Cap'artìculu

L’après 49-3

L’adoption in extremis de la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron a ouvert une crise gouvernementale. Face à une opinion publique très remontée, le pouvoir en place cherche à tourner la page, mais il peine à trouver un second souffle. Le processus de dialogue sur l’avenir de la Corse pourrait en subir les effets.

 

Le contexte social a même été passablement alourdi par le déroulement désastreux de la répression, à Sainte Soline en Charente, de la manifestation des écologistes contre la construction de réserves d’eau à ciel ouvert, alimentées à partir des nappes phréatiques, en vue de favoriser une irrigation agricole intensive. Des blessés très graves sont à déplorer, certains longtemps considérés entre la vie et la mort. Parmi eux un jeune corse très apprécié, ce qui a propagé l’émotion dans l’île. Comment a-t-on pu en arriver là pour la défense dérisoire d’un chantier de terrassement en rase campagne ?

Ce bilan humain est en fait la résultante de choix déjà opérés du temps des gilets jaunes. En augmentant le niveau d’armement des policiers et gendarmes pour les opérations de maintien de l’ordre, on a mécaniquement augmenté le risque de dommages graves lors des manifestations. Lanceurs de balles de défense, avec des effets laissant trop souvent des séquelles graves comme la perte d’un œil quand est atteint un manifestant au visage, nouvelles grenades de désencerclement et lacrymogènes, dont l’impact a failli tuer à Sainte Soline, n’étaient pas dans l’arsenal des CRS il y a quelques années. Leur attribution aux unités chargées de disperser les manifestants a été une décision politique assumée dont l’effet prévisible était d’augmenter la gravité des blessures potentielles. Ce qui a été constaté lors des manifestations des gilets jaunes hier est vérifié aujourd’hui contre les écologistes, et pourrait bien l’être prochainement car les manifestations contre la réforme des retraites et l’usage du 49-3 ne faiblissent pas. L’engrenage répressif qui est en cours, dont les déclarations enflammées du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin sont l’illustration, risque ainsi de conduire la politique gouvernementale dans une impasse définitive.

Car si le gouvernement d’Elisabeth Borne n’a pas été renversé par la motion de censure déposée par le groupe LIOT, il a été sérieusement ébranlé. Mal en point car très minoritaire dans l’opinion, il doit se relégitimer. D’où la recherche de nouveaux dialogues, avec les syndicats sur le terrain social, et avec les groupes politiques au Parlement. Mais cette tentative de dialogue, qui a notamment donné lieu à une rencontre entre Elisabeth Borne et le groupe LIOT, se heurte à l’impossibilité pour elle de faire machine arrière sur la question des retraites. Et, facteur aggravant, une surenchère répressive, avec de nouveaux manifestants estropiés, ne pourrait guère favoriser l’opération sauvetage que la première ministre veut mener.

Le processus corse est lui aussi tributaire de ces évolutions politiques générales. Le gouvernement, et l’Élysée, ont fait savoir qu’il n’avait pas apprécié que le groupe LIOT, où siègent les parlementaires corses, ait cherché à le renverser par le dépôt de la motion de censure qui a fait suite à sa décision de recourir au 49-3 pour la réforme des retraites. Cependant, il ne peut à la fois vouloir un dialogue nouveau au Parlement et refuser de le faire avec un des seuls groupes qui est prêt à l’écouter. En fait, si elle veut extraire son gouvernement de l’impasse et passer à autre chose, la première ministre ne peut laisser continuer la bouderie élyséenne contre la Corse. La nouvelle réunion du processus de Beauvau est envisagée avant la fin du mois. Si le gouvernement arrive à s’extraire de ses difficultés de l’après 49-3, la discussion sur l’avenir de la Corse pourra reprendre son cours. •