Catalogne

L’amnistie est votée !

par François Alfonsi
Qui l’aurait dit il y a moins d’un an, le 28 mai 2023, alors que la droite et l’extrême-droite espagnoles avaient gagné les élections dans plusieurs régions, et passé des pactes politiques PP-Vox dans certaines d’entre elles pour s’assurer le contrôle de leurs Exécutifs ?

 

La déconfiture électorale du parti socialiste espagnol avait fragilisé le gouvernement de Pedro Sanchez qui s’apprêtait à prendre la présidence tournante de l’Union européenne. Plutôt que d’attendre le terme électoral de son gouvernement prévu pour novembre, Pedro Sanchez a pris alors la décision de dissoudre le Parlement et de s’en remettre à de nouvelles élections convoquées pour le 23 juillet 2023.

Les résultats lui ont donné raison. Il a enrayé la progression jusque-là ininterrompue de l’extrême-droite Vox, retrouvé une alliance à gauche qui a grosso-modo maintenu ses scores et la possibilité de gouverner à nouveau l’Espagne. Mais, comme lors de la précédente mandature, cette majorité tenait à une condition : le soutien, direct par le vote, et non plus indirect par l’abstention, des députés nationalistes des trois régions autonomes de Catalogne, du Pays Basque et de Galice.

Dans cette famille politique, la Catalogne et ses huit millions d’habitants désignent une cinquantaine de députés à Madrid dont 14 sont issus des formations indépendantistes ERC (7) et Junts (7). Cette position de charnière avait permis à Pedro Sanchez de gouverner entre 2019 et 2023 grâce à l’abstention des 13 députés de ERC. Pour rester en place il fallait que ce soutien soit confirmé, et qu’il s’étende aux 7 députés du parti de Carles Puigdemont.

 

D’intenses négociations ont alors commencé entre les formations indépendantistes catalanes et le gouvernement socialiste espagnol. Le cœur de l’accord possible était la loi d’amnistie pour tous les protagonistes du « procès » qui avait abouti à l’organisation du referendum du 1er octobre 2017.

Dans la longue liste des personnes poursuivies pour avoir soutenu ce referendum, il y avait les têtes d’affiche comme Oriol Junqueras condamné à 13 années de prison dont il a effectué une grande partie avant d’être gracié par Pedro Sanchez, et Carles Puigdemont en exil menacé d’une peine encore plus lourde par les juges espagnols qui ont échoué à obtenir son extradition de Belgique.

Mais il y avait aussi une foule d’anonymes, 400 au total, contre lesquels ont plu des condamnations très lourdes, notamment des sanctions financières impossibles à assumer tellement elles ont été démesurées. On leur reprochait un rôle qui relevait de leurs fonctions, par exemple des maires ayant mis des locaux à disposition du scrutin, et condamnés à en « rembourser » un coût faramineux, ou encore des fonctionnaires ayant contribué au « procès » dans le cadre de leurs fonctions, condamnés à rembourser leurs salaires et charges sur toute cette période de plusieurs années, etc. Cette répression très large visait à décourager tout risque d’une nouvelle tentative d’aller vers l’indépendance.

 

La loi d’amnistie qui est désormais définitive aura donc des effets majeurs qui ne se limitent pas au retour en terre de Catalogne de Carles Puigdemont jusque-là interdit de séjour dans son pays. Elle libère toute la société catalane d’un poids collectif très lourd à porter, pesant sur des centaines de familles condamnées à vendre leurs logements et leurs biens pour faire face à la machination judiciaire menée contre elles. Le soulagement est grand de voir terminée cette mascarade de justice.

La droite et l’extrême-droite ont menacé et manifesté contre l’amnistie des Catalans. Mais les premiers cortèges organisés à Madrid ont rapidement perdu de leur importance jusqu’à disparaître au moment où l’amnistie est devenue définitive.

 

En Catalogne, une ère politique nouvelle s’engage désormais. Le mouvement indépendantiste vient d’obtenir une grande victoire politique, mais il doit aussi réaliser son aggiornamento pour proposer une stratégie nouvelle au peuple catalan. Les résultats électoraux sont en recul, notamment pour ERC qui avait pourtant eu le mérite de tracer dès la mandature précédente de Pedro Sanchez la stratégie qui a conduit à l’amnistie. Beaucoup d’électeurs se sont réfugiés dans l’abstention comme le montrent les résultats électoraux de la dernière élection de la Generalitat (le 12 mai 2024) où les indépendantistes ont perdu la majorité absolue.

Mais la société catalane, forte de ce succès, peut désormais concevoir son avenir de façon sereine et apaisée. •