Cap'artìculu

Il faut une stratégie pour les îles !

Les « périodes de programmation » de l’Union européenne sont des tunnels financiers de 7 années durant lesquelles le fonds de cohésion destinés aux pays les plus pauvres, le fonds de développement régional FEDER, le Fonds social européen FSE ou le Fonds de développement rural FEADER allouent leurs importants budgets (presque 50 % du total européen) aux régions. Ils sont dépensés sur la base des règlements adoptés, sur proposition de la Commission européenne, par un vote conforme entre le Conseil européen des chefs d’États et le Parlement européen. L’accord final se fait à l’issue de longs « trilogues » entre les trois entités. L’accord actuellement en vigueur couvre les années 2021-2027. Le prochain, 2028-2034, commence à se préparer dès maintenant.

 

Un accord entrant en vigueur en 2028 doit être définitif au moins un an auparavant, pour que chaque État-membre puisse en faire sa propre déclinaison nationale, et entre sa mise en débat par la Commission à travers un projet de directive, et son vote définitif, il s’écoulera au moins deux ans. Le top départ sera donc fin 2024-début 2025, quand le futur Parlement entrera en fonction (élections en mai 2024).

D’ici là, il est très important d’essayer d’influer sur le texte initial de la Commission européenne pour lequel ses services sont déjà au travail. Si nos propositions sont retenues dès la première phase, elles auront de bien plus grandes chances d’être dans le « paquet final » des règlements.

Pour cela, il faut activer des rapports d’initiative (c’est-à-dire à l’initiative du Parlement) par lesquels nous introduisons des approches dont nous souhaitons qu’elles soient intégrées d’emblée par la Commission, dès les premiers textes qui introduiront la future programmation. C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’important rapport qui est en cours d’adoption sur la question des îles.

Car les territoires insulaires n’ont pas de politiques spécifiques promues par les règlements européens, à l’exception des « régions ultrapériphériques », celles qui sont situées à plus de 1000 km du continent européen, à savoir les îles de l’outre-mer français, espagnol (îles Canaries) et portugais (Madère et Açores). Pourtant les études s’accumulent et elles démontrent, tant en Corse qu’en Sardaigne, en Sicile ou aux îles Baléares, que l’acte économique productif nécessite dans un espace insulaire des coûts supérieurs, de l’ordre de 10 %, par rapport au continent. Cela ne tient qu’en partie aux coûts des transports, affectés par la distance et les ruptures de charge ; c’est en fait un faisceau de surcoûts qui sont observés en cascade : nécessité de constituer davantage de stocks, de faire face à des coûts de l’énergie plus élevés, surcoûts pour recruter des profils qualifiés ou spécialisés, surcoûts pour prospecter et livrer des marchés extérieurs, etc.

 

Le problème est structurel et on observe que les forces productives des espaces insulaires, une période de programmation après l’autre, reculent inexorablement.

Un regard sur 25 années de fonds européens alloués aux îles en confirme la désindustrialisation progressive, la perte de productions agricoles et l’accroissement de leur dépendance aux approvisionnements extérieurs, alors que s’installe rapidement une mono-activité du tourisme qui sera totale, si rien n’est fait, dans deux décennies au plus. À moins que l’on ne réussisse à réorienter en profondeur, et à renforcer, les politiques insulaires de développement en utilisant le levier des aides européennes.

En agriculture par exemple, l’alignement des îles sur les politiques continentales européennes ne permet pas leur développement, comme on le constate en Corse avec le recul de l’élevage traditionnel pourvoyeur de produits recherchés face à la généralisation de troupeaux bovins le plus souvent peu productifs. Dans les régions ultra-périphériques, la politique agricole est déconnectée des politiques générales et est orientée dans le sens d’un soutien à la production à travers des programmes POSEI dérogatoires. Les résultats sont probants et à l’évidence c’est la réforme qu’il faut aussi engager pour la Corse et les autres îles.

 

Autre domaine sensible, celui du service public des transports qui doit permettre des règles concurrentielles qui en garantissent l’adéquation et les meilleures retombées pour l’économie locale. En termes de fiscalité, les limites imposées par Bruxelles doivent pouvoir être révisées pour tenir compte du différentiel des coûts de 10 %. Sinon il est inévitable qu’aucune nouvelle industrie ne pourra prospérer dans des conditions compétitives face aux entreprises du continent.

Voilà résumées les mesures que ce rapport, présenté par Younous Omarje, président réunionnais de la Commission du développement régional (REGI), auquel j’ai été associé en tant que député insulaire, propose à la Commission de débattre et de prendre en compte. Pour cela il nous faudra un vote très large en session plénière en juin, et aussi l’appui résolu de tous les gouvernements insulaires concernés. La Commission REGI l’a approuvé le mois dernier par 39 voix contre une. •