Cap'artìculu

Drôle de campagne

Il n’y a pas d’élection sans contexte politique particulier. Celui qui environne le scrutin à venir est chargé de nuages, entre le réchauffement climatique qui oppresse et les menaces de conflits armés qui surgissent, y compris aux portes mêmes de l’Europe en Ukraine.
Depuis la Corse, il faudra faire entendre la voix des territoires maltraités depuis plusieurs mandatures, entre fermeture au dialogue, comme en Corse, et négation pure et simple, comme en Alsace.

 

 

À dix semaines à peine du premier tour de l’élection présidentielle, la campagne électorale continue son faux rythme. À gauche, entre le PS (Anne Hidalgo) et ses dissidents (Arnaud Montebourg, Christiane Taubira), les écologistes de Yannick Jadot et les Insoumis de Jean Luc Mélenchon, c’est encore la phase éliminatoire entre plusieurs candidatures concurrentes qui se vampirisent les unes et les autres dans les sondages. L’extrême droite va se disputer jusqu’au bout un leadership incertain entre la « sortante » Marine Le Pen, et son challenger Eric Zemmour tout droit sorti des tréfonds politiques de la France munichoise et collaborationniste du siècle dernier. À droite, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse occupent l’espace politique et s’y concurrencent directement. Quant à l’extrême gauche, elle a quasi disparu du champ politique hexagonal à l’exception d’un parti communiste réduit à la portion congrue.

La phase finale de ce qui s’apparente à une compétition sportive est encore loin, malgré le timing resserré qui nous sépare du scrutin, et la décision se fera dans la dernière ligne droite au moment de la qualification pour le second tour. Les pronostics, jusqu’à il y a peu, avaient donné pour certain ou presque un nouveau face à face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Désormais, chaque camp semble pouvoir espérer accéder au second tour.

Face à un sortant qui part avec l’avantage énorme d’une présence médiatique favorisée par l’appareil d’État qu’il dirige, position dont Emmanuel Macron abuse ouvertement, en ayant refusé par exemple de repousser d’un semestre la présidence française de l’Union Européenne, l’extrême droite est le camp politique qui a le plus le vent en poupe avec 30 % des intentions de votes dans les sondages. Mais la concurrence Le Pen-Zemmour divise ce potentiel en deux, alors qu’un seul des deux peut avoir accès au second tour. De ce fait, le « ticket d’entrée » au second tour sera beaucoup plus bas que prévu.

Cela donne des ailes à la candidature Pécresse qui se voit en pôle-position des challengers pouvant supplanter Emmanuel Macron. Sauf que ce dernier s’est solidement implanté à droite, à grands coups de mesures comme la suppression de l’Impôt sur la fortune, la réforme du chômage taillant dans les droits des plus précaires, et une politique sans cesse plébiscitée par le patronat tout au long des cinq dernières années. Si elle arrive au second tour, la candidate de la droite n’aura guère de réserves de voix pour espérer supplanter un sortant si bien implanté dans son propre camp.

À gauche, l’embrouillamini est total, et, comme à la pêche quand on veut défaire les nœuds d’une ligne, chaque tentative de simplifier la donne ne fait que la compliquer davantage, à l’instar de la « primaire populaire » qui va finalement générer une candidature en plus alors qu’elle était censée faire le contraire.

 

Mais au-delà des apparences, il faut analyser ce qui se passe en profondeur, et notamment l’effondrement du Parti Socialiste, et de la social-démocratie en général, qui laisse en déshérence l’espace politique du centre gauche. Qui peut l’occuper et espérer ainsi challenger Emmanuel Macron qui doit commencer à regretter de s’être positionné aussi nettement à droite ? Une « remontada » du PS ou de ses avatars ? Arnaud Montebourg y avait cru avant de renoncer, et, manifestement, Anne Hidalgo n’y croit plus. Les écologistes ont pour eux d’être portés par un courant politique qui progresse en profondeur, celui de la lutte pour la planète, notamment chez les jeunes. Les insoumis ont prouvé il y a cinq ans que leur leader tenait la route et pouvait challenger les principaux candidats. Mais il est moins bien placé que Yannick Jadot pour attirer à lui les électeurs du centre gauche.

D’ici le 10 avril 2022, bien des choses peuvent arriver qui pèseront sur le choix final. La montée du risque d’un conflit de haute intensité entre l’Europe et la Russie à propos de l’Ukraine va par exemple cliver nettement entre Yannick Jadot, très ferme soutien de l’Ukraine et de l’Union Européenne, et Jean Luc Mélenchon, qui a longtemps manifesté contre l’Europe et multiplié les positions ambiguës vis-à-vis de la Russie de Poutine. Que Poutine en reste là – victoire de l’Europe – ou qu’il déclenche le conflit – menace sur l’Europe –, peu importe : la position des Verts sera bien meilleure face à ce contexte que celle des Insoumis.

Il faut en fait s’attendre à l’irruption d’un phénomène bien connu en politique lors des tous derniers jours avant le scrutin : celui du vote utile. Au dernier moment, il creusera beaucoup l’écart entre ceux qui se partagent le même électorat. Si le rapport 13 %-17 % entre Zemmour et Le Pen est encore de rigueur à dix jours du vote, cela finira par un 9 %-21 % au soir du scrutin. Idem pour la gauche, probablement entre Jean Luc Mélenchon et Yannick Jadot.

Dans ce camp, le candidat écologiste bénéficie vu de Corse d’un positionnement historique des Verts en faveur de l’autonomie et de la reconnaissance du peuple corse. Même si certains fondamentaux du discours écolo, par exemple sur la chasse, peuvent heurter dans le contexte insulaire, il faut garder à l’esprit ce compagnonnage qui depuis tant d’années lie les autonomistes corses et le mouvement écologiste.

En espérant que Yannick Jadot réussira à s’extraire de l’embrouillaminis dans lequel la gauche est enlisée, c’est la seule possibilité, même si elle apparaît faible à cet instant, de modifier la donne en notre faveur pour la Corse. •