Cap'artìculu

Le levier politique de la crise du logement

« Vivre et travailler au pays » était le slogan des années 70, quand l’économie fuyait la Corse comme les campagnes occitanes ou les montagnes savoyardes, obligeant les populations locales à chercher leur gagne-pain ailleurs et en les poussant à l’exil. Aujourd’hui l’économie est souvent là, qui génère de solides revenus grâce notamment au tourisme, mais les populations locales sont encore et toujours tenues de quitter les lieux où elles vivent car elles ne peuvent plus y trouver de logements à un prix décent. Avec Jean-Félix Acquaviva et les organisations membres de Régions et Peuples Solidaires, nous engageons un cycle de réunions autour de ce thème. Première étape à Bayonne, le 19 novembre prochain.

 

Cette crise du logement est essentielle au sens premier du terme. Elle est le mécanisme qui mène à gommer le lien à la terre entre un peuple et son territoire. Si on n’y met pas un terme, des territoires entiers seront vidés de leur âme, et des peuples comme le peuple corse, le peuple basque, le peuple breton, le peuple catalan, des zones entières d’Occitanie comme la Provence, ou encore les montagnes de Savoie, seront devenues des « cages sans les oiseaux », des pays sans peuple, et même, pour certains, sans habitants autres qu’un troisième âge largement nanti.

Car le phénomène de résidentialisation a connu une accélération phénoménale avec l’irruption d’internet et des sites Airbnb, Booking.com, Abritel, le Bon Coin… et il est en train de prendre des proportions inouïes. Passée l’opportunité donnée à quelques-uns de trouver des revenus complémentaires en rénovant un bien familial, ce phénomène a ouvert la porte à un business florissant qui se déroule en dehors de tout cadre réglementé pour en imposer les revenus et pour en limiter l’impact.

Aujourd’hui, des investisseurs, pour la plupart extérieurs, rentabilisent leurs investissements faits en construisant ou en acquérant des biens immobiliers en Corse grâce à une activité parahôtelière de location saisonnière réalisée à des prix qui rapportent en quelques mois trois à quatre fois plus qu’une location à l’année. Avant internet, acquérir une résidence secondaire était réservé aux gens aisés vivant ailleurs, mais, malgré tout, ce luxe leur en coûtait, pour l’acquisition comme pour l’entretien. Désormais, l’acquisition, loin d’en coûter, peut rapporter de nouveaux revenus. Non seulement ceux-ci couvrent les frais d’acquisition, d’entretien et d’imposition, mais ils rémunèrent aussi l’investisseur, jusqu’à la plus-value finale spéculative lors de la revente après quelques années, une fois les emprunts bancaires remboursés.

Là encore internet fait son œuvre à travers des sites qui font la promotion de ces investissements de rêve qui, si vous faites partie de la caste de ceux qui y ont accès, vous rendront encore plus riches. Depuis c’est la ruée vers l’or, et l’envolée proportionnelle du marché foncier lui a fait atteindre des prix inabordables pour le commun des Corses, comme pour d’autres ailleurs, basques, bretons, occitans, catalans ou savoyards.

Aussi, comme nous sommes bloqués pour l’instant, pour des raisons constitutionnelles, sur le statut de résident qui apporterait une solution protégeant les peuples concernés de l’invasion spéculative, il faut impérativement trouver les moyens de bloquer l’engrenage spéculatif qui affole les marchés.

 

Jean Félix Acquaviva a développé une proposition de loi à cet effet, qui a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale lors de la précédente mandature, contre l’avis du gouvernement. Elle concerne la Corse, en s’appuyant sur son statut particulier, mais son adoption définitive ouvrirait la porte pour une généralisation aux autres « zones tendues » en France, au profit notamment de la Bretagne ou du Pays Basque qui déjà se mobilisent avec vigueur.

La proposition s’articule autour de trois mesures. La première consiste à créer un droit de préemption général pour la Collectivité de Corse. Ce droit de préemption n’existe que pour les communes, mais celles-ci, le plus souvent petites, ne sont pas en mesure de le mettre en œuvre.

La seconde consiste à renforcer l’imposition des résidences secondaires en permettant son renforcement, et surtout en l’étendant à toutes les communes concernées. Aujourd’hui, en Corse, seule Aiacciu est concernée car elle seule dépasse 50.000 habitants. Une première victoire a été obtenue lors de l’adoption du budget qui a permis d’étendre ce dispositif à 5.000 communes au lieu d’un millier aujourd’hui. Les Basques ne sont pas étrangers à cette avancée : en occupant la résidence secondaire à Saint Pée sur Nivelle de Bruno Le Maire, ministre des Finances, celui-ci n’a pu qu’accepter de maintenir l’amendement voté par les députés lors de la procédure du 49-3.

La troisième mesure enfin est la plus importante et elle s’oppose au refus du gouvernement. Elle consiste à surtaxer de façon dissuasive les plus-values que les investisseurs réalisent lors de la revente de leur investissement résidentiel. Cette mesure bloquerait une bonne partie du « business spéculatif » et provoquerait aussitôt une baisse des prix sur le marché, tout en alimentant les finances de la Collectivité de Corse pour qu’elle puisse exercer son droit de préemption.

Le parcours de la « loi Acquaviva » est bien engagé avec le vote survenu en première lecture. Il lui faut maintenant être votée au Sénat, au début du printemps, puis adoptée en seconde lecture à l’Assemblée nationale quelques semaines plus tard. Dans chacune des régions qui sont concernées par le même phénomène que la Corse, les réunions se succèderont pour obtenir le vote des parlementaires concernés, dans tous les groupes. Et pour que soit préservée ainsi la majorité obtenue lors de la précédente mandature. Une fois votée au cours du premier semestre 2023, la loi serait à l’œuvre dès 2024. •