GCC, FLNC

Le retour de la tentation clandestine

Par François Alfonsi

 

Communication de presse du FLNC en revendication de 17 attentats d’un côté ; de l’autre côté, émergence d’un tag revendicatif lors de plusieurs attentats par une nouvelle organisation clandestine GCC, Ghjuventù Corsa Clandestina : neuf ans après la « cessation définitive d’activités » du FLNC en 2014, l’action clandestine revient à la une de l’actualité corse.

 

 

Le chjami è rispondi entre les deux organisations s’affiche dans les médias. Le FLNC a l’antériorité de sa création il y a cinquante ans bientôt, et il ne manque pas de le rappeler dans son communiqué de « mise au point » qui dispute au nouveau venu une poignée d’attentats tout en lui laissant porter la responsabilité d’autres. GCC n’a pas encore communiqué autrement que par des tags et un choix de cibles traditionnelles (résidences secondaires), et aussi avec une surenchère politique qui la fait s’attaquer à des élus corses à travers leurs activités ou leurs mairies comme l’attentat qui a visé la mairie d’Afà la semaine dernière.

D’abord considéré comme une prolongation des manifestations violentes menées par les jeunes au lendemain de la mort d’Yvan Colonna – d’où probablement le choix de « Ghjuventù Corsa Clandestina », le sigle s’installe durablement comme une nouvelle organisation clandestine, et les auteurs des attentats montrent aussi une volonté de s’en prendre à des Corses, même si c’est de façon indirecte.

Ce ciblage des élus est inquiétant et provoque des réactions unanimes. Il génère le risque d’un affrontement entre Corses qu’il ne faut surtout pas sousestimer. Il peut mener au pire pour la Corse, nous en avons malheureusement eu l’amère expérience dans les années 90.

En fait, l’ouverture d’un espace de dialogue entre l’État et une Assemblée de Corse où le mouvement nationaliste est largement majoritaire est dans le collimateur des deux organisations clandestines. Ainsi, le FLNC met en cause « une représentation élue du peuple corse qui, bien que majoritaire, ne manifeste pas la fermeté nécessaire pour affirmer, face à l’État, les revendications fondamentales pour lesquelles elle a été portée aux affaires ». Quant à GCC, elle semble prendre pour acquis que cette négociation est vouée à l’échec avant même qu’elle n’ait produit ses effets.

 

Cette attitude est traditionnelle des forces politiques clandestines qui ne font pas confiance, par nature, à l’action démocratique. On connaît bien le scénario : le créneau de l’action clandestine nait, par définition, de l’échec de l’action démocratique. Quitte à le souhaiter, et même, éventuellement, à en créer les conditions.

En jetant le trouble par ses actions, elle cherche autant à faire réagir l’État à travers une répression qu’à embarrasser ceux qui sont à la recherche d’une solution politique par la négociation. Et comme l’issue de la négociation sera nécessairement un compromis, les plus jusqu’au-boutistes la trouveront mécaniquement trop tiède, ne serait-ce que pour continuer à exister.

En fait chacun comprend bien que ce ne sont pas quelques incendies de résidences secondaires ou l’attaque de telle ou telle mairie qui changeront le rapport de forces avec l’État. La seule pression qui pèse durablement dans le rapport de forces est la pression démocratique exercée par 68 % du corps électoral corse qui a voté nationaliste sans discontinuer depuis 2015, dans un crescendo qui a permis de forcer les portes du dialogue. Nul ne songe à nier l’influence des manifestations massives et déterminées de l’an dernier dans le déclenchement du processus en cours, mais les conditions de ce dialogue, dont les premières conséquences sont observables désormais avec la libération conditionnelle de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, sont incontestablement liées au poids pris par les nationalistes à travers la représentation élue de la Corse.

Dans ce contexte le créneau politique de la clandestinité est plus qu’étroit. Le processus se déroule en dehors d’eux, et la légitimité démocratique des élus nationalistes de l’Assemblée de Corse et des parlementaires ne leur laisse pas vraiment d’espace. Et, dans le rôle de simple trouble-fête, il leur sera difficile de capitaliser une influence politique réelle dans la population.

 

En réalité, la voie démocratique s’est désormais imposée, et pas qu’en Corse puisqu’en Euskadi et en Irlande du Nord la violence politique a là aussi cessé, avant même qu’elle ne cesse en Corse. Les raisons sont diverses pour cela, la plus importante étant l’aspiration politique de nos peuples à se recentrer sur des moyens démocratiques pour faire avancer leurs causes nationales.

Peut-on imaginer une lutte clandestine se développer à nouveau en Corse, et en Corse seulement ? Est-il acceptable de faire planer le risque d’un affrontement entre Corses dont on sait d’avance que l’État en tirera tous les bénéfices s’il n’est pas déjà en train d’en tirer les ficelles ?

En réalité, c’est la légitimité démocratique de ceux qui ont été élus qui continuera à déterminer la relation politique entre la Corse et l’État. Jusqu’à, souhaitons-le, l’autonomie qui est promise par le cycle actuel des discussions. •