Deuxième referendum d’autodétermination

La longue marche de la Kanaky vers son indépendance

Les accords de Matignon ont plus de vingt ans qui ont rétabli la paix dans un territoire alors submergé par la violence, violence d’État et violence autodestructrice dont les paroxysmes ont été l’assassinat de Jean Marie Tjibaou et les évènements tragiques d’Ouvéa. Au terme de la période de vingt ans définie alors, le peuple kanak est confronté à des choix fondamentaux pour son avenir.

 

Ces accords ont consisté à donner aux Kanaks, totalement exclus des responsabilités jusque-là, la possibilité de gouverner les provinces à fort peuplement kanak, province du Nord et Îles Loyauté, y compris pour des intérêts économiques majeurs liés à la richesse minière du territoire, un des principaux producteurs mondiaux de nickel, métal de plus en plus utilisé (la consommation mondiale a été multiplié par 2,5 ces quinze dernières années), et promis à un grand avenir dans les technologies modernes (fabrication de batteries).

Au terme d’une génération après les « évènements », les accords de Matignon ont programmé un processus d’autodétermination fondé sur deux piliers essentiels : la constitution d’un corps électoral « figé » à la date de 1998, c’est-à-dire que ne votent que ceux qui étaient inscrits sur les listes à cet instant, et ceux qui en sont les enfants arrivés à leur majorité ou nés sur le territoire depuis ; et la faculté pour chacune des deux communautés de « faire appel », à deux reprises, du vote survenu.

Concrètement, la convocation d’un « referendum d’infirmation » d’un premier résultat obtenu est ouverte à un tiers des élus du Conseil Territorial de Kanaky, ce que chacune des deux communautés, kanak ou caldoche, est assurée de réunir compte tenu des équilibres démographiques.

Pour éviter cette succession de scrutins, les partis loyalistes, encouragés par le gouvernement français, tablaient sur un score sans appel lors du premier scrutin de 2018, de l’ordre de 66 % des voix, ce que d’ailleurs les sondages annonçaient en pronostiquant une forte abstention des kanaks (d’ailleurs un des partis kanaks avait appelé à l’abstention), le ralliement d’une bonne partie d’entre eux par réflexe conservateur (la peur de « l’aventure indépendantiste »), et l’adhésion de la troisième communauté du territoire, formé par une immigration venue des îles françaises de Wallis et Futuna, au projet pro-français.

Avec 56 % des voix, le non à l’indépendance l’a effectivement emporté, mais ce sont les kanaks qui ont défilé en signe de victoire. La participation avait été de 81 %, y compris dans les électorats kanaks des tribus du rural ; les jeunes ont in fine adhéré au projet d’une Kanaky indépendante malgré leur défiance d’un système politique essoufflé au niveau des partis indépendantistes ; la communauté wallisienne s’est neutralisée en se partageant entre les deux camps ; et une partie, certes minoritaire mais déjà significative de l’électorat caldoche, plus attaché au territoire où il est né qu’au bleu-blanc-rouge de la propagande de ses dirigeants, a commencé à s’inscrire à son tour dans un projet d’indépendance.

Le second scrutin prévu dans le processus d’autodétermination était donc inévitable, d’autant plus que le mouvement kanak a puisé dans ces résultats le motif d’un nouvel espoir, alors qu’il semblait frappé par la résignation.

Organisé deux ans plus tard, le « non à l’indépendance » l’a à nouveau emporté dimanche dernier, mais avec une baisse significative de son avance sur le oui, alors que l’ambition des loyalistes était à nouveau de « tuer le match » en progressant nettement par rapport au score de 2018. Leur pari est perdu.

En effet, les enjeux ayant été amplifiés par la surprise des résultats de 2018, la participation a crû de presque cinq points. Et le résultat a été une douche froide pour le camp loyaliste qui a reculé de plus de trois points en deux ans. Pourtant la propagande « bleu-blanc-rouge » s’est manifestée jusque sur les professions de foi électorales où les couleurs du drapeau français ont pu être apposées malgré la loi électorale française, ce qui a été validé par une décision étrange du Conseil d’État, confirmation que l’État, comme en 2018, a soutenu en sous-main la campagne des « pro-français ».

Malgré cela, toutes les tendances du premier scrutin ont été confirmées : mobilisation du camp kanak (cette fois unanime) pour le « oui » ; adhésion des jeunes, ce qui est capital pour les kanaks qui bénéficient d’une dynamique démographique meilleure que les autres communautés ; amplification du ralliement de la communauté wallisienne qui s’inscrit désormais davantage dans une logique « Océan Pacifique » que dans une logique française ; et poursuite de l’émergence d’un vote caldoche alternatif qui accepte de faire le pari de l’indépendance du territoire (progression remarquée du « oui » à Nouméa).

Le troisième scrutin est donc inévitable et il aura lieu en 2022. La poursuite des tendances actuelles peut aussi bien conduire à une victoire du oui, comme à une troisième victoire du non, mais elle serait encore plus étriquée que celle de dimanche dernier. La stabilité d’une Nouvelle Calédonie française fondée sur une aussi faible marge d’adhésion, contre la volonté presque unanime de la communauté indigène qui aspire à une véritable décolonisation, serait très incertaine. Or la communauté caldoche, à la tête de la plupart des intérêts économiques du territoire aspire à la stabilité. D’où les évolutions constatées au niveau des votes enregistrés à « Nouméa-la-blanche », qui pourraient bien s’amplifier dans les deux ans à venir.

En fait, la seule option d’avenir et de stabilité pour le territoire est l’indépendance, c’est désormais une certitude après les deux premiers scrutins. Aux dirigeants de toutes tendances, et au gouvernement français, d’en prendre conscience et d’accepter enfin d’en discuter réellement avec les dirigeants kanaks. •

François Alfonsi.