par François Alfonsi
Le temps fort du voyage du Pape François en Irak s’est déroulé à Erbil, la capitale du Kurdistan. Ce choix ne doit rien au hasard : les Kurdes ont eu un rôle éminent dans la protection de la minorité chrétienne lors du conflit contre l’État Islamique, et ils auront demain un rôle moteur dans la construction de la Paix et de la Démocratie dans cette partie du monde.
Il est généralement admis que le pape polonais Jean Paul II a eu un rôle essentiel pour accélérer la chute du mur de Berlin en apportant un soutien majeur au syndicat polonais Solidarnosc. Ses pèlerinages spectaculaires, rassemblant des foules immenses portées par le charisme de ses sermons, ont participé à la déstabilisation du pouvoir soviétique et contribué à définir un nouvel horizon pour l’Europe.
Le Pape François est sans doute à son tour entré dans l’Histoire par le voyage qu’il vient d’accomplir en Irak, au cours duquel il a insufflé un nouvel élan pour la Paix. Seule une autorité spirituelle comme la sienne pouvait bousculer les murs de haine et de terreur qui se sont dressés durant ces trente dernières années. Sa rencontre avec le chef des croyants chiites (chiites et sunnites se partagent la foi musulmane comme catholiques et protestants la foi chrétienne) a été le symbole d’un dialogue noué là où la guerre sévit depuis si longtemps.
Dans le sillage de sa visite apostolique, maintenue avec courage malgré le climat d’insécurité, il a entraîné des foules de toutes confessions dans un élan de fraternisation dont les images d’allégresse ont fait chaud au cœur, notamment pour cette minorité chrétienne d’Orient persécutée par l’État islamiste durant les cinq années qu’ont duré son Califat.
Ce voyage a été étalé sur plusieurs jours, de la plaine d’Ur où Abraham (Ibrahim pour les musulmans) a généré la source commune des religions juive, chrétienne et musulmane ; à Mossoul au milieu des ruines de la cathédrale détruite d’où il a fait s’envoler une colombe de la Paix ; à Karadoch, la ville chrétienne du Nord du pays, dont la population n’a pu être sauvée de la « solution finale » que grâce à la protection des Kurdes qui les ont recueillis et protégés ; et enfin à Erbil, la capitale du Kurdistan, dans un stade bondé pour un événement qui restera à jamais gravé dans les mémoires.
La presse a peu relayé le choix d’Erbil pour tenir le principal événement de ce voyage officiel. La raison de ce choix du Pape est simple : une grande partie des habitants de Karadoch et des autres communautés chrétiennes d’Irak y vit encore, après avoir été mise à l’abri des fanatiques qui voulaient les exterminer. Les villes chrétiennes sont aujourd’hui encore largement désertées, et la majorité de cette population vit toujours au Kurdistan où elle se sent en sécurité. Aussi le Pape a voulu rendre hommage aux autorités kurdes dont les combattants ont sauvé cette population d’une mort certaine.
Le Pape a fait ce parcours au Kurdistan, où il a rencontré les autorités du gouvernement autonome, contre l’avis du gouvernement central irakien qui s’oppose par la force au droit à l’autodétermination du peuple kurde. C’est en soutien aux combats du peuple kurde que cette démarche a été faite.
Le rôle éminent des Kurdes dans cette région du monde tient à plusieurs facteurs, dont un est trop souvent oublié : les Kurdes sont un peuple de tradition musulmane d’obédience sunnite. Or, si les chiites sont majoritaires en Irak, ce sont les sunnites qui dominent en nombre, très largement, le monde musulman en général. Le modèle de société que les Kurdes mettent en œuvre – tolérance religieuse, solidarité active avec les minorités issues d’autres religions, respect des droits des femmes, – se pose ainsi en rival direct du modèle de société proposé par l’État Islamiste, forme dévoyée de la religion sunnite qui couvre 80 % du monde musulman, en Arabie, en Indonésie, dans le Maghreb, en Égypte ou en Turquie.
Soutenir le modèle qu’ils proposent pour inscrire leurs traditions religieuses sunnites dans une démocratie moderne est un des grands défis à accomplir pour l’avenir.
Les Kurdes ont eu un rôle essentiel dans la lutte contre le fanatisme de l’État Islamiste. Ils auront un rôle tout aussi important dans la construction d’un avenir de paix et de démocratie dans cette région du monde. Le Pape l’a souligné en se rendant à Erbil. •