Par François Alfonsi
Les yeux rivés sur la bande de Gaza et le Liban, personne n’a vu venir la spectaculaire victoire éclair des groupes armés qui ont donné l’assaut final contre le régime sanguinaire de Bachar El-Assad. Leur progression jusqu’à Damas a été fulgurante et le dictateur au pouvoir n’a pu que s’enfuir piteusement et précipitamment.
Les vainqueurs de cette guerre éclair sont les groupes djihadistes sunnites que l’on pensait relégués aux oubliettes de l’Histoire depuis l’épisode apocalyptique de l’État islamique. Sans doute eux-mêmes n’imaginaient pas possible un tel succès quand ils ont lancé, depuis leur réduit d’Idlib, leur marche militaire vers le nord et la grande ville d’Alep qui était clairement leur objectif premier. Puis, ayant pris conscience de l’état de faiblesse morale et matérielle de l’armée régulière syrienne, ils ont compris que la route vers le Sud, Hama, Homs puis Damas leur serait facilement ouverte. En quelques jours, et après d’impressionnants succès militaires, ils ont réveillé tout ce que le pays comptait encore de groupes issus de l’opposition massacrée il y a six ans par le régime baasiste, avec l’aide directe de l’Iran, de la Russie et du Hezbollah libanais.
Ce retour en force des sunnites, majoritaires numériquement en Syrie, mais jusque-là marginalisés par le pouvoir tenu d’une main de fer par la dynastie des El-Assad, représente une révolution totale de la carte politique du Moyen Orient. Elle se fait au détriment de l’Iran et de son « axe de résistance » pour qui l’implantation en Syrie à travers son allié alaouite El-Assad était une priorité stratégique majeure, indispensable pour acheminer troupes et armements au Liban et à la frontière avec Israël. Mais Israël et ses alliés ne sont pas davantage rassurés par cette force nouvelle qui professe un islam rigoriste même s’il s’est détaché depuis plusieurs années des affres de l’État islamique.
Quant à la Russie, qui a prêté main forte au dictateur pour rétablir son pouvoir il y a huit ans, sa priorité est de garantir la stabilité nécessaire au maintien de ses bases militaires stratégiques sur le littoral syrien en Méditerranée. Ce littoral méditerranéen, et les montagnes de son arrière-pays, sont le territoire alaouite historique, et c’est la seule partie de la Syrie qui n’a pas encore basculé sous le contrôle du nouveau pouvoir. Mais la débandade massive des dignitaires syriens ne laisse aucun doute sur le fait que le nouveau pouvoir contrôlera aussi cette partie du territoire à court terme.
La première raison de cet effondrement soudain du régime syrien est l’efficacité des politiques de sanctions économiques, que l’on sous-estime souvent, mais qui, telles des termites dans une poutre de bois, minent les structures profondes d’un système même s’il garde une apparence intacte. Faute d’argent, les soldes des militaires avaient été réduites à une misère, et les soldats ont abandonné le combat au moment de l’offensive des partisans du nouveau maître de la Syrie, Abou Mohamed Al-Jalani.
L’autre raison est l’impact des conflits en cours. La Russie, accaparée en Ukraine, et affaiblie elle aussi par le régime de sanctions, n’a pas apporté le même renfort aux El-Assad qu’il y a cinq ans. Le Hezbollah, éreinté par la guerre contre Israël, n’a plus les moyens d’envoyer miliciens et armements pour contrer la rébellion en Syrie, et l’Iran, sans ces alliés jadis déterminants, ne pouvait sauver seul un régime syrien décomposé par la corruption.
Enfin, l’effacement politique, après l’écrasement de l’État islamique dans l’ensemble du Moyen Orient, et notamment en Syrie, de la majorité sunnite de la population, au profit des chiites et de leurs alliés, moins nombreux mais appuyés par l’Iran, représentait un équilibre politique instable par définition.
Cet effondrement de l’influence iranienne en Syrie semble faire les affaires d’Israël, mais la nouvelle direction du pays sera politiquement très proche des Palestiniens et très hostile à l’axe formé par Israël et les USA. D’ailleurs Israël a enclenché une série de raids aériens pour tenter de détruire les arsenaux syriens avant qu’ils ne soient récupérés par les nouveaux maîtres de Damas.
Reste enfin la question kurde, au Nord Est de la Syrie contrôlé par les forces de « l’armée de protection du peuple » (YPG), organisation proche du PKK, ennemi déclaré du président turc Erdoggan. Dans la région frontalière de la Turquie, au nord d’Alep, d’ex-jihadistes ont fait allégeance à Erdoggan et chassé les Kurdes de leur territoire historique d’Afrin. Ces groupes anti El-Assad et pro-Turcs qui ont combattu les Kurdes de Syrie aux côtés de l’armée turque, sont une partie des forces qui se sont rangées derrière l’offensive victorieuse contre Damas. L’avenir du Kurdistan syrien, honni par la Turquie qui est l’alliée des nouveaux maîtres de Damas, est une des grandes inquiétudes pour l’avenir immédiat de cette région. •