Grandes Plaines du Far West américain est une véritable industrie nourrie aux OGM et aux pesticides. Sans les droits de douane aux frontières de l’Union Européenne, leurs prix défieront toute concurrence dans une Europe qui veut aller vers une agriculture plus paysanne et plus respectueuse de la nature et des paysages. Même chose pour la viande bovine élevée dans l’immense pampa argentine, ou pour le soja et le mais qui sont plantés en lieu et place de la forêt amazonienne que le Brésil de Bolsonaro éradique à tour de bras.

Une agriculture bourrée de pesticides produit à moindre coût qu’une agriculture plus écologique. Sans des mesures protectrices, comment l’Europe pourrait-elle mener des politiques nouvelles pour changer sa Politique Agricole Commune ? En Europe, surtout dans le sud, il existe un millier d’appellations d’origine protégée. C’est un moteur capital pour aller vers une autre agriculture. Le CETA n’en retient que cent cinquante à protéger, toutes les autres, dont le brocciu corse, sont ignorées et pourront être concurrencées par les productions industrialisées et délocalisées.

Une fois CETA ratifié, puis Mercosur dans la foulée, et TAFTA sur les mêmes bases, c’est un choix de société désormais rejeté par une majorité de citoyens européens qui sera gravé dans le marbre des traités. Les industriels disposeront même de l’instrument juridique des tribunaux arbitraux internationaux pour passer au dessus des lois que l’Europe voudrait promulguer.

Ce sont des traités scélérats. En France, 213 députés l’ont compris, contre 266 qui, ce 23 juillet, ont continué à suivre aveuglément Emmanuel Macron et sa politique au Parlement. Mais le doute est désormais instillé. Il est encore temps de tout arrêter, car CETA n’est qu’un hors d’œuvre, qui peut encore trébucher dans d’autres pays d’Europe. Et les plus importants, Mercosur et TAFTA, sont encore à venir.

François Alfonsi.