Union Européenne

Le discours d’Ursula von der Leyen

Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, a tenu son premier discours « sur l’état de l’Union Européenne », un an après son élection. C’est un moment important et ce discours engage 450 millions d’Européens. Mais il intéresse moins les médias hexagonaux que les déclarations d’un sous-secrétaire d’État du gouvernement français qui, lui, sera retransmis par les chaînes info en continu. Pour la plus haute autorité européenne, aucun média français n’a jugé bon de déplacer ses caméras. Pourtant ce discours mérite d’être détaillé.

 

Il aborde successivement les points-clefs de l’actualité européenne. Ainsi elle commence bien sûr par la question de l’épidémie Covid-19, « révélateur de la fragilité de tout ce qui nous entoure ». « L’Europe doit continuer à protéger les vies et sauver les emplois » et elle formule sa proposition pour l’année qui vient : « construire une Union Européenne de la santé qui soit plus forte. » Pour cela elle annonce qu’elle fera corps avec le Parlement Européen pour s’opposer aux États et « remédier aux coupes budgétaires opérées par le Conseil Européen. » Première sensation forte : jamais aucun de ses prédécesseurs n’avait ainsi formulé une opposition aussi frontale au Conseil des Chefs d’États de l’Union.

Le deuxième temps du discours est consacré à la question sociale, jusqu’ici tabou dans les politiques européennes. Elle rappelle le « fonds SURE » mis en place par le budget européen pour permettre aux États les plus touchés par la crise sanitaire d’actionner les amortisseurs sociaux pour éviter un chômage massif. Puis elle va bien plus loin en annonçant que « la Commission présentera une proposition législative en vue d’aider les États-membres à mettre en place un cadre pour les salaires minimum. » Là encore, c’est un formidable coup de pied dans la fourmilière libérale qui domine idéologiquement l’Europe depuis deux décennies et qui a toujours refusé le moindre débat sur un « SMIC européen ».

Puis elle enchaîne sur le « pacte vert pour l’Europe » et elle annonce qu’elle retiendra l’objectif de réduction de 55 % des émissions des gaz à effet de serre en une décennie, au lieu de seulement 40 % acceptés par les États-membres sous la pression des plus conservateurs. Elle rejoint ainsi le vote du Parlement, en mettant sa crédibilité en avant : « notre analyse d’impact montre clairement que notre économie et notre industrie peuvent y faire face ». Et il y ajoute ce que l’Europe peut faire, à ses frontières, pour que les autres économies mondiales s’engagent sur la même voie qu’elle, condition sine qua non pour que les objectifs de la Conférence de Paris de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré Celsius soient atteints. Pour cela un moyen est affiché avec ambition quand les administrations d’Etats restent très frileuses : une taxe carbone élevée appliquée aux produits importés en Europe, de façon à protéger les produits européens qui seront à faible contenu carbone, et aussi à inciter les industries du monde à se tourner vers ces innovations pour pouvoir avoir une part sur le marché européen qui représente 25 % du marché mondial.

Au plan international, la Présidente de la Commission affiche sans ambages son soutien aux manifestants de Hong Kong et aux Ouigours face à la Chine. Et elle sermonne les diplomates : « mais qu’est-ce qui nous retient ? Pourquoi même de simples déclarations sur les valeurs de l’UE sont-elles retardées, édulcorées ou prises en otages pour d’autres motifs ? » La Turquie est également montrée du doigt « qui se situe dans une région qui connaît des troubles ; qui reçoit des millions de réfugiés pour lesquels nous versons une aide financière considérable ; mais rien de tout cela ne justifie les tentatives d’intimidation de ses voisins. »

Intransigeance aussi sur le Brexit et l’accord signé fin 2019 qui devra être respecté « ligne après ligne, mot après mot », car cela « préserve les droits de nos citoyens, les intérêts financiers, l’intégrité du marché unique et surtout l’accord du vendredi saint » en Irlande du Nord.

Elle cite John Hume, car c’est grâce à lui « si de nombreuses personnes vivent en paix aujourd’hui sur l’île d’Irlande », et sa déclaration de 1998 alors qu’il était député européen : « la différence n’est pas une menace ; la différence est naturelle ; la différence est l’essence même de l’humanité. »

Au nom de ces valeurs elle aborde la question des migrations et aussi celle de l’État de droit, annonçant que la Commission adoptera annuellement un « rapport sur l’État de droit couvrant tous les États-membres ». Ce qui questionnera nécessairement d’autres États que la Hongrie ou la Pologne, par exemple l’Espagne sur la Catalogne.

Bref, Ursula von der Leyen s’affirme comme une Présidente européenne en rupture avec ses prédécesseurs, Barroso ou Juncker, l’un et l’autre totalement consentants aux ordres du Conseil des Chefs d’Etat ou de leurs ministres. Déjà, elle avait marqué l’opinion italienne en venant présenter des excuses publiques suite à un sommet des ministres des finances de l’eurogroupe qui avait été odieux alors que la crise sanitaire était au plus haut en Italie.

Son discours de Bruxelles montre des ambitions élevées, et surtout un engagement sans précédent pour les accomplir. Si elle continue ainsi, elle finira par gagner une grande popularité, comme avait réussi à le faire, en son temps, Jacques Delors.