Nomination d’un Premier ministre

La quadrature du cercle

Par François Alfonsi

 

La nomination d’un nouveau Premier ministre suite aux élections du 7 juillet dernier a viré au casse-tête pour Emmanuel Macron. L’argument d’une « trêve olympique » lui a permis de gagner du temps et de continuer sa politique via un « gouvernement démissionnaire » maintenu en fonction tout le mois d’août malgré la défaite politique subie aux législatives. Mais ce « provisoire qui dure » ne pourra être prolongé sine die !

 

 

La « quadrature du cercle », formule mathématique consacrée pour désigner un problème qui n’a pas de solution, consiste pour Emmanuel Macron à nommer un gouvernement sans affecter notablement les choix politiques qui ont été les siens durant sept années. Trois dossiers sont en bascule : la réforme des retraites, le renforcement de la fiscalité des plus riches, et la revalorisation du SMIC.

Or, sur un point comme la revalorisation du SMIC, un premier ministre peut prendre des décisions par décret, en échappant à l’avis conforme du président de la République, et même à la nécessité d’un vote par le Parlement. Et, une fois la décision prise, chacun sait bien que personne ne pourrait revenir en arrière et annoncer à des millions de salariés un recul salarial.

Sur les questions de la fiscalité et des retraites, le passage par l’Assemblée nationale sera requis. Mais le résultat des élections de juillet, et la majorité absolue formée désormais par ceux qui ont voté non à la réforme des retraites il y a un an, gauche et Rassemblement national confondus, ne laisse aucun espoir à Emmanuel Macron de maintenir sa réforme phare en l’état. Et la volonté d’imposer plus fortement les plus riches est, elle aussi, manifestement majoritaire dans la nouvelle Assemblée nationale.

La seule parade pour lui serait alors de faire voter une motion de censure qui fasse tomber le gouvernement qu’il a lui-même nommé. Encore faut-il pour cela que le Parlement soit réuni en session plénière, ce qui n’est pas le cas en plein été. D’où la salutaire « trêve olympique » qui lui a permis de rester sans rien faire !

 

Dans le temps ainsi gagné, Emmanuel Macron a eu l’espoir de faire changer certains paramètres de cette quadrature du cercle qu’il ne peut résoudre.

Car comment une majorité relative pourrait-elle gouverner la France ? Le bloc le plus important (NFP, 193 députés) est très loin d’une majorité absolue de 289 députés. Les « macronistes », 166 députés, deuxième force, même s’ils étaient augmentés d’alliés éventuels trouvés à droite ou dans de petits groupes, ne peuvent faire vraiment mieux. Quant au Rassemblement national (126 députés), il garde un fort pouvoir de nuisance.

Deux hypothèses sont en fait réalisables.

Primo, l’appui de la droite (47 députés) permet au camp Macron de supplanter la gauche rassemblée au sein du Nouveau front populaire. Mais le Premier ministre alors nommé ne pourra tenir qu’en espérant une abstention négociée avec le groupe de l’extrême droite, ce qui aurait un coût politique colossal.

Secundo, la nomination de la personne désignée par le NFP par Macron Président de la République suppose mécaniquement, si elle intervient, que ses soutiens au sein de l’Assemblée nationale la laisseront gouverner au moins quelque temps.

C’est en vérité le seul chemin pour un minimum de stabilité, mais Emmanuel Macron s’y refuse obstinément. Son espoir : qu’une partie significative du Nouveau front populaire cède à ses sirènes pour rejoindre un « bloc majoritaire » reconfiguré. Or une telle option vient d’être balayée par le Parti socialiste, principale cible de ce numéro de séduction.

 

D’ici le 11 septembre, date de la rentrée parlementaire, le jeu politique va se resserrer : ou ce sera un gouvernement négocié avec un soutien au moins tacite du Rassemblement national ; ou ce sera un Premier ministre NFP pouvant gouverner grâce à « l’abstention constructive » des groupes macronistes.

En sous-main, les tractations vont certainement bon train. Avec l’horizon de plus en plus probable d’une nouvelle dissolution en juillet l’an prochain, chacun doit redoubler de prudence. Les « frondeurs » du Parti socialiste eux-mêmes savent qu’une alliance avec Macron les fragiliseraient dangereusement pour leur investiture par la gauche rassemblée dans un an.

Qu’il le veuille ou non, tôt ou tard, Emmanuel Macron devra enfin admettre qu’il a perdu les élections législatives du 7 juillet 2024. Ce sera pour lui la seule possibilité de sortir de la quadrature du cercle ! •